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28 avril 2011
Par Kathy Noël

Préservation des ressources, réduction des émissions de GES, confort des occupants… Construire un bâtiment vert s’accompagne de maints bénéfices, certes. Mais à quel prix ?

Lorsqu'elle a pris la décision de construire vert, Lise Morissat, vice-présidente au développement stratégique de Groupe Stageline, qui fabrique des scènes mobiles à L’Assomption, ne se doutait pas de l'aventure qui l'attendait. « C'était comme retourner à l'école ! », lance-t-elle d’entrée de jeu. Convaincue par ses propres enfants, dont l'un est ingénieur civil et l'autre comptable, elle a persisté. Et ses efforts ont été récompensés, comme en témoigne notamment le Prix d’excellence en architecture, catégorie Architecture et Développement durable, décerné par l’Ordre des architectes du Québec à la nouvelle usine de l’entreprise en 2009.

Il faut dire que Stageline a pris possession en 2008 de l’établissement industriel le plus éconergétique en sol québécois – le deuxième au Canada, sa consommation étant inférieure de 69 % comparativement à un édifice similaire conforme aux normes et codes en vigueur. Un bâtiment vert mur à mur de surcroît qui, un an plus tard, est devenu le premier dans son secteur d’activité à obtenir la certification LEED-NC (niveau Certifié) au Québec.

Lise Morissat peut donc dire qu'elle aura fait sa part pour l'environnement en léguant aux générations futures un bâtiment dont l'impact environnemental est réduit au minimum. Mais à quel prix ? L'édifice a coûté 6,5 millions de dollars, dont  20 % ont été dédiés aux aspects construction durable et efficacité énergétique. Ce qui fait dire aujourd’hui à Lise Morissat que « les promoteurs de bâtiments commerciaux et industriels verts sont des pionniers ».

Ce ne sont pourtant pas les intentions qui manquent. Entre 2010 et 2015, la firme d'experts conseil américaine Yudelson Associates évalue que le marché de la construction verte connaîtra une croissance de 19,5 % par année, pour atteindre 173,5 milliards de dollars en 2015.  En 2020, on prévoit que les bâtiments ayant des caractéristiques ou attributs écologiques représenteront 95 % des nouvelles constructions et que 75 % des améliorations se feront en intégrant des technologies propres.

Trouver du financement

L'avenir est à l’évidence rose pour le vert. L'offre de produits et matériaux écologiques augmente et, de ce fait, les prix diminuent. « Dans le marché commercial, il y a une tendance actuellement à construire selon des standards qui satisfont au minimum le niveau de base (Certifié) de la certification LEED », constate Éric Gagnon, conseiller commercial au Mouvement Desjardins.

Mais encore faut-il trouver du financement à l'étape de la construction d'un tel bâtiment. Juste pour dénicher un évaluateur, Lise Morissat a dû ratisser large. « J'ai contacté au moins une quinzaine d'évaluateurs avant d'en trouver un capable d'établir une valeur pour monter notre dossier de financement. Personne ne voulait se mouiller ! », raconte-t-elle.

Pour financer son projet, elle a par la suite fait appel à des programmes de subvention, notamment auprès d’Hydro-Québec, et à du financement privé. Exportation et développement Canada (EDC) a aussi garanti le prêt. « Comme ça, la banque ne se sentait pas toute seule...», dit Lise Morissat, soulignant du même souffle qu'il y a un gros travail d'éducation à faire auprès des financiers.

C'était en 2006. Mais cinq ans plus tard, il semble que ce ne soit pas plus facile de financer un bâtiment vert, bien au contraire. « La période de récession que nous venons de vivre n'a pas aidé », observe pour sa part Claude Caumartin, évaluateur spécialisé dans les propriétés industrielles et commerciales et consultant au Groupe Altus. Il est aussi ce seul évaluateur qui a osé se mouiller dans le dossier de Stageline. « Les financiers sont devenus beaucoup plus prudents en général, alors imaginez pour la construction durable ! C'est une période moins propice pour ce genre de projets en ce moment », estime-t-il.

À moins d'avoir les poches profondes, les promoteurs doivent se débrouiller pour aller chercher à droite et à gauche les dollars nécessaires pour construire vert. « Il faut savoir que pour un bâtiment qui suit les exigences LEED, par exemple, il y a un surcoût de construction de 10 % à 20 % en partant », dit Éric Gagnon.

