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Le ciel s’éclaircit pour l’énergie solaire au Québec

4 juin 2010
Par Michel De Smet

Le recours au soleil comme source d’énergie pour les bâtiments demeure encore marginal au Québec. Mais le ciel semble en voie de s’éclaircir pour cette filière, surtout du côté du solaire thermique.

L’énergie solaire prend très lentement racine en sol québécois, voir difficilement, comme l’illustre son faible poids dans le bilan énergétique provincial : moins de 1 %. Malgré que le mouvement en faveur du bâtiment durable contribue à stimuler le recours au solaire, ces années-ci, il reste que le développement de cette filière est grandement ralenti par le faible coût de l’hydroélectricité, une énergie qui est également propre et renouvelable il faut le dire. Sans compter l’absence, ou presque, de programmes de soutien gouvernementaux.


 «  Il n’existe virtuellement pas d’incitatifs financiers (directement dédiés au solaire) au Québec pour donner un coup de pouce au solaire pour les bâtiments industriels, commerciaux ou institutionnels, souligne Jean-Pierre Desjardins, chargé de cours au département des Sciences de la terre et de l’Atmosphère à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Et les choses ont peu de chance de bouger à court ou moyen terme puisque, dans sa Stratégie énergétique pour 2006-2015, Québec ne fait qu’évoquer, sans déterminer de cibles précises, le développement de l’énergie solaire sur son territoire. »


Ailleurs dans le monde, le recours obligé aux combustibles fossiles et la prise de conscience environnementale stimulent la croissance de l’énergie solaire comme des autres ressources renouvelables. C’est le cas notamment de l’Allemagne et de la Chine. Tout près de nous, l’Ontario adoptait en mai 2009 son Green Energy Act, qui met notamment en place le premier programme de tarifs de rachat garantis pour les énergies renouvelables en Amérique du Nord.
« C’est le programme d’achat d’électricité solaire le plus généreux en Amérique du Nord, avance Christian Vachon, président d’Enerconcept Technologies, une entreprise de Magog spécialisée dans le solaire thermique, qui met toutefois en garde contre l’octroi de subventions gouvernementales trop généreuses. Il rappelle que lorsque l’État décide de se désinvestir brutalement, l’industrie solaire s’effondre. 
« Cela s’est produit récemment en Espagne, illustre-t-il, et c’est déjà arrivé au Québec. Dans les années 70, Ottawa s’est mis à subventionner largement les installations solaires. Ensuite, le gouvernement fédéral a aboli du jour au lendemain son aide et l’industrie solaire canadienne et québécoise s’est volatilisée. On peut en retirer la leçon suivante : les subventions sont nécessaires, mais le désinvestissement de l’État doit être progressif. »


En théorie, le soleil constitue une source d’énergie idéale. Son rayonnement représente un bassin énergétique qui pourrait satisfaire 10 000 fois la consommation mondiale annuelle. « Mais dans la réalité, bien des obstacles viennent perturber son captage optimal. D’abord, l’énergie solaire est non uniforme en raison notamment de variations journalières, saisonnières et climatiques. Sans oublier les perturbations au sol comme les rayonnements directs ou diffus », précise Jean-Pierre Desjardins qui est également vice-président d’Énergie solaire Québec. 


L’énergie solaire peut servir à une vaste quantité d’usages, mais la faveur populaire va toutefois pour l’heure au chauffage des piscines en Amérique du Nord. C’est ce que confirme une étude du ministère fédéral des Ressources naturelles qui souligne qu’en 2007-2008, 71 % des surfaces de captage solaire installées concernaient des capteurs de plastique pour le chauffage de l’eau de piscine. Les immeubles commerciaux arrivaient en seconde place avec 26 %.
Soulignons qu’il existe essentiellement deux manières de tirer profit de l’énergie solaire.  La première consiste à la capter au moyen de panneaux métalliques ou plastiques. Il s’agit d’une méthode passive permettant de récupérer une partie de sa chaleur. C’est le solaire thermique. L’énergie peut aussi être captée grâce à des panneaux composés de cellules photovoltaïques.  Dans ce cas, elle est convertie en électricité par le système photovoltaïque faisant de l’utilisateur non plus un simple consommateur d’énergie, mais aussi un producteur d’électricité.


