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22 janvier 2015

Par Sandra Soucy

La biophilie est appelée à changer la façon de concevoir des bâtiments durables. Regard sur une approche favorisant le bien-être des occupants.

Le concept de biophilie, tel que défini par le psychanalyste américain Erich Fromm, est l'amour de tout ce qui est vivant. Ce terme, introduit dans la littérature scientifique en 1984 par Edward Osborne Wilson, entomologiste et biologiste américain de renom, traduit dans les faits le besoin humain inné de vivre intrinsèquement avec son environnement naturel. Ce sentiment puise ses racines au cœur de notre longue évolution qui s'établit sur des millions d'années où l'homme ne faisait qu'un avec son milieu. De nos jours, l'introduction de la biophilie au sein des espaces bâtis participerait à satisfaire notre attirance instinctive pour la vie sous toutes ses formes, tout en enrichissant l'expérience humaine. 

La science a clairement démontré que la connexion sensorielle avec la nature a des effets psychophysiologiques positifs sur la santé et le bien-être de l'homme, mais force est de constater que les sociétés urbaines sont trop souvent privées de ce contact. Le lien instinctif entre l'humain et d'autres organismes vivants existe bel et bien, et il est désormais possible d'évaluer l'impact profond de ces données dans un environnement bâti. Et, du coup, d’appliquer des principes biophiliques lors de la conception des bâtiments et des espaces, tant intérieurs qu’extérieurs, afin de satisfaire ce besoin fondamental. 

Il est prouvé que l'intégration d'éléments naturels tels l'air frais, la lumière du jour et l'eau dans un bâtiment, procure un impact positif sur les résultats financiers d'une entreprise, sur le bien-être émotionnel du personnel qui y évolue, sur le mode d'apprentissage des étudiants ainsi que sur la santé de patients hospitalisés. L'éclairage naturel et l'accès aux vues extérieures seraient les attributs principaux pour qu'un individu puisse atteindre un degré de satisfaction élevé par rapport à son espace de vie. On reconnaît maintenant que les entreprises qui considèrent leurs employés comme étant leur plus grande valeur sont les plus rentables. 

Les plus audacieux appliquent déjà les principes biophiliques lors de la conception de leurs projets. Comme ce fut le cas notamment pour le parc aérien newyorkais High Line, construit sur une ancienne voie ferrée de transport de marchandise ; les jardins communautaires de Sydney ; Une ville dans un jardin, à Singapour ; et l’Omega Center for Sustainable Living, dans l’État de New York. 

Pour paraphraser E.O. Wilson, le principe de biophilie doit être conçu de façon à inclure des éléments favorisant l'attirance humaine vers des systèmes et des processus naturels. Ainsi, pour raviver les liens entre nature et humains, il faut voir à inclure dans les bâtiments différentes caractéristiques environnementales : couleurs inspirées de la nature, plantes, murs végétaux, géologie, etc. Les formes naturelles, comme les motifs botaniques, d'animaux, de coquillages, de spirales et de volutes, participent également à ce principe. 

Les schémas et processus naturels allant de la variabilité sensorielle (variations de température dans une pièce donnée), l'aspect de la patine du temps, les ouvertures ouvragées au même titre que l'espace et la lumière, les relations territoriales (sentiment d'appartenance à un lieu géographique, à une histoire, à une culture) y trouveront également leur place. Tout comme l'évolution du rapport homme-nature (perspective et refuge, ordre et complexité, sécurité et protection, attirance et beauté). 

Traditionnellement, l'homme s'est évertué à améliorer son chez-soi et son environnement de travail afin d'augmenter son niveau de confort et de productivité. Pour ce faire, il a su tirer profit des avancements technologiques pour améliorer la santé et le bien-être des occupants du bâtiment, mais en ignorant leurs besoins physiologiques. 

Bénéfices biophiliques

Les développements récents sur le plan de la compréhension des systèmes naturels, conjugués avec une prise de conscience des fonctions plus subtiles neurologiques et physiologiques associées au contact avec la nature, ont permis d'élaborer des stratégies reliées à un mode de construction plus écologique, voire plus biophilique, ceci afin d'augmenter la croissance économique, d'améliorer la productivité et de renforcer le tissu social des communautés. En adoptant les meilleures conceptions possibles, tout en intégrant la relation au vivant, le cadre de vie des occupants se voit grandement amélioré et les liens entre la nature et les humains, ravivés. 

Au cours des 20 dernières années, des études portant sur l'attirance de l’humain envers la nature ont permis de recueillir des preuves convaincantes révélant que la relation qu’il entretient avec celle-ci a des retombées positives sur sa productivité. Les gens sont plus en santé, plus heureux et plus productifs dans des lieux où circule une excellente qualité d'air, où pénètre de la lumière naturelle, où les conditions thermiques et acoustiques sont performantes et où l'on peut conserver des liens avec l'extérieur. 