L’architecte montréalaise Vivian Irschick, qui a planché sur plusieurs projets LEED depuis 2003, met toutefois un bémol à cette affirmation : « C’est vrai que certains des premiers projets qui visaient la certification présentaient un surcoût, parfois même important, notamment parce que les équipes de professionnels étaient moins expérimentées avec le processus, les matériaux écologiques étaient plus dispendieux et difficiles à trouver et que les délais de réalisation étaient plus longs puisque les entrepreneurs n’étaient pas familiers avec les exigences du système LEED. Comme dans toute chose, il y avait donc une prime à l’innovation. »

Selon elle, il est possible aujourd’hui de réaliser un bâtiment LEED sans qu’il en coûte nécessairement plus cher que pour construire un bâtiment conventionnel, du moins si on vise le niveau Certifié ou même Argent. « Mais ça demeure du cas par cas, nuance-t-elle, car il est certain que si un propriétaire décide de mettre le paquet en matière de technologies éconergétiques, l’investissement en construction va être évidemment plus important. Mais en revanche, il va engranger année après année les économies du côté de l’exploitation de son bâtiment. »

Faire des choix éconergétiques permet effectivement de faire des économies sur le long terme, convient le Éric Gagnon, « mais les gens pensent à court terme », fait tout de tout de go remarquer le conseiller de Desjardins. Il faut aussi avoir les reins solides pour absorber le surcoût de départ. « Une grande entreprise comme Cascades peut se permettre de l'absorber par une hypothèque traditionnelle, donne-t-il en exemple. Mais pour une PME, cela prend d'autres moyens de financement. »

Certains programmes de financement peuvent permettre d'accélérer le rendement de l'investissement. Tout dépend aussi des coûts de l'énergie, car c'est de là que vient la majorité du rendement et le plus fort potentiel d’augmentation de la valeur. Quand on prend en considération la durée de vie d'un bâtiment, les coûts de construction ne représentent qu'environ 8 % de la facture totale. Le reste représente les coûts d'exploitation. « Les entreprises le font (investir dans un bâtiment vert éconergétique) pour réduire leurs coûts d'exploitation à long terme. Elles sont prêtes à dépenser aujourd'hui, quitte à affecter leur rendement à plus court terme », constate Claude Caumartin.

C'est justement le pari qu'a fait Lise Morissat pour Stageline. Avec ses technologies éconergétiques intégrées à une enveloppe préfabriquée haute performance, le bâtiment, qui abrite les bureaux et l'usine de l’entreprise, lui coûte trois fois moins cher à exploiter qu'un édifice standard. Si bien que l’entreprise aura récupéré son surcoût de départ en deçà de cinq ans.

Se elle ne regrette pas d’être allée de l’avant avec son projet vert, Lise Morissat n’en déplore pas moins le manque d'outils financiers pour construire ce genre de bâtiment. « Les municipalités devraient embarquer, croit-elle. Notre usine récupère les eaux de pluies, c'est autant d'eau que la municipalité n'a pas à traiter. Pourtant, nous n'avons aucun retour là-dessus. »

Rentabiliser le vert

Le risque est plus grand dans le secteur industriel, voilà pourquoi les bâtiments verts y sont plus rares. Ils le sont moins dans le secteur commercial et les immeubles de bureaux, où l'on peut réaliser des gains à plus court terme puisque les pieds carrés sont une source de revenu « car il faut que la facture soit refilée à quelqu'un, d'une manière ou d'une autre, que ce soit en frais de service ou en loyer », dit Éric Gagnon.

Or, la grande question est : peut-on louer plus cher des locaux dans un bâtiment vert ? Rien n'est moins sûr, du moins au Québec, selon Charles Larouche, vice-président aux finances immobilières de la Société de développement Angus (SDA). « Le marché n'est pas rendu là encore. Notre pari est encore de faire en sorte que notre bâtiment ne coûte pas plus cher qu'un bâtiment traditionnel afin de rester concurrentiel », indique-t-il.

Pour le 4100 Molson à Montréal, un bâtiment certifié LEED-CS (Core and shell), niveau Or, l’équipe de projet de la SDA a choisi des matériaux abordables et a surtout misé sur l'enveloppe du bâtiment pour réaliser des économies plutôt que de compter sur des technologies éconergétiques  coûteuses, comme la géothermie, et qui se rentabilisent à plus long terme. Un tien vaut mieux que deux tu l'auras, telle est la maxime de Charles Larouche. « Nous investissons là où ça vaut la peine. Nous allons favoriser l'éclairage naturel le plus possible, accompagné de panneaux solaires et de systèmes de récupération des eaux de pluie. Ces technologies sont éprouvées et plus abordables », explique-t-il.

Dans un immeuble commercial, ce sont les locataires qui paient pour le loyer de base et les dépenses d'exploitation. Sont-ils prêts à payer plus cher pour ça ? Ce n'est pas encore démontré. Et dans le secteur industriel, la valeur de ces bâtiments est aussi encore bien théorique. « On peut supposer qu'ils valent plus cher, s'il y a des avantages et des économies à réaliser dans les coûts d'exploitation, mais on ne pourra le voir que dans quelques années lorsque de tels bâtiments commenceront à être vendus sur le marché », avance Claude Caumartin.

