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Favoriser le redéveloppement des friches urbaines

24 septembre 2018
Par Léa Méthé

Le redéveloppement des friches industrielles se trouvant soit en périphérie urbaine, soit à l’intérieur même du tissu bâti, s’accompagne de bénéfices et ce tant sur le plan environnemental, économique que social. Mais encore faut-il d’abord les réhabiliter.

En raison de la proximité des infrastructures, pôles d’emploi, activités culturelles et réseaux de transport, les terrains situés au centre des villes commandent des valeurs foncières élevées. Or, au cœur de toutes les villes du Québec, de vastes propriétés demeurent vacantes. Les bâtiments décrépissent, aimés seulement des graffiteurs. Héritage de pratiques industrielles d’une autre époque, la contamination des sols se pose comme l’enjeu central du redéveloppement de ces friches urbaines.

Des solutions techniques existent pour remédier à la situation. Et toutes les raisons sont bonnes pour se débarrasser de ce lourd passif environnemental : « La présence de terrains contaminés peut avoir un impact sur la santé humaine. Le cas des lagunes de Mercier est l’exemple le plus grave. Si on se préoccupe de la qualité de notre eau, c’est un enjeu aussi important que les oléoducs », fait valoir Laurent Pilon, coordonnateur, Sols et Eaux souterraines chez Réseau Environnement. Dans une perspective sociale, le développement des friches contribue à la densification des villes et à la consolidation du tissu urbain ; on est clairement dans le développement durable.

Surmonter les obstacles 

Trois facteurs principaux freinent la requalification. D’abord, la réhabilitation des sols coûte cher. Selon la source et l’intensité de la contamination, elle coûte au bas mot 20 dollars la tonne et peut aller jusqu’à 400 dollars la tonne pour se débarrasser des polluants cancérigènes et persistants comme les biphényles polychlorés (BPC) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

Laurent Pilon et George Blouin

Ensuite, l’évaluation des coûts est hasardeuse puisqu’il faut échantillonner les déblais en cours d’opération et gérer la décontamination en fonction des résultats. Les institutions financières perçoivent là un risque et deviennent frileuses lorsque vient le temps d’avancer les sommes nécessaires. Finalement, la disponibilité des capitaux est d’autant plus élusive pour des projets institutionnels, sans but lucratif ou ceux qui visent à créer des espaces verts.

Pour pallier cet échec du marché, le gouvernement provincial octroie périodiquement des subventions. Le programme ClimatSol Plus a été lancé en avril 2017 (une mise à jour a été annoncée le 14 septembre 2018). Le volet 1 est assorti d’une enveloppe de 30 millions sur trois ans et contribuera jusqu’à un million de dollars à des projets de bâtiments durables certifiés Novoclimat ou LEED. Le volet 2 est pourvu d’une enveloppe de 25 millions, sur cinq ans, et soutient des projets commerciaux, industriels ou collectifs porteurs pour le développement économique local.

Laurent Pilon estime que ces montants ne sont pas encore conséquents avec l’ampleur du problème ou l’avantage collectif d’y faire face. « C’est un premier pas positif, dit-il. Des friches contaminées, on en découvre tous les jours. De son côté, Réseau Environnement avait proposé au gouvernement de créer un Fonds d’aide à la réhabilitation de 300 millions de dollars. »

Pour soutenir cette proposition, une étude de 2012 commandée par l’organisme et menée par Daniel Gill, à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal, évaluait qu’une participation gouvernementale réelle se situant entre 5 et 15 % des coûts de réhabilitation se traduirait par des investissements privés totaux de 100 à 300 fois supérieurs à la subvention versée.

« C’est une forme d’interventionnisme ; il s’agit de financer une activité économique rentable, rappelle Laurent Pilon. Si on n’intervient pas, ce passif environnemental reste là. C’est à notre avantage de l’éliminer. »

Consolider la ville

Le promoteur de Québec Synchro Immobilier a fait des sites urbains son créneau. La plupart du temps, les lots qu’il convoite sont contaminés. Lorsque l’entreprise acquiert un terrain, elle fait faire des expertises afin de chiffrer le plus précisément possible les coûts de décontamination. « Il faut contrôler le risque parce que la contamination peut compromettre grandement la viabilité d’un projet. On compte toujours de 10 à 20 % d’imprévu juste pour ce poste », explique le président de l’entreprise, George Blouin.

Sychro a obtenu une subvention du programme ClimatSol pour un projet de logement social dans le secteur Saint-Sauveur contaminé par des hydrocarbures et métaux lourds. C’est toutefois sans le soutien public que l’entreprise a développé le projet Le Kaméléon sur le site d’une ancienne station-service Ultramar dans le quartier Saint-Roch. « On était prêts à prendre un risque et à réduire notre mark-up pour faire un beau projet dont on est fiers », ajoute le promoteur. Celui-ci se félicite d’avoir réussi à bâtir là ou d’autres ont renoncé, mais invite toutefois le gouvernement provincial à reconsidérer les conditions d’admissibilité au programme ClimatSol-Plus, qui à son avis sont trop contraignantes pour des montants d’aide somme toute modestes.

