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Verdir les établissements de soins de santé

21 novembre 2017
Par Jean Garon

Un véritable mouvement se dessine en faveur de l’écologisation des établissements de soins de santé au Québec. Et de la création d’environnements centrés sur l’humain.

Depuis une dizaine d’années, des sommes colossales sont investies dans la construction de centres hospitaliers universitaires modernes et la rénovation d’établissements existants devenus vétustes. Et force est de constater que les nouveaux établissements présentent un profil nettement plus écoresponsable en prenant en compte les impacts environnementaux, les bénéfices sociaux et la pérennité économique tout au long de leur cycle de vie. C’est le cas du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) ou encore du CHU Sainte-Justine, pour ne citer que ces exemples.

De prime abord, les établissements de santé (hôpitaux, cliniques, centres de recherche) sont assujettis à plusieurs contraintes qui ne facilitent pas leur adaptation écologique. « On ne peut pas faire ce que l’on veut à l’intérieur d’un hôpital, souligne Serge Sévigny, ancien directeur des services techniques du CUSM, maintenant retraité, qui œuvre encore à titre de consultant expert en maintien d’actifs. Il donne comme exemple les normes plus sévères prescrites pour le changement d’air dans les blocs opératoires et les mesures à prendre pour contrôler les infections ou éviter les contaminations de l’eau. Sans oublier les contraintes budgétaires.

Azad Chichmanian, Claude Bourbeau, Jacques R. Côté, Michael Mueller, Norman Mallette et Serge Sévigny

« Plusieurs hôpitaux plus anciens sont devenus vétustes en raison d’un sous-financement chronique et d’un déficit d’entretien », constate Azad Chichmanian, associé chez NEUF Architect(e)s. On a beaucoup étiré l’élastique, ce qui expliquerait qu’il faille maintenant investir davantage pour les mettre à niveau et les rendre écologiques.

« C’est ce qui a orienté nos choix au Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), ajoute l’architecte. Ç’a été l’occasion d’appliquer des mesures pour en faire un établissement plus propice  à la qualité de vie des gens qui y travaillent et qui y sont soignés. »

« On a connu des années de vaches maigres, indique de son côté Norman Mallette, coordonnateur des services techniques à l’Hôpital Notre-Dame du CHUM. On est maintenant proactifs en ce qui concerne les travaux en maintien d’actifs. Les millions de dollars investis depuis cinq ans dans des systèmes de géothermie, d’aérothermie, de récupération passive et d’autres ont permis de réaliser des économies de 1,6 million de dollars par année. »

Conception en mode EBD

Un des éléments fondamentaux du virage vert opéré par les architectes Azad Chichmanian et Michael Mueller, ce dernier œuvrant chez CannonDesign, c’est l’intégration d’une équipe multidisciplinaire au processus de conception et de planification de projet. Cette approche holistique favorise la prise en compte des objectifs et contraintes d’un projet afin que tout le monde concerné (professionnels et acteurs de la construction, clients et voisins) « tire dans la même direction ».

Leur expérience en fait foi à plusieurs égards avec le  projet du CHUM. Pour eux, ç’a été l’occasion d’appliquer des mesures écoresponsables non seulement au plan du développement durable et de l’efficacité énergétique, mais aussi qui aident à la prestation des soins et favorisent la guérison. Ils se sont inspirés de l’approche connue en anglais sous l’appellation Evidence-Based Design (EBD), que l’on pourrait traduire par conception basée sur des faits éprouvés.

Verdir les établissements de soins de santé - Photo de nom de Stéphane Brügger

C’est une approche de conception répandue dans le monde, surtout chez les grands groupes de concepteurs. Elle consiste à mettre en valeur ou exploiter des éléments qui ont des effets positifs éprouvés sur la santé et le bien-être des patients, comme la lumière naturelle, les choix de couleurs, l’intégration d’œuvres d’art, la création de chambres privées avec vue sur le paysage, l’accès à des toits verts et des parcs. Cela comprend également la conception et l’aménagement des lieux de travail ainsi que des installations qui favorisent également le bien-être du personnel soignant et sa productivité, comme la disposition des locaux limitant les déplacements des équipes, l’efficacité des moyens de transport verticaux et horizontaux pour les employés, la mise à la disposition de piscines, salles de détente, gymnases ou salles d’entraînement.

Verdir les établissements de soins de santé - Photo de nom de Adrien Williams

Cette approche se répercute même au plan social avec le voisinage de l’établissement. À titre d’exemple, les communications avec le voisinage du nouveau CHUM pendant la construction ont permis d’adopter des mesures d’atténuation du bruit pour assurer la quiétude du quartier pendant les travaux.  Même chose pour la préparation du chantier de l’Hôpital Saint-Luc concernant les travaux de dynamitage nécessaires pour l’excavation des étages inférieurs. Ç’a permis  d’établir la fréquence des dynamitages une fois à l’heure afin de déranger le moins possible le voisinage et les opérations sensibles à l’intérieur de l’hôpital. De surcroît, le recours au dynamitage a permis d’épargner des mois de travaux d’excavation en raison de la profondeur à creuser.

« En fait, résume l’architecte Michael Mueller, le CHUM est l’ultime laboratoire ». À titre d’exemple, la stratégie de performance énergétique et de développement durable a un impact direct sur le CHUM. Ce dernier assume les coûts de consommation d’énergie prévus, tandis que les dépassements de ces coûts seront assumés par le consortium privé du partenariat public-privé. Cela a évidemment dicté plusieurs choix, particulièrement en ce qui concerne l’enveloppe du bâtiment, avec l’ajout de murs rideaux et d’une fenestration à triple verre partout dans le nouveau complexe hospitalier.

Mesures écoresponsables

Évidemment, la construction et la rénovation des établissements de santé intègrent les stratégies courantes de développement durable, notamment au plan énergétique. À l’Hôpital Notre-Dame, les installations de chauffage, de climatisation et de récupération de chaleur ont permis une réduction considérable de la consommation d’énergie. Certaines stratégies ont permis de mieux organiser la distribution du chauffage et de la climatisation selon les saisons, en climatisant le cœur du bâtiment et en chauffant le périmètre selon les besoins, au lieu de tout chauffer et climatiser à plein régime à l’année.

 Des investissements importants sur le plan de l’éclairage ont également contribué à la réduction de consommation d’énergie, notamment par le remplacement des fluorescents T12 par des T8,  et en maximisant l’éclairage naturel par une volumineuse fenestration. La technologie DEL est également utilisée, excepté dans les chambres des patients à cause de la lumière bleue émise qui pourrait affecter leur cycle circadien et troubler leur sommeil.

 Les performances énergétiques et écologiques de cet hôpital lui ont d’ailleurs valu le Prix BOMA Environnement 2017-2018 – catégorie Établissement de santé, décerné plus tôt cette année par BOMA Québec, pour avoir éliminé 9,5 tonnes de gaz à effet de serre annuellement.

Selon Norman Mallette, cela démontre bien qu’il y a moyen de rendre écologiques les plus vieux bâtiments par le biais de programmes d’investissements pour assurer le maintien des actifs. « C’est aussi valable d’entretenir nos vieux hôpitaux, dit-il, que d’en construire des neufs. »

L’ingénieur Jacques R. Côté, de SNC Lavalin, constate aussi une nette amélioration de la situation des établissements de santé au plan énergétique. D’après les données statistiques fournies par le réseau, la densité énergétique requise en 2004 pour un centre hospitalier universitaire s’élevait à 2,66 gigajoules/mètre2 annuellement, indique-t-il. En 2014, cette consommation s’établissait à 1,65 gigajoule/mètre2 pour le Centre universitaire de santé McGill (CUSM). » Et ce n’est pas fini, puisque la cible établie pour une construction neuve est de 1,3 gigajoule/mètre2 à compter de 2017.

Selon lui, le chauffage de l’enveloppe d’un bâtiment n’est plus la dépense la plus élevée dans les constructions neuves, compte tenu des nouvelles exigences des codes canadiens en matière d’isolation, d’étanchéité et de performance. C’est le traitement de l’air entrant dans le bâtiment qui est le plus onéreux. Les hôpitaux en consomment beaucoup en raison des exigences de qualité de l’air. Les niveaux de filtration y sont également supérieurs pour prévenir et contrôler les risques d’infections, soit 99,9 % pour les blocs opératoires et 85,9 % pour les chambres des patients.

La gestion de l’eau est une autre préoccupation importante qui représente le « talon d’Achille » des hôpitaux, en raison de leurs grands besoins et des risques importants de contamination. Des procédés de décontamination de l’eau sont mis en place, tant pour l’eau potable que pour l’eau des tours d’eau. Par ailleurs, certaines mesures visent la réduction de la consommation  d’eau au robinet, tandis que d’autres permettent de gérer l’eau de pluie et le ruissellement conformément aux réglementions des villes.

