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Jouer la carte de la préfabrication

1 août 2018
Par Jean Garon

L’intégration de composantes préfabriquées dans le design des bâtiments s’inscrit résolument dans une perspective durable.

La préfabrication en usine d’éléments entrant dans la conception et la construction de bâtiments gagne du terrain au Québec. Le directeur de projet en développement durable chez Lemay, Hugo Lafrance, constate en effet une progression continue du développement et de l’utilisation d’éléments préfabriqués dans la construction de bâtiments depuis une dizaine d’années. 

Il remarque toutefois qu’il y a encore de la résistance chez les clients et dans l’industrie de la construction en général, un milieu très conservateur composé d’une multitude de petits joueurs. En outre, il déplore le fait que la réglementation énergétique n’a pas beaucoup évolué en raison des coûts d’énergie très bas qui ne favorisent pas la réduction de la consommation énergétique, ni l’intégration de mesures d’efficacité sur ce plan. 

Il faut dire que malgré les avancées en préfabrication observées chez les fabricants, le Québec est loin d’être précurseur en la matière. Encore aujourd’hui, les bâtiments sont majoritairement construits à la pièce, à pied d’œuvre au chantier, selon un mode traditionnel artisanal où plusieurs corps de métier interviennent en séquences cloisonnées, et ce, dans des conditions climatiques variables. 

Hugo Lafrance, Roger-Bruno Richard  et Joël Courchesne

Roger-Bruno Richard, architecte et professeur titulaire à l’École d’architecture de l’Université de Montréal, explique la situation par le fait que le bâtiment est considéré ici comme un service plutôt qu’un produit. Dans cette approche traditionnelle, les bâtiments sont conçus par des professionnels choisis par les clients et construits à pied d’œuvre par une armée de sous-traitants comme autant de prototypes, en réinventant le modèle chaque fois. 

Cette approche est jugée moins productive et moins durable parce qu’elle nécessite évidemment plus de ressources, entraîne souvent des délais de livraison et des dépassements de coût, avec pour résultat des produits de qualité variable dont les performances ne sont pas toujours compatibles avec la notion de développement durable. Bref, tout le contraire de ce que propose Roger-Bruno Richard avec son concept de systèmes constructifs industrialisés. 

Bien qu’il y ait tous les fabricants qu’il faut ou presque pour industrialiser la fabrication des bâtiments, assure-t-il, le Québec accuse du retard sur ce plan en regard de ce qui se fait en Asie et en Europe. « Le manufacturier d’ici produit à peine quelques centaines de maisons usinées par année alors que le manufacturier japonais en produit quelques milliers. À Hong Kong, 54 % des logements sont construits en panneaux muraux préfabriqués en béton. À Singapour, tous les projets construits sur des terrains cédés par le gouvernement ou recevant un appui financier gouvernemental doivent recourir à un système certifié « PPVC » (Prefinished Prefabricated Volumetric Construction). En Angleterre, on construit même des hôpitaux et des immeubles de bureaux en modules 3D préusinés. » 

Industrialiser les systèmes

Quand il parle de systèmes constructifs industrialisés, Roger-Bruno Richard évoque l’idée d’appliquer au bâtiment les stratégies et technologies d’industrialisation pour rendre l’architecture de qualité accessible au plus grand nombre. Pour lui, la préfabrication n’est que le plus fondamental des cinq degrés de l’industrialisation, les quatre autres étant la mécanisation, l’automatisation, la robotisation et la reproduction. Il rappelle que  « toutes ces technologies ont pour but de simplifier la production. » 

Jouer la carte de la préfabrication - Photo de BPDL

À l’instar d’autres productions industrialisées comme celles des automobiles ou des ordinateurs, par exemple, il estime qu’il y a lieu de faire la même chose avec le bâtiment. Selon lui, les stratégies de production de bâtiments à l’aide de systèmes constructifs industrialisés permettent de concevoir et de créer des produits individualisés de qualité, en grande quantité et, de surcroît, pouvant répondre aux besoins individuels de chaque client. 

Ça peut sembler paradoxal, mais à son avis, l’industrialisation favorise l’individualisation des produits. Il donne comme exemple les cloisons mobiles qui permettent d’organiser l’espace habitable d’un bâtiment en fonction des besoins évolutifs des occupants. 