« Le but, c’est que les projets se fassent, note George Blouin. Il y a bien sur un gain pour le promoteur, mais il y a aussi un gain pour les occupants qui vivent dans un quartier central où il y a une effervescence. Ça occasionne une hausse des valeurs foncières et des revenus de taxes en plus de participer à créer des milieux de vie intéressants. Le public doit assumer une partie du risque pour qu’on puisse contribuer à créer des villes compactes et durables. »

Contrer la disposition illégale

Gagnante sur tous les plans ? La revalorisation des terrains contaminés telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui présente un écueil majeur. Des épisodes ponctuels révèlent que des entreprises délinquantes sévissent dans l’industrie et sont notamment responsables de la disposition illégale. Des polluants comme des métaux lourds ou des hydrocarbures sont ainsi répandus dans des boisés ou sur des terres agricoles. Non seulement le problème est déplacé, mais aussi il devient alors intraçable et sa gravité est accentuée du fait qu’il peut empoisonner des cours d’eau ou des cultures. 

« Personne n’a idée de l’envergure de la disposition illégale, mais on a plein de cas prouvés et chaque tonne est en trop », fait valoir Jean Lacroix, président-directeur général de Réseau Environnement. L’organisme, qui dénonce ces pratiques auprès du gouvernement depuis trois décennies a donc pris les choses en main avec l’élaboration d’un système de traçabilité crypté et sécuritaire fonctionnant sur une base volontaire. « On a développé des outils qui permettent au marché de s’autoréguler et qui donnent des résultats. J’aime responsabiliser l’industrie », confie-t-il.

Le système Traces Québec repose entre autres sur l’information nuagique et fonctionne par le biais d’une application mobile qui suit en temps réel le déplacement des sols contaminés. Il comprend une pesée à la sortie du site et à l’arrivée pour prévenir les substitutions. La prise de photo de la licence du camion et l’émission d’un manifeste en ligne s’ajoutent à la géolocalisation du tracé pour assurer que tous les participants à l’opération sont en règle.

Une fois cette mécanique en place, Réseau Environnement compte sur le gouvernement pour agir comme levier : « On avance la solution et le gouvernement met les ressources et les règlements pour baliser les pratiques. On règle notre passif environnemental en mettant tous les acteurs à l’œuvre pour régler le problème », dit Jean Lacroix.

Toutes les données sont gérées de manière confidentielle, à l’exception de celles relatives au tonnage total transigé dans le réseau qui seront partagées. Ces données permettent de faire le portrait des volumes à décontaminer, ce qui est essentiel au modèle d’affaires des entreprises de remédiation.

Les solutions de réhabilitation

Par Michel Bouchard

Il existe de nombreuses techniques éprouvées pour procéder à la revalorisation de sols. Chaque technique a ses champs d’application désignés.

« Si on part avec la prémisse de base que l’enfouissement de sols contaminés n’est pas l’option idéale, on peut séparer les solutions de traitement en deux grandes catégories : l’analyse de risque et le traitement à proprement dit », précise Laurent Pilon.

L’analyse de risque est une technique qui vise à évaluer les dangers – pour l’humain comme pour l’environnement – de laisser certains contaminants enfouis. On procède à une étude pour déterminer les risques toxicologiques et écotoxicologiques.

Méthodes de traitement 

Quant au traitement, il se décline en plusieurs mesures éventuelles. « On peut traiter un contaminant par dégradation, en le rendant moins toxique ou en l’immobilisant. Par exemple, il n’est pas possible de transformer les métaux lourds, mais on peut notamment les confiner pour les rendre moins toxiques. »

Le traitement biologique, le plus répandu, consiste à utiliser des amendements qui accélèrent la dégradation naturelle des composés organiques. « Ces molécules complexes, note Laurent Pilon, peuvent se traiter avec des bactéries qui s’en nourrissent. »

La méthode biologique crée un environnement idéal qui optimise l’efficacité des bactéries en offrant un meilleur apport en humidité, en carbone et en oxygène. Par contre, cette technique nécessite de l’excavation et un traitement sur place ou hors site.

Dans la deuxième grande catégorie, on retrouve l’oxydation et la réduction chimique, qui agissent tout en laissant les sols en place. « Le traitement se décline par l’injection de produits réactifs dans les sols, soit des oxydants ou des réducteurs puissants. On utilise du peroxyde d’hydrogène, de l’ozone ou du permanganate de potassium, qui ont des propriétés d’oxydation élevées. Avec les composés organiques, cette solution est très efficace. »

Techniques émergentes 

Il existe d’autres manières de revaloriser les sols contaminés. « Il y a des techniques émergentes comme la phytorestauration, qui tire profit de la capacité des végétaux à dégrader les polluants directement du sol via le système racinaire et à les évacuer via les parties aériennes. Son défaut demeure la durée du traitement, car elle se fait sur des décennies et non sur des semaines. Par contre, c’est l’une des rares technologies en mesure de traiter les métaux. 

Quant au traitement par solidification-stabilisation, il se résume par une transformation du sol en utilisant un mélange de béton ou d’argile, par exemple, qu’on injecte afin de rendre les contaminants immobiles et inertes.

Enfin, le traitement par pyrolyse s’avère très efficace et polyvalent, mais il est moins répandu, puisqu’il nécessite des équipements spécifiques. L’objectif de la pyrolyse consiste à liquéfier le contaminant en le chauffant pour le séparer du sol.

Projet pilote de traçabilité

Les terrains du futur écoquartier du Technopôle Angus, à Montréal, feront l’objet d’un projet pilote de traçabilité des sols contaminés. Il sera mené par Réseau Environnement, la Ville et le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

Ce projet pilote, le second du genre lancé à Montréal depuis le début de 2018, permettra de poursuivre la décontamination des sols de l’ancien site industriel Angus, tout en contribuant à la définition des caractéristiques auxquelles devrait répondre toute solution de traçabilité au Québec s’il advenait que le recours à un tel système soit requis par règlement.