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Plaidoyer pour des terres agricoles sur les toits

15 janvier 2020
Par Antoine Trottier*

Centre de formation en développement durable CHRONIQUE DU GROUPE DE TRAVAIL
SUR LES TOITURES VÉGÉTALISÉES

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Depuis plusieurs années, le toit vert devient de plus en plus commun en architecture écologique, faisant partie de la grande famille des phytotechnologies, qui permettent d’améliorer l’efficacité d’un bâtiment, de réduire son empreinte écologique à la construction et à son utilisation et d’améliorer la qualité de vie des usagers du bâtiment et de la collectivité.

Mais depuis une dizaine d’années, on voit de plus en plus de projets de toitures végétales voués à la production alimentaire. Est-ce une bonne idée?

Le toit vert agricole, une nouveauté?

L’idée ne date pas d’hier : les jardins suspendus de Babylone, qui auraient été construits 600 ans avant Jésus-Christ, étaient des toitures à la végétation somptueuse qui débordaient de plantes comestibles. Le fameux architecte Le Corbusier voyait les toits des habitations populaires comme de potentiels jardins communautaires. Au courant des années 2000 à Montréal, l’idée a été portée par Ismaël Hautecoeur à travers les multiples réalisations du projet « Des jardins sur les toits » (maintenant « Cultive ta ville ») de l’organisme Alternatives. On travaillait principalement avec des contenants en plastique recyclé avec réservoir d’eau pour cultiver tout type de plantes maraichères sur les toits. L’idée est intéressante : utiliser des endroits normalement non utilisés, qui disposent souvent du meilleur ensoleillement et qui sont généralement à l’abri des indésirables, tels les rongeurs qui tendent à manger nos productions avant même qu’on ait le temps de les récolter.   

Le toit vert agricole versus le toit en bacs d’agriculture urbaine

Au-delà des toits-terrasses, toits-jardins et autres toits en bacs, le toit vert agricole a la cote en ce moment, mais où se situe la différence? Les toits maraichers ont de grandes surfaces, sont des infrastructures permanentes, possèdent la même composition qu’un toit vert semi-intensif et sont cultivés par des professionnels.  

Mais les toits verts agricoles, est-ce une bonne idée? Pour y répondre, je me replonge en 2012, où à l’époque je participais à un colloque international organisé par L’Atelier international du Grand Paris sur les expériences en matière de toit vert à Chicago, Montréal et Paris. J’y présentais l’idée d’utiliser les toitures végétales pour la production de légumes. Essentiellement, au Québec, les normes d’installation font en sorte que l’épaisseur minimale d’un toit vert est de 100 mm, ce qui est supérieur à ce qui est demandé chez nos voisins du Sud. On peut dire que les toits verts québécois sont donc un peu plus lourds et un peu plus chers. Voyons comment ces « inconvénients » deviennent des arguments pour les utiliser comme superficie cultivable.  

Poids des systèmes

La différence entre un toit vert extensif et un toit vert semi-intensif voué à l’agriculture n’est pas très importante, en termes de capacité portante pour le bâtiment. Par exemple, sur le projet du IGA Duchemin à Saint-Laurent, le toit vert est cultivable, malgré que son poids avoisine les 45 livres du pied carré, poids originellement prévu pour un toit vert extensif de 150 mm avec une prairie fleurie.  Idéalement, il faut toutefois prévoir entre 55 et 65 livres du pied carré.      

Coûts

Étant donné que le toit vert sera utilisé par un agriculteur, aucun besoin de planifier de plantation, de tapis de sédums précultivés ou de plan d’aménagement paysager : des planches de culture régulières avec du terreau vierge feront l’affaire. Malgré une épaisseur de terreau plus grande, le toit potager a de fortes chances de coûter moins cher qu’un toit vert extensif. Il faudra en revanche penser à des aménagements spéciaux pour la production agricole et des éléments de sécurité pour les travailleurs sur les toits.

Entretien

Les gestionnaires de bâtiments sont parfois frileux avec l’installation de toitures végétales, car au fil des années, il faudra minimalement prévoir des entretiens paysagers, pour s’assurer de leur bon état de santé et répondre aux normes de la RBQ. La formation de personnels qualifiés ou l’octroi de contrat d’entretien paysager par une main-d’œuvre qualifiée à travailler sur les toits vient donc s’ajouter à leurs tâches. Dans le cas du toit vert agricole, cet entretien est pris en charge par l’usager. De surcroit, selon la nature des activités sur le toit, le propriétaire ou le gestionnaire du bâtiment peut demander un loyer pour l’agriculteur. L’entretien du toit vert devient donc une entrée d’argent plutôt qu’une dépense.

En somme, le toit vert agricole est aussi facile à installer qu’un toit vert extensif, permet d’atteindre les mêmes gains environnementaux, coute moins cher avec le temps et permet de faire pousser des légumes! Mais est-ce que tous les toits verts devraient être convertis en toits potagers? Non, pour que les toits agricoles vaillent la peine, il faut considérer le bâtiment et sa communauté dans l’équation. Par exemple, pour que ce soit rentable de cultiver un toit pour un agriculteur, il faut une superficie minimale, déterminée avec son plan de production; dans ce cas, le plus grand le mieux. Dans le cas par contre où l’on utilise le toit pour des jardins partagés, la taille importe moins et le toit potager devient un attrait locatif intéressant.

Le concept du toit vert agricole doit idéalement être inclus dans le principe du circuit court ou de consommation hyper locale. Le Santropol Roulant est probablement l’exemple parfait : 1) on y fait pousser des légumes sur le toit. 2) Ces légumes servent à créer des repas biologiques et santé pour des personnes en perte d’autonomie. 3) Les restes et rognures de préparation sont compostés au sous-sol du bâtiment. 4) Le compost est intégré au toit vert pour l’amender, car la production de légumes est très exigeante sur la disponibilité de matière organique. Ainsi la boucle est bouclée!

En 2019, la Ville de Paris en est à son troisième appel de projets dans le cadre de Parisculteurs, qui vise à végétaliser 100 hectares de toitures et de façades dans la ville, dont 30 hectares voués à la production alimentaire, à travers un programme de financement de huit millions d’euros. Une ferme de 14000 m2 ouvrira ses portes en 2020, la plus grande ferme urbaine en Europe. Cela semble être une tangente lourde; pourtant, en 2012, l’agriculture urbaine sur les toits n’était pratiquement pas présente à Paris, contrairement à Montréal. Est-ce une confirmation de l’adage « Nul n’est prophète en son pays »?


*L’auteur est président et cofondateur de La ligne verte. Il est aussi membre du comité de direction du Groupe de travail sur les toitures végétalisées du CBDCa-Qc.