Autre exemple : il est possible de construire des bâtiments complètement adaptables à partir d’une ossature à laquelle sont greffés des systèmes d’enveloppes, de planchers, de cloisons et de services préusinés comme le démontre l’édifice NEXT 21 à Osaka. La configuration de ces bâtiments peut être changée en fonction des besoins et de la personnalité des occupants, et ce, en réutilisant 90 % des composants. Même chose lorsqu’il s’agit d’assembler des modules préfabriqués, comme un jeu de mécano, dont les combinaisons variées permettent de produire des bâtiments individualisés et recyclables. 

Favoriser la durabilité

Il n’y a pas de doute dans l’esprit de plusieurs experts du milieu du bâtiment que les systèmes constructifs préfabriqués sont les meilleurs alliés du développement durable. Comme le souligne l’architecte Joël Courchesne, président de Courchesne et associés, « la production des systèmes en usine assure un meilleur contrôle de la qualité des produits. Elle permet aussi une économie de ressources et d’énergie, tout en réduisant les déchets ». 

Jouer la carte de la préfabrication - Photo de BPDL

À titre d’exemple, la préfabrication des systèmes d’enveloppe en usine rend possible une meilleure efficacité énergétique, en termes d’isolation et d’étanchéité, qui limite jusqu’à 0,3 changement d’air à l’heure. Ces systèmes permettent en plus un assemblage rapide au chantier et peuvent offrir des finis variés au plan esthétique. 

Il juge donc pertinent de recourir davantage aux systèmes constructifs préfabriqués dans le domaine du bâtiment durable. Il reconnaît qu’il commence à se faire de beaux projets dans certains secteurs du bâtiment, plus spécialement dans les bâtiments commerciaux en hauteur, en acier, en béton et aussi en bois avec les produits préfabriqués en CLT. 

Selon lui, le plus grand obstacle est de nature financière avec la pratique persistante du plus bas prix. « La préfabrication de bâtiments performants et durables coûte peut-être un peu plus cher en ce moment, dit-il, mais ça pourrait revenir moins cher si on retrouve l’option dans les catalogues de produits, et ce, sans que ça rebute le marché. » 

Pour accélérer l’industrialisation des systèmes constructifs, Roger-Bruno Richard croit finalement qu’il faudrait soit un grand joueur capable d’amortir des procédés simplifiant la préfabrication de grands volumes, soit l’agrégation d’un marché ou encore un grand projet institutionnel (scolaire ou autre) qui ne soit pas fragmenté et réparti entre plusieurs petits joueurs. 

Intégration évolutive

Au Québec, l’intégration de la préfabrication à la construction de bâtiments s’est principalement limitée, jusqu’à présent, à l’incorporation de matériaux et de produits usinés, et ce, de façon complémentaire à l’activité artisanale au chantier. Il est maintenant démontré dans plusieurs pays d’Europe et d’Asie que les systèmes constructifs préfabriqués représentent la voie de l’avenir dans le domaine des bâtiments pour leur plus grande économie financière et matérielle, leur adaptabilité aux besoins des clients dans le temps et l’espace, et leur durabilité.

 

Types de systèmes préfabriqués
  • Les éléments structuraux tels que les poutres, les colonnes, les solives, les dalles de plancher et les fermes de toiture, incluant également les modules complets en sections préfabriquées en bois, en acier ou en béton.
  • Les éléments de l’enveloppe préusinés tels que les panneaux muraux en béton, en acier, en bois lamellé-croisé ou à ossature légère en bois; les panneaux sandwich pour façade et toiture; les modules de murs et façades préfabriqués en matériaux composites; les murs-rideaux en aluminium et en verre, sans oublier les portes et fenêtres de toutes sortes.
  • D’autres systèmes constructifs préfabriqués comme les cloisons intérieures amovibles et démontables; les équipements de cuisine et de salle de bain (armoires, comptoirs, îlots); les systèmes de revêtement de finition intérieure et extérieure (parements muraux et de toiture, plafonds, couvre-planchers, etc.).

