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22 janvier 2015

La gestion des débris de construction, de rénovation et de démolition (CRD) sera bientôt soumise à de nouvelles règles du jeu dans le domaine du bâtiment. Êtes-vous prêts ?

Dépotoir. Voilà un mot que les constructeurs québécois ont tout intérêt à bannir sans plus tarder de leur vocabulaire courant, Non seulement parce que la récupération des débris de matériaux CRD est de plus en plus souvent exigée par les donneurs d’ouvrage, mais aussi parce que l’étau réglementaire est en voie de se resserrer autour de la gestion des matières résiduelles dans la construction.

L’application de la nouvelle Politique québécoise de gestion des matières résiduelles, et de son plan d’action 2011-2015, enjoindra en effet aux acteurs de l’industrie de dévier de l’enfouissement la plus grande partie des débris générés sur les chantiers. Plus particulièrement en introduisant l’interdiction d’éliminer le carton et le bois, respectivement à compter de 2013 et 2014, ainsi qu’en amenant bientôt le milieu du bâtiment à diriger 70 % de ses résidus CRD vers les infrastructures de triage.

Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) s’apprête d’ailleurs à publier des lignes directrices qui permettront d’établir un cadre de conformité pour les programmes de gestion des matières résiduelles des municipalités et des municipalités régionales de comté (MRC). Ce cadre obligera ces dernières à mettre en place des mesures concrètes pour que les rebuts de chantier soient triés sur place ou dirigés vers un centre de tri.

« Les moyens qui seront adoptés par les municipalités et les MRC ne seront pas uniformes à la grandeur de la province, note Luc Morneau, agent de développement industriel et responsable du secteur CRD à Recyc-Québec. Par exemple, ce pourrait être une exigence lors de l’émission des permis de construction et de démolition pour les travaux générant des grands volumes de matières résiduelles. »

En donnant un tel coup de barre, le MDDEP vise à contrer les impacts négatifs qu’entraîne l’enfouissement des rebuts sur l’environnement et l’utilisation des ressources naturelles. Et aussi à ce que davantage de matières résiduelles puissent trouver une nouvelle utilité en les dirigeant vers les différentes filières de mise en valeur : réemploi, recyclage – la plus souvent empruntée – et valorisation.

Sébastien Richer, président du Regroupement des récupérateurs et recycleurs de matériaux de construction et de déconstruction du Québec (3RMCDQ), estime que la mise en œuvre de la nouvelle politique et de son plan d’action viendra assurément changer le portrait de la récupération dans l’industrie. Particulièrement dans le domaine du bâtiment.

« Pour le secteur CRD, explique-t-il, la politique précédente avait établi une cible globale de 60 % de ce qui était valorisable, sur un horizon de 10 ans. Par contre, elle était très peu explicite sur les moyens à prendre pour atteindre l’objectif, ce qui fait que le secteur s’est naturellement tourné vers les matières les plus faciles à récupérer. À savoir le béton, la brique et l’asphalte, surtout du côté des travaux publics. »

« Comme le bâtiment était demeuré à la traîne avec environ seulement le tiers des matières récupérées, poursuit-il du même souffle, la politique maintenant en vigueur et le plan d’action qui l’accompagne sont beaucoup plus incisifs sur les moyens à préconiser pour faire en sorte que le secteur améliore sa performance à un niveau acceptable. »

Pour cet expert, il est clair que le bannissement des résidus de bois des sites d’élimination aura un impact majeur sur la performance du secteur du bâtiment. D’une part, parce qu’il s’agit d’une matière qui est générée à fort volume et, d’autre part, parce que le fait de la diriger vers le centre de tri aura un effet d’entraînement sur d’autres matières qui auraient autrement pris le chemin de l’enfouissement.

« Dans un mode de gestion pêle-mêle, explique-t-il, à partir du moment où le bois ne pourra plus être envoyé à l’enfouissement, bien il va se retrouver dans un conteneur avec d’autres matières. Donc, forcément, ces matières vont également être dirigées vers une infrastructure de tri, ce qui fait que le métal, le gypse, les bardeaux, le béton et autres matières ayant une valeur économique vont sûrement être récupérées. Par exemple, si un récupérateur peut valoriser le béton à 7 ou 8 dollars la tonne, au lieu de payer 60 dollars la tonne pour l’enfouir, c’est certain qu’il va le faire. »

Il fait aussi remarquer que peu de chantiers ne génèrent pas de débris de bois. Et que ce sont donc pratiquement tous les projets réalisés au Québec qui seront touchés par l’interdiction de diriger cette matière vers les sites d’élimination.

