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Entretien avec Alexandre Turgeon

14 novembre 2013

Rencontre avec Alexandre Turgeon, spécialiste en urbanisme qui prône une transformation profonde et durable de la ville. Et qui n’hésite pas à bousculer les idées reçues.

Par Marie-Ève Sirois

Il suffit de parler de la ville et de son cadre bâti à Alexandre Turgeon pour qu’il vous transporte dans un autre monde : celui d’un environnement urbain agréable, sain et sécuritaire. Une vision que prône depuis la fin des années 90 ce spécialiste en urbanisme, cofondateur et président exécutif de l’organisme Vivre en Ville. Et pour qui il y a encore tant de travail à faire pour améliorer la situation sur le plan de l’aménagement du territoire au Québec. 

Jamais à court d’arguments, cet environnementaliste passionné et engagé s’inspire des meilleures pratiques dans le monde, lui qui a déjà visité plus d’une soixantaine de quartiers novateurs en Europe et en Amérique du Nord. Reconnu pour son franc-parler, il répond aux questions de Voir vert. Parcours et opinions. 

Pourquoi avez-vous choisi l’aménagement du territoire ?
C’est un professeur de l’UQAM, pendant mon baccalauréat en urbanisme, qui m’a donné la piqûre. Robert Petrelli, urbaniste et avocat, m’a convaincu avec son discours sur l’échec des pratiques urbanistiques au Québec. L’idée de travailler à ce que le territoire soit aménagé autrement m’apparaissait comme une belle profession. En 1993, j’ai donc décidé d’entreprendre une maîtrise en Aménagement du territoire et développement régional (ATDR) à l’Université Laval. Mais cinq ans d’étude dans le domaine, c’est peu. Si j’avais connu l’existence de la technique en aménagement au Cégep de Rosemont a priori, je l’aurais fait. 

D’où vient votre intérêt pour le développement durable ?
Ma conscience environnementale remonte à l’âge de 10-12 ans. J’habitais Rouyn-Noranda : une ville minière dans une région minière. Je savais qu’on y produisait des métaux et j’étais dérangé par les produits de consommation qui aboutissaient à la poubelle. Souvent, j’ai aperçu les wagons de résidus miniers, solides et liquides, sortir de l’usine et être vidés sur un terrain avoisinant un lac. Avec le vent, le plan d’eau devenait orange et ça m’a marqué. J’en concluais que notre confort se faisait au détriment de notre environnement. 

Quelle est la genèse de Vivre en Ville ?
Durant ma maîtrise, en préambule d’un travail d’équipe, j’annonçais ce que je souhaitais créer comme groupe environnemental. À l’époque, on pensait verdir les ruelles, embellir les cours arrière, contrer les assauts du trafic et rendre plus attrayants les quartiers centraux. Bref, on aspirait d’abord à diminuer les irritants de la ville. Aujourd’hui, le rôle de l’organisme est davantage axé sur les nouvelles pratiques en matière d’urbanisme. Il œuvre au développement de collectivités viables, tant à l'échelle du bâtiment qu'à celles du quartier et de l'agglomération.

Quel est l’état de la situation au Québec ?
Actuellement, les périmètres d’urbanisation sont trop grands, ce qui nous rend dépendants de l’automobile. Il y a trop d’opportunités de localisation et les promoteurs font n’importe quoi, parce qu’il y a un laisser-aller au point de vue législatif. Nos règlements sont désuets. Les plans métropolitains commencent à serrer la vis, mais c’est encore peu et ça arrive tard. Au lieu de se concerter et de planifier, on additionne les besoins et l’on démultiplie le nombre de terrains à construire et les nouveaux axes de transport qui, faut-il le rappeler, nécessitent un entretien récurrent. Il est grand temps de circonscrire le territoire pour, entre autres, préserver nos terres arables et valoriser les espaces déjà urbanisés. 

Quelle est l’origine de ces lacunes en aménagement ?
L’application de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, adoptée en 1979, a renforcé la gestion par zones monofonctionnelles pour les industries, résidences, commerces et aussi l’agriculture. Une bonne partie des problèmes que nous avons en matière d’aménagement provient de cette séparation des fonctions. L’urbanisme fonctionnaliste est une approche issue du mouvement hygiéniste des années 50, un courant mondial notamment prôné par Le Corbusier. 