Un autre train de mesures concerne la gestion des déchets. En fait, tout ce qui se trouve récupérable est récupéré : papier, encre, batterie, lampes et tubes d’éclairage, déchets de construction, produits chimiques et domestiques, excepté les déchets organiques. Des protocoles de disposition et des contenants spéciaux sont prévus à cette fin. L’entretien ménager des bâtiments est également assuré avec des produits verts, écologiques et biodégradables.

Une dernière stratégie vise  plus spécifiquement l’environnement extérieur. Comme le souligne l’architecte associé chez Provencher_Roy, Claude Bourbeau, l’espace extérieur des établissements de santé est organisé comme un espace de vie, en aménageant et en exploitant le paysagement. Il s’agit d’une approche nouvelle qui met également l’accent sur les vues du bâtiment. Ça prend la forme de toits verts qui favorisent le contact avec la nature et de toits blancs qui réduisent les îlots de chaleur. C’est aussi bénéfique pour le personnel traitant et les patients que l’est l’aménagement d’un environnement intérieur plus chaleureux et convivial.

Aujourd’hui, avec la reddition de comptes en matière de développement durable, les concepteurs et gestionnaires d’établissements de santé doivent planifier leur projet à partir d’une grille élaborée d’une cinquantaine de critères d’écoresponsabilité, note-t-il. Ça implique un exercice de conception intégrée, surtout pour les projets de grande envergure nécessitant de gros investissements. Les performances sont démontrées et mesurables, tout comme les bienfaits pour les patients et les employés.

Compte tenu des normes très élevées du Ministère au plan de la salubrité et des contrôles sanitaires auxquelles les hôpitaux sont assujettis, les performances de ces établissements sont supérieures à celles exigées par le système d’évaluation LEED. Claude Bourbeau estime que ce processus de certification est plus justifié pour les autres aspects de protection de l’environnement, comme le choix des produits et matériaux, la gestion des déchets, etc. « Nous, conclut-il, on introduit certains éléments de la grille de la nouvelle certification WELL, qui se fonde exclusivement sur la santé et le bien-être des êtres humains. »

Les grands bénéfices
  • Réduction de la consommation de ressources
  • Diminution de l’empreinte environnementale
  • Accroissement de l’efficacité énergétique
  • Amélioration de la qualité du milieu de travail des employés
  • Amélioration des conditions de guérison des patients
  • Réduction des coûts d’exploitation
  • Accroissement de la pérennité des investissements

 

Le module Santé BOMA BEST

BOMA Canada a élargi la portée de son programme BOMA BEST pour tenir compte des particularités que présente l’écologisation des établissements de soins de santé. Et ainsi favoriser la réduction en continu des impacts environnementaux de bâtiments pour la plupart opérationnels sept jours sur sept, 24 heures sur 24.

Le module Santé! de BOMA BEST, dont le développement a été piloté par BOMA Québec, s’adresse à trois catégories de bâtiments : les hôpitaux; les établissements de soins de longue durée; et les immeubles de bureaux à vocation médicale. Il s’articule autour de six domaines d’analyse : l’énergie; l’environnement intérieur; la réduction des déchets et l’amélioration du site; le système de gestion environnemental; la consommation d’eau; et les émissions et effluents.

 

Des jardins thérapeutiques

En plus de contribuer à la lutte contre les îlots de chaleur, à la rétention des eaux pluviales et à l’efficacité énergétique des bâtiments, les toits verts peuvent jouer un rôle dans la guérison des patients dans les établissements de santé. En offrant une vue sur des aménagements végétalisés, certes, mais encore plus lorsqu’ils sont accessibles.

« Le fait d’avoir un toit vert accessible permet aux patients de se retrouver à l’extérieur, dans un environnement apaisant et ressourçant, un endroit où ils peuvent se promener et admirer les végétaux », souligne Marjolaine Auger, agronome chez Hydrotech, en ajoutant qu’il y a moyen de pousser la contribution de la toiture végétalisée encore plus loin dans les établissements du milieu de la santé.

Comment ? « En y aménageant des jardins thérapeutiques dans lesquels les patients pourront s’activer, précise-t-elle. Par exemple, en veillant à l’entretien des végétaux ou encore à la cueillette de fruits ou de légumes. De nombreuses études démontrent que cela a un effet positif sur leur rétablissement. »