Perspectives d’avenir

Au Québec, le solaire thermique semble promis à un certain avenir. Alexandre de Gagné, président de l’Association québécoise de l’industrie solaire, souligne que la popularité relative du thermique s’explique par son coût abordable. « Le thermique l’emporte haut la main sur le photovoltaïque, affirme-t-il. En effet, pour produire la même quantité de chaleur avec un système photovoltaïque, il faudra débourser trois à six fois plus selon que l’on a affaire à un chauffage de l’air ou de l’eau. »


À peu de frais, il est ainsi possible de faire des gains de 15 % sur la facture de chauffage en hiver en installant des fenêtres doubles, ou triples, équipées d’une membrane qui laisse pénétrer les rayons UV réduisant par effet de réflexion la déperdition de chaleur. Le solaire thermique présente de plus l’avantage de sa simplicité de conception. « C’est une technique bien plus ancienne que le photovoltaïque et qui a atteint son stade de maturité », observe Eddy Cloutier, directeur du département développement durable au sein de la firme de génie-conseil Bouthillette Parizeau.« Pour les bâtiments à grande surface, précise l’ingénieur montréalais, il suffit de déployer des panneaux de métal, préférablement de couleur noire pour faciliter l’absorption de la chaleur. L’important, c’est de bénéficier d’une bonne orientation de l’immeuble par rapport au soleil, sans qu’il y ait d’obstacles comme des arbres ou des édifices voisins de grandes tailles. »


Pour lui, il demeure nettement plus rentable d’intégrer un système thermique lors de la construction d’un immeuble que de l’installer sur un édifice existant. « Tout édifice comporte des murs, rappelle-t-il. Par conséquent, on choisira celui qui est le mieux orienté par rapport au soleil et on y incorporera un parement à la place de la brique avec ajout d’un système de contrôle et d’un ventilateur afin d’éliminer l’effet de statique. Un mur solaire de ce type s’amortit en deux ou trois ans. Par contre, s’il faut l’ajouter a posteriori à un bâtiment existant, on parle plutôt d’un amortissement sur sept ou huit ans. »
En comparaison du solaire thermique, l’énergie photovoltaïque fait figure de parent pauvre, même si cette industrie croît de 25 à 30 % par année au Canada. Yves Poissant, spécialiste et gestionnaire de projet en technologies photovoltaïques chez CanmetÉNERGIE, à Varennes, explique : « Produire de l’énergie photovoltaïque au Québec coûte cinq fois plus cher que l’hydroélectricité. On comprendra dès lors que son développement chez nous restera limité aux territoires éloignés où le raccordement au réseau d’électricité est inexistant ou, encore, là où le prix de celle-ci est particulièrement élevé. »


Par ailleurs, contrairement au thermique, le photovoltaïque représente une technologie récente en pleine évolution. Historiquement, le photovoltaïque fut d’abord employé dans l’industrie spatiale dans les années 50 avec l’utilisation de cellules de silicium cristallin, peu pesantes, très performantes, mais à des coûts exorbitants.


Yves Poissant signale que la recherche actuelle consiste à trouver des formules qui réduiront au maximum les coûts de production des cellules photovoltaïques – et des panneaux – afin de rendre leur utilisation de plus en plus attrayante sans pour autant perdre en efficacité. L’industrie a ainsi développé des panneaux à couche mince, réduisant au maximum les quantités de matériaux utilisés. Plus récemment, elle a mis au point des cellules composées de matériaux organiques très peu onéreux, comme le plastique.  
« Comparativement au thermique, indique Yves Poissant, le photovoltaïque est en somme encore l’enjeu de développements technologiques importants dans le futur. »


Conditions de réussite

Meli Stylianou, directeur du Réseau de la recherche sur les bâtiments solaires, fait remarquer que l’implantation future de systèmes solaires dans les grands édifices est fortement tributaire de l’évolution des connaissances technologiques dans le monde de la construction. « On peut établir un parallèle avec l’obtention de la certification LEED, dit-il. Comme pour le solaire, il faut que les entrepreneurs, les ingénieurs et les architectes affinent leurs connaissances à ce chapitre et apprennent à travailler ensemble pour transformer au maximum l’enveloppe des bâtiments en convertisseur d’énergie solaire. »


Une opinion totalement partagée par Christian Vachon, qui se montre à cet égard relativement optimiste. « Au Québec, précise-t-il, on est pratiquement parti de zéro il y a 10 ans. Depuis, un chemin considérable a été parcouru dans la sensibilisation du monde de la construction à l’énergie solaire. »


Du reste, des projets d’envergure se taillent désormais une place au soleil du Québec. À cet égard, dans le domaine des édifices industriels, l’usine Canadair de Bombardier, à Montréal, fait figure de pionnière. En 1996, un mur solaire thermique de 8 826 mètres carrés, à l’époque un des plus grands au monde, a été installé pour réchauffer l’air de ventilation dans le bâtiment. L’investissement de 2,6 millions de dollars fut amorti en 1,7 an, grâce à des économies d’énergie annuelles de plus de 150 000 dollars.