« Nos coûts sont moins élevés qu'un autre bâtiment, note Lise Morissat. Nos employés nous disent qu'ils aiment le confort des planchers radiants et l'éclairage, et nous observons une baisse du taux d'absentéisme. Tout cela a une valeur, mais ce n'est pas encore entré dans le langage financier. »

André Pelchat sait très bien de quoi il retourne : Immostar, la société de gestion et de développement qu’il dirige, n'y est pas allée de main morte pour faire de Place de l’Escarpement 1 – Édifice Promutuel, à Québec, une réalisation vert foncé. À telle enseigne que cet immeuble de bureaux de quelque 150 000 pieds carrés, fruit d’un investissement de 35 millions de dollars, est en voie d’obtenir la certification LEED-NC, niveau Or. Parmi ses principales particularités : une réduction de la consommation énergétique de 55 % par rapport au bâtiment de référence du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments.

Pour l’homme d’affaires québécois, le jeu en valait certainement la chandelle. « Nous avions fait des simulations d'économies avant, relate-t-il, et moi-même je n'y croyais pas. Grâce au recours à la géothermie et à la récupération de chaleur, notamment, nous épargnions 1,10 à 1,20 dollars du pied carré. »

Il a quand même fallu débourser de gros montants au début. L'édifice a coûté 15 % plus cher qu'un bâtiment similaire construit de façon standard, mais Immostar n'était pas toute seule dans cette aventure. Elle pouvait compter sur un locataire de taille, la société d'assurance Groupe Promotuel, prêt à assumer une partie des risques, « parce qu'au début, à la phase de construction, que ce soit vert ou rouge ne fait aucune différence pour le banquier. Ce qu'il veut savoir, c'est est-ce que moi je vais être capable de le louer et est-ce que je vais récupérer mes billes », explique André Pelchat.

Immostar dit avoir récupéré déjà 50 % de son investissement en économie d'énergie. Pour André Pelchat, il ne fait pas de doute que ce type de construction a aussi d'autres avantages moins tangibles comme la hausse de la productivité, la réduction du taux d'absentéisme et l'attraction de nouveaux talents. « Tu fais juste réduire de 2 % ton taux d'absentéisme et ça paie ton loyer », conclut le président-directeur général d’Immostar.

 

La valeur du vert
Aux États-Unis, les locaux d'un bâtiment certifié LEED se louent 11,33 dollars plus cher au pied carré qu'un bâtiment traditionnel et affichent des taux d'occupation plus élevés de 4,1 %, selon une étude de CoStar, une firme américaine de recherche et d'analyse en marketing de l'immobilier. De même, le pied carré d'un bâtiment certifié Energy Star vaut 2,40 dollars de plus que celui d'un bâtiment conventionnel similaire et son taux d'occupation sera aussi de 3,6 % plus élevé. L'étude réalisée en 2008 portait sur 1 300 bâtiments LEED et Energy Star représentant un total de 351 millions de pieds carrés.
Au Québec, et même au Canada, il y a encore trop peu de bâtiments industriels et commerciaux certifiés LEED pour dégager une tendance de la sorte. « La façon la plus directe de donner une valeur à un bâtiment est de le comparer avec ce qui s'est vendu d'équivalent sur le marché. Le problème avec les bâtiments verts, c'est que nous n'avons pas de référence », dit Claude Caumartin, évaluateur au Groupe Altus.
Le vert vaut-il plus cher ? Si c'est le cas chez nos voisins du Sud, cela reste à prouver de ce côté-ci de la frontière. La valeur est intimement liée au potentiel d'économies que permet de réaliser un bâtiment vert. Or, le fait est qu'au Québec les faibles coûts de l'énergie ne favorisent pas la construction de tels bâtiments. Et dans le cas des bâtiments verts existants, les économies potentielles ne seraient pas suffisantes pour justifier une augmentation de la valeur.
« C'est une question d'offre et de demande. Plus on sera capable de démontrer la rentabilité des bâtiments écologiques, plus les promoteurs vont s'y intéresser. Cela pourrait en fait faire baisser les prix des bâtiments standards », explique Claude Caumartin.

Le coût de LEED
Dans son blogue sur voirvert.ca, Hugo Lafrance fait ressortir que plusieurs études situent les surcoûts de conception-construction d’un projet LEED à l’intérieur des fourchettes suivantes : Certifié, 0,5 à 1,5 % ; Argent, 1 à 2,5 % ; Or, 2 à 5 % ; et Platine, 5 % et plus. Face à ces données, il s’enquiert du point de vue des usagers du portail, en plus de les questionner sur ce qui pèse le plus lourd dans la balance : un surcoût de construction au départ ou la valeur ajoutée d’un bâtiment plus efficace, plus sain et plus durable ? Vous pouvez y répondre à l’adresse ici : www.voirvert.ca/hlafrance

Soutien financier
Besoin d’un coup de pouce pour financer un projet de bâtiment vert ? Alors consultez le répertoire du financement de voirvert.ca. Vous y trouverez les programmes de subvention administrés par Hydro-Québec, Gaz Métro, l’Agence de l’efficacité énergétique, le Fonds en efficacité énergétique, etc. Tout comme vous pourrez prendre connaissance des incitatifs offerts par des municipalités ainsi que des programmes de prêts dédiés d’institutions financières.