Préparer le terrain

Si les échéances fixées pour le bannissement du carton et du bois semblent encore relativement lointaines de prime abord, reste que le milieu du bâtiment a tout intérêt à s’y préparer sans attendre. « Les entrepreneurs doivent être conscients que ça s’en vient rapidement, insiste Luc Morneau, et qu’il leur faudra nécessairement changer leurs façons de faire sur les chantiers, du moins pour ceux qui envoient systématiquement leurs matières résiduelles à l’enfouissement. »

Sébastien Richer est bien d’accord, même qu’il avance que c’est toute l’équipe de projet qui sera interpellée et non pas seulement l’entrepreneur sur un chantier. C’est que pour être en mesure de gérer les matières résiduelles conformément aux nouvelles règles, selon lui, il faudra nécessairement avoir planifié au préalable leur génération.

« Il va falloir avoir une idée de ce qu’un projet produira comme matières résiduelles et de la façon dont on va les gérer au moment de réaliser le chantier. Il y a donc une phase de planification qui n’était pas nécessairement très élaborée auparavant, mais qui va maintenant devenir très importante », précise-t-il, en soulignant que l’industrie de la récupération serait prête à accueillir et à traiter le surcroît de matières résiduelles.

« Nous avons fait une analyse à partir du bilan de 2008 de Recyc-Québec, poursuit-il, et nous avons constaté qu’il y a une adéquation entre le volume de débris générés sur les chantiers et la capacité de traitement des infrastructures de récupération. Même que pour l’heure, nous observons qu’il y a une surcapacité de réception des matières dans certains centres urbains. »

Le président du 3RMCDQ signale également que le plan d’action du MDDEP s’accompagne d’un programme de soutien à l’intention des entreprises du secteur. Administré par Recyc-Québec, il vise à favoriser le développement de technologies et de procédés permettant d’optimiser la récupération et le recyclage des matières résiduelles issues des chantiers de construction, de rénovation et de démolition. De même qu’à améliorer les qualités intrinsèques de ces résidus ou à développer des marchés pour les écouler.

« Il est vrai qu’il y aura une certaine période d’adaptation tant pour les entrepreneurs que pour les récupérateurs, conclut-il. Mais mieux tout le monde sera préparé, plus la transition se fera en douceur. De notre côté, nous travaillons dès aujourd’hui à faire en sorte que notre industrie s’avère une solution efficace pour les acteurs du bâtiment et de la construction en général. »

Les cibles pour 2015

Outre l’objectif d’acheminer vers un centre de tri 70 % des résidus CRD, les cibles intermédiaires de la nouvelle politique québécoise, soit sur l’horizon 2015, se déclinent comme suit : réduire à 700 kg/habitant/année la quantité de matières résiduelles éliminées ; traiter 60 % de la matière organique putrescible ; recycler 70 % du papier, du carton, du plastique, du verre et du métal résiduels ; et recycler ou valoriser 80 % des résidus de béton, de brique et d’asphalte.

De déchets à ressources

De déchets qu’elles étaient dans un passé pas si lointain, les matières résiduelles sont aujourd’hui devenues des ressources à exploiter au même titre que les matières premières. Et leur mise en valeur, en plus d’éviter le gaspillage des ressources et de protéger l’environnement, est aussi une source d’activité économique. Car une tonne de matières résiduelles récupérées génère 10 fois plus d’emplois qu’une tonne de matières enfouies, c’est dire.

Premier de classe

Les secteur CRD aura fait belle figure dans le cadre de l’application de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008, atteignant même l’objectif de récupération de 60 % dès 2002 et arrivant même premier de classe au final avec un taux de 74 % (bilan 2008 de Recyc-Québec). N’empêche qu’il y avait encore place pour l’amélioration puisque le béton, les enrobés bitumineux et la pierre comptaient à eux seuls pour plus des trois quarts des débris récupérés. D’où, d’ailleurs, les mesures préconisées par le MDDEP, dans la foulée de l’adoption de la nouvelle politique, pour améliorer la performance de la récupération dans le domaine du bâtiment.