La mise en place d'éléments et de systèmes naturels, ou d'éléments qui imitent la nature à l'intérieur de l'environnement bâti, amoindrit les impacts négatifs du stress, réduit le taux d'absentéisme et favorise des comportements cognitifs positifs au bien-être général des occupants. Toutefois, l'aménagement extérieur des édifices à vocation publique demeure souvent en reste. Il est établi qu'un enfant en milieu scolaire passe en moyenne 25 % de son temps dehors, dans une cour d'école dont les espaces sont majoritairement asphaltés et où les arbres et autres végétaux brillent tristement par leur absence. Ces élèves seraient de plus en plus menacés par ce que les spécialistes appellent le trouble déficitaire de la nature (Natural Deficit Disorder). 

Un corpus de recherche de plus en plus étoffé signale clairement le lien direct entre la santé mentale, physique et spirituelle et le rapport avec la nature qui s'avère tout aussi essentiel qu'une bonne alimentation et qu'une qualité adéquate de sommeil pour qu'un enfant puisse s'épanouir sainement. Un projet de réaménagement intérieur ou paysagé auquel seraient appliqués les principes biophiliques, peut avoir un plus grand retentissement que l'on croit et dépasse largement l'aspect esthétique ou décoratif de l'espace de vie. 

Écologie et biophilie

 Il faut toutefois éviter de confondre principes biophiliques et mouvement écologique. Ce dernier se veut d'abord une réflexion sur les économies d'énergie et sur une démarche respectueuse de l'environnement. Lors de la conception d'un bâtiment vert, les mesures élaborées visent l'atteinte d'objectifs directement liés au confort physiologique des occupants. Or, la majorité des conditions requises d'un projet LEED, par exemple, ne satisfait qu'en partie au confort psychologique sous-jacent au bien-être de l'individu. 

L'éclairage naturel serait l'aspect le plus important pour rehausser le degré de satisfaction d'un employé face à son environnement de travail. Toutefois, le critère LEED minimal en éclairage naturel (facteur LDJ) ne s'élève qu'à environ 2 % ; trop faible pour l'accomplissement de la plupart des tâches et nettement insatisfaisant pour répondre aux besoins physiologiques et psychologiques des occupants. 

Pour mettre en perspective ces besoins, et afin d'effectuer une tâche de lecture ou d'écriture, le facteur lumière du jour devrait s'élever à 5 %. Même que pour accomplir une tâche de précision, ce facteur devrait atteindre 10 %. Pour répondre aux besoins biophiliques, des objectifs élevés en éclairage naturel devront être atteints, et ce, en évitant des consommations d'énergie excessives. 

Le défi biophilique est grand. Bien qu'à la fine pointe de la conception de bâtiments écologiques, cette tendance n'a pas encore pris son essor. Peut-être s'agit-il d'un manque de données sur l'impact du design biophilique sur le mieux-être des occupants d’un bâtiment ? Mais une chose est certaine : les principes biophiliques doivent s'inscrire dans le tissu social d'une ville.  En favorisant la synergie entre l'humain et la nature, c'est toute une communauté qui se dote de moyens pour atteindre une qualité de vie des plus élevées et en tirer avantage.

Montréal aura l'occasion de se démarquer dans la foulée du concours d'architecture international lancé à l’hiver par Espace pour la vie. Avec dans sa mire trois projets (Métamorphose de l'Insectarium, Biodôme renouvelé et Pavillon de verre du Jardin botanique), cette compétition vise à reconnecter l'humain à la nature. À telle enseigne que l’application des principes de la biophilie sera prise en considération pour ces réalisations à venir.  La biophilie ne répond pas qu'à un simple phénomène de mode, et bien qu'elle avance à petits pas, elle est vraisemblablement engagée dans la bonne direction.

Six objectifs

Les six critères de design d'une architecture adoptant les principes de la biophilie selon Jason McLennan (The Philosophy of Sustainable Design, Kansas City, Ecotone, 2004):

  • permettre la perception des variations cycliques saisonnières et journalières des conditions lumineuses et thermiques ;
  • relier les individus aux conditions extérieures en offrant un accès aux vues et à l'éclairage naturel ;
  • redonner à l'occupant le contrôle de la gestion de son confort thermique, de la ventilation et de la lumière naturelle ;
  • utiliser la lumière naturelle comme principale source d'éclairage ;
  • employer des matériaux sains et durables qui ne requièrent que peu d'entretien ;
  • adopter des stratégies passives de ventilation naturelle et de chauffage.