 

Applications privilégiées
  • En habitation, la maison usinée personnalisée, en panneaux ou en modules, incorpore à peu près tous les sous-systèmes (structure, enveloppe, cloisonnement, équipement et finition). Il ne reste à réaliser au chantier que les fondations et les connexions mécaniques, électriques et sanitaires.
  • Dans le domaine industriel, les systèmes constructifs préfabriqués permettent d’assembler au chantier les éléments structuraux (ossature en acier ou en béton), incluant les murs porteurs et les toitures isolés pour l’enveloppe, ainsi que les murs de partitions amovibles et les dalles de plancher intérieures.
  • Dans les domaines commercial et institutionnel, les éléments de la structure et de l’enveloppe en acier, en béton ou en bois lamellé-croisé sont assemblés au chantier. Il en va de même pour les cloisons intérieures, les dalles de plancher, surélevées ou pas, pour la distribution des services et les plafonds suspendus pour accueillir les sous-systèmes mécaniques et électriques.

 

Multiples avantages
  • Simplification de la production grâce à des technologies de mécanisation et d’automatisation qui réduisent les besoins de main-d’œuvre spécialisée et les coûts.
  • Meilleure productivité en usine durant toute l’année en raison de son environnement non exposé aux intempéries et aux variations de température.
  • Meilleure contrôle de qualité des produits en utilisant des matériaux modulaires et de l’outillage de précision qui limitent les pertes et les défectuosités.
  • Plus grande adaptabilité d’assemblage grâce à des joints mécaniques qui facilitent le montage et le démontage.
  • Réduction du temps de construction en permettant une livraison et un amortissement de l’investissement plus rapides.
  • Réduction de la consommation d’énergie et de ressources.
  • Réduction des matières résiduelles et de la pollution.
  • Réduction des intervenants et des interventions au site d’assemblage.

 

Résidence étudiante de l’ÉTS

Résidence étudiante de l’ÉTS - Photo de BPDL

La phase 4 des résidences étudiantes de l’École de technologie supérieure a obtenu la certification LEED-NC Platine l’hiver dernier. Le bâtiment montréalais de neuf étages a mis à profit l’usage de panneaux muraux préfabriqués en béton pour l’enveloppe, incluant l’isolation, l’étanchéité et les ouvertures. En plus d’incorporer 48 % de contenus régionaux et recyclés et de réduire la quantité de matières résiduelles, ce système constructif à jointement mécanique s’est avéré plus économique et plus rapide d’exécution en impliquant moins de corps de métier et de séquences de travaux au chantier.

 

Complexe résidentiel Loggia

Loggia - Photo de Les Industries Bonneville

En 2017, Les Industries Bonneville ont érigé à Saint-Lambert l’immeuble résidentiel Loggia, un premier bâtiment de six étages en modules préfabriqués à ossature de bois au Québec. L’assemblage des modules au chantier a été effectué par une équipe d’une douzaine de travailleurs et une grue. Les 78 modules de l’immeuble ont été assemblés en seulement sept jours. Pendant que Bonneville construisait les unités en usine, l’entrepreneur général et ses sous-traitants s’affairaient à la préparation du site et des fondations. Une fois les modules boulonnés, il ne restait plus qu’à compléter les raccordements mécaniques, électriques et sanitaires, ainsi que les travaux de parement extérieur et de finition.

 

Projet  NEXT 21

NEXT 21 - Photo de Roger-Bruno Richard

Le bâtiment NEXT 21 construit à Osaka, au Japon, est considéré comme l’immeuble multifamilial le plus adaptable au monde. Sa structure d’accueil en béton préfabriqué offre une trame intégrant la distribution des services entre les espaces privés des logements et les espaces communs. L’enveloppe et la configuration des logements sont modifiables selon la personnalité des occupants.

 

Projet Loblolly House

Loblolly House - Photo de KieranTimberlake

La conception de cette résidence privée (Loblolly House) à Taylors Island, au Maryland (É.-U.), est inspirée du concept de maison construite dans les arbres. Elle a été conceptualisée à 100 % en BIM et construite sur pilotis en éléments préfabriqués en bois assemblés sur place en seulement six semaines. Elle peut être démontée et réassemblée ailleurs, sans aucune perte.