Le secteur institutionnel se pose généralement en bon élève. Comme en témoigne notamment le système de capteurs thermiques de 259 mètres carrés installé en 2008 sur le toit du Centre multifonctionnel de Loto-Québec, à Montréal. Cette initiative s’inscrivait dans la foulée de l’application d’autres mesures d’efficacité qui, mises ensemble, auront permis de réduire la consommation énergétique de l’édifice de 17 %.Dans le domaine résidentiel, l’exemple le plus significatif au Québec demeure le projet Énergie verte Benny Farm, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal. Il comporte 187 logements rénovés où les propriétaires se sont regroupés afin d’équiper leur résidence de solutions énergétiques renouvelables. Ils ont fait appel à la géothermie, au gaz naturel à haute efficacité et à l’énergie solaire. Dans ce dernier cas, des capteurs couvrant 48 mètres carrés permettent de préchauffer l’air de ventilation de l’édifice.


De telles percées laissent entrevoir des signes encourageants pour la filière solaire, plus particulièrement du côté du thermique. De là à dire qu’elle est assurément appelée à rayonner dans l’avenir au Québec, il n’y a qu’un pas que l’on peut difficilement franchir pour le moment. Car toutes les conditions gagnantes ne sont à l’évidence pas encore réunies.

Cinq bonnes raisons

Cinq bonnes raisons de recourir à l’énergie solaire au Québec :

  • Le coût du kWh solaire pour le chauffage de l’air est compétitif (entre trois et neuf cents selon les applications)
  • L’énergie est produite sur place et ne requiert donc aucun réseau de distribution
  • L’énergie solaire ne s’accompagne d’aucune émission de gaz à effet de serre lors de son exploitation
  • Le recours au solaire permet de diversifier le portefeuille d’énergies renouvelables
  • Le solaire n’a pratiquement pas d’impact sur les écosystèmes environnementaux
Les obstacles
Le développement de la filière solaire se bute à trois grands obstacles :
  • La croyance populaire d’un Québec, patrie du froid, boudé par le soleil
  • La grande disponibilité de l’hydroélectricité, une ressource renouvelable
  • La quasi-absence d’incitatifs gouvernementaux
Le soleil au rendez-vous
Le Québec profite de fait d’un niveau d’ensoleillement enviable. Selon la Société de l’énergie solaire du Canada, Montréal enregistre un potentiel photovoltaïque annuel de 1 185 kilowatts/heure (kWh) sur une surface plane. C’est beaucoup plus que Londres (728 kWh) ou Paris (938 kWh). Berlin, capitale de la République fédérale d’Allemagne, et pays phare de l’énergie solaire, ne totalise que 848 kWh. « Il ne faut pas confondre température élevée et potentiel solaire. À titre de comparaison, Rio de Janeiro, avec 1 253 kWh, n’affiche qu’une performance à peine supérieure à Québec ou Montréal », souligne Jean-Pierre Desjardins.
Le leadership allemand
L’an 2000 marqua de manière définitive l’essor de l’énergie solaire en Allemagne. Cette année-là, le parlement fédéral adoptait la loi sur les énergies renouvelables (Erneuerbare-Energien-Gesetz), laquelle fixe les volumes d’achat d’électricité générés par les nouvelles énergies ainsi que les montants qui seront versés aux producteurs d’énergies renouvelables par les exploitants du réseau électrique.
« La conséquence principale qui découle de cette loi, c’est que les producteurs peuvent compter sur des prix prévisibles pour leurs énergies renouvelables. Cela encourage les investissements. À tel enseigne qu’en 2008, notre pays comptait environ 15 000 entreprises œuvrant dans l’industrie solaire. Celles-ci employaient 60 000 travailleurs dans le solaire photovoltaïque et 25 000 dans le thermique », explique Stephanie Weckend, directrice, énergie solaire et efficacité énergétique à la Chambre canadienne allemande de l’industrie et du commerce. Pour la seule électricité photovoltaïque, la République fédérale d’Allemagne produit aujourd’hui 1 500 mégawatts (MW), soit les trois quarts de la production européenne de cette énergie et le tiers de la production mondiale.
L’adoption de cette loi, selon Stephanie Weckend, aura contribué à l’implantation d’une véritable culture du solaire en Allemagne : « De plus en plus de propriétaires installent un système solaire sur leur toit, dit-elle. Le surplus de leur consommation est ensuite retourné dans le réseau de distribution d’électricité. En d’autres termes, le consommateur devient également un producteur d’électricité. »