Comment pouvons-nous retourner la situation ?
La population a besoin d’une offre en habitation et en transport mieux adaptée aux réalités actuelles. Pour ce faire, on peut notamment reconstruire la ville sur la ville, comme nous l’avons fait avec la Coop Vivre en ville et le Centre culture et environnement Frédéric Back, tous deux à Québec. La Coop est un des premiers projets pour lequel nous avons mis en pratique les principes que nous défendions. 

Quels sont vos projets coup de cœur au Québec ?
Partout au Québec, les quartiers qui ont vu le jour avant la Seconde Guerre mondiale sont très intéressants et ils ont beaucoup de potentiel. À Montréal, les efforts vers une mobilité plus durable sont notables sur le Plateau. Dans Hochelaga-Maisonneuve, mon coup de cœur va à la revitalisation du secteur de la Place Valois et son logement social. De manière plus générale, je dirais que le Bixi est une grande réussite, car le déplacement actif est en demande et ça répond à ce besoin. À Québec, les quartiers centraux sont sur la bonne voie. Je salue aussi l’initiative du groupe d’autopromotion Cohabitat. Ici, l’autopromotion est une rareté alors qu’en Europe c’est plus commun. Ce type de développement immobilier devrait être davantage favorisé par l’État et les municipalités québécoises ; c’est souvent un gage de succès. 

Où sont les plus belles occasions de requalifications urbaines ?
D’emblée, je pense à tous les cœurs de villes et villages du Québec ; toutes les zones près des services existants méritent une requalification urbaine. Au Québec, nous sommes les champions de l’étalement urbain. Il y a aussi les friches urbaines le long des parcours Métrobus de Québec. Là, c’est plus de 30 000 unités d’habitation qui pourraient être créées ! Le futur écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres, il est bien placé, mais on a besoin d’une masse critique pour redonner vie à cette zone et pour ça, l’offre devra être adéquate. Pour ce faire, les logements et propriétés devront être abordables et diversifiés, à l’image d’une clientèle mixte : aînés, personnes seules, familles, jeunes couples, retraités et j’en passe. Cela veut aussi dire des bâtiments à l’architecture variée, avec des unités traversantes, une abondance d’éclairage naturel, sans compter des espaces verts privatifs bien conçus. 

Quelle est votre définition du bâtiment durable ?
Outre l’enjeu principal de la localisation, si l’on veut densifier le territoire, il faut ajouter deux critères indéfectibles : l’insonorisation et la qualité des espaces extérieurs. Avec ça, si la ventilation et les espaces sont adéquats, on peut garder la population au cœur des villes et villages. Sur le plan énergétique, on doit préconiser les murs mitoyens et réduire la superficie des murs extérieurs, dans le but de minimiser les déperditions de chaleur. 

Quels sont les écoquartiers qui vous inspirent ?
Bo 01, à Malmö (Suède), et Vauban, à Fribourg (Allemagne), sont certes parmi mes meilleurs exemples. Quand les enfants et les aînés se sentent en sécurité dans leur quartier, c’est un avantage pour toute la société. Et quand la verdure se mêle à l’esprit architectural, et que les modes de transports actifs ont la priorité, on commence à parler de qualité de vie. À Vauban, sur un kilomètre de long, on compte cinq parcs et une place publique. À Malmö, l’automobile circule dans le quartier à 10 km/h et elle est marginale. Ces quartiers sont extrêmement prisés. Tout est dans la densité perçue. Des propriétés qui présentent une qualité équivalente ou supérieure à un bungalow, c’est possible en zone densifiée. Il suffit de faire un meilleur usage de l’espace. Et en plus, ça coûte moins cher à la municipalité. Difficile à croire ? Oui, ce l’est parce que la plupart des cas que nous avons ici sont de mauvais exemples de densité. Les conditions gagnantes à la densité sont une diversification de l’offre en habitation, de l’intimité, la création d’allées piétonnières attrayantes, une architecture dynamique, des espaces verts, du transport collectif structurant et des pôles de services consolidés. En cessant de construire des unités d’habitation dépendant de l’automobile, nous allons redonner vie aux cœurs de quartiers et investir dans notre santé collective.

Engagements

Outre ses fonctions au sein de l’organisme Vivre en Ville, Alexandre Turgeon est aussi vice-président exécutif du Conseil régional de l’environnement (CRE) Capitale-Nationale et du Centre de l’environnement. Au niveau de la collectivité, il siège au Comité de vigilance de l’incinérateur de la Ville de Québec et au Comité de relations avec la communauté du Port de Québec. Il fait également partie du comité directeur du Centre québécois d’actions sur les changements climatiques, en plus d’être membre des conseils d’administration suivant : le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ), l’Organisme des bassins versants (OBV) