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Allier aménagement paysager et matériaux recyclés

3 juillet 2017
Par Léa Méthé-Myrand

L’utilisation de matériaux recyclés est appelée à s’amplifier dans les aménagements paysagers. Lentement, mais sûrement.

La matière première de l’architecte paysagiste, c’est le terrain lui-même. Or, on achemine généralement les déblais d’excavation à des kilomètres de leur site d’origine. François Courville, architecte paysagiste en pratique privée, y voit un gaspillage doublé d’un affligeant manque d’imagination. C’est que si la conservation des ressources s’avère évidemment une question de principe, que l’on opte pour le réemploi de matériaux ou l’intégration de produits à contenu recyclé, elle constitue également un filon créatif.

Lucie St-Pierre, associée et directrice, architecture de paysage chez Lemay, est bien d’accord. « Le sol en place peut être récupéré, concassé, tamisé, décontaminé et amendé; il constitue notre plus grand réservoir de matériaux recyclés, indique-t-elle. C’est sans compter que les matériaux présents sur le site d’un projet, comme du béton, de la pierre, du bois, des agrégats ou de l’asphalte, peuvent parfois aussi y trouver une seconde vie. »

Tohu  - Photo de Philippe Lupien

Pour elle, il est clair que le réemploi et le recyclage de matériaux in situ se trouvent bénéfiques sur le plan environnemental. Parce qu’ils permettent de réduire les volumes de matières envoyées à l’enfouissement et les ressources requises (matières premières vierges, énergie, eau…) pour produire des matériaux neufs, mais aussi les émissions de gaz à effet de serre liés au transport.

Un exemple? Au parc Vincent-D’Indy de Boucherville, dont le cœur est un vaste ouvrage de rétention d’eau, plus de 30 000 mètres cubes de sols excavés ont servi à modeler une topographie originale et ludique : un bassin en forme de feuille, flanqué de collines pyramidales. Fruit d’une collaboration avec le sculpteur Jacek Jarnuszkiewicz, « il s’agit à la fois d’une prise de position environnementale et artistique; au lieu de faire des voyages de camion par centaines, on a créé un parc qui est une œuvre d’art », dit François Courville.

Lorsqu’on broie le béton trouvé sur place pour l’utiliser comme sous-couche, ou qu’on renonce au transport de vastes quantités de débris, le réemploi peut également être source d’économies. Mais quand il s’agit de valoriser des matériaux plus nobles, la gratuité vient parfois au prix d’une bonne dose de débrouillardise et d’ingéniosité. « Il faut alors regarder autour et se questionner, explique l’architecte paysagiste, voir ce qui se trouve à proximité. C’est comme ça qu’on peut saisir les opportunités, mais ça prend du temps et de l’énergie. »

C’est ainsi qu’il a conçu les aménagements extérieurs de la TOHU, une réalisation certifiée LEED-NC Or en décembre 2005. « Un de mes interlocuteurs, relate l’architecte paysagiste, était justement alors en train de démanteler un pont de voie ferrée et nous a offert gratuitement les dormants de bois. » Ceux-ci ont servi à bâtir la terrasse et les trottoirs extérieurs, alors que des roues de bicyclettes dénichées dans les conteneurs du centre de tri voisin ont été soudées pour créer des supports à vélo originaux.

François Courville

Plus récemment, lors du réaménagement de la Cité Desjardins de la coopération, à Lévis, François Courville a récupéré les blocs de granit d’un bâtiment destiné à la démolition. La pierre orne aujourd’hui le contour d’un bassin miroir dont l’empreinte au sol correspond à celle de l’ancien immeuble. « Ce n’était pas un choix économique, c’était davantage une question de mémoire, dit l’architecte paysagiste. C’est parfois aussi couteux, mais ça plait au client qu’on y consacre de l’énergie; la valeur ajoutée est philosophique. »

Les vies multiples de la matière

S’il constitue la forme ultime de conservation, le réemploi pose néanmoins un grand défi sur le plan de l’approvisionnement. En effet, il existe peu de canaux fiables pour l’achat de matériaux d’occasion et l’offre n’est ni variée ni compétitive. L’utilisation de produits à contenu recyclé représente en ce sens une avenue de choix pour les architectes paysagistes qui ont à cœur la conservation des ressources.

« L’utilisation de produits à contenu recyclé est envisagée pour tous les projets sur lesquels nous œuvrons, tout comme celle de matériaux disponibles sur place, et retenue chaque fois que c’est possible. C’est un acquis depuis plus de 15 ans », dit Lucie St-Pierre, pour qui cette pratique est appelée à prendre de l’ampleur dans l’avenir. Au premier chef, en raison d’une plus grande disponibilité de solutions sur le marché.

Lucie St-Pierre

Elle avance d’ailleurs que l’un des principaux obstacles à l’intégration de produits à contenu recyclé dans les aménagements paysagers était jusqu’à récemment la faible disponibilité de telles solutions, jumelée à une faible diversification des fournisseurs. « Mais l’offre tend à s’élargir, observe-t-elle. Il y a aujourd’hui des revêtements pour mobilier en plastique recyclé plus design, par exemple, alors que de plus en plus de fournisseurs proposent des finis s’apparentant au bois ou autre matériau. 

« Ce qui est nouveau, ajoute-t-elle, ce sont les bétons verts. Nos projets en spécifient depuis deux ou trois ans. » Le béton ternaire, qui contient des résidus postindustriels, serait équivalent, voire plus performant que la recette conventionnelle. 

Pour le réaménagement du parc Jean-Drapeau, à Montréal, l’équipe d’architecture de paysage de Lemay met à profit [au moment d’écrire ces lignes] du béton contenant de la poudre Verrox, un ajout cimentaire fait de verre recyclé postconsommation qui lui donne une couleur claire et le rend plus malléable. Ce béton sera utilisé pour constituer les trottoirs, des surfaces au sol et les bases de béton du mobilier urbain.

De plus, le revêtement granulaire du vaste amphithéâtre extérieur – 25 000 mètres carrés – intégrera possiblement une portion en criblure de verre. Cette solution, qui s’apparente au paillis de verre recyclé développé par Albert Mondor, sera utilisée pour amender la criblure de pierre concassée.

Paillis  - Photo de SAQ

« Nous prévoyons utiliser entre 15 à 20 % de verre recyclé dont la granulométrie sera étalée, donc avec de fines particules et de plus grosses, de façon à ce que la surface granulaire puisse bien se compacter et ainsi répondre à un usage intensif », note Lucie St-Pierre, en soulignant que le paillis de verre destiné aux plates-bandes semblait lui aussi être un matériau intéressant. Et qu’elle pourrait éventuellement envisager son utilisation, après l’avoir étudiée de façon plus approfondie.

Les bénéfices écologiques
  • L’utilisation de matériaux recyclés locaux réduit les distances de livraison, donc à la fois les coûts et les émissions de GES
  • La gestion des sols in situ réduit les émissions de GES dues à leur transport hors du site
  • Le recours à des matériaux à contenu recyclé diminue la consommation des ressources requises pour la production de matériaux neufs
  • Le recyclage permet la mitigation de problèmes environnementaux inévitables, par exemple l’agrile du frêne

 

Faire flèche de tout bois

Si on songe plus spontanément à la récupération des matières inertes, les arbres abattus constituent aussi une richesse à exploiter. L’agrile, un parasite du frêne, a laissé dans son sillage des mètres cubes de bois brut issu des coupes sur les terres publiques.

La collaboration de Lemay et des ateliers-ville de la Ville de Montréal a permis, grâce à des tests de séchage notamment, de valoriser ce bois peu utilisé en mobilier extérieur. Les lattes de frêne formeront les assises des sièges du parc Frédéric-Back au Complexe environnemental Saint-Michel.

« C’est une essence moins pérenne que d’autres, dit Lucie St-Pierre.  Mais puisque le bois était autrement destiné au dépotoir, la Ville s’est montrée ouverte à cette utilisation. »

L’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie a également transformé 200 frênes en mobilier urbain. Une cinquantaine de bancs multiniveaux et boîtes à fleurs estampillés  Frêne local ont été produits par un organisme de réinsertion socioprofessionnelle et installés au printemps 2016 le long des principales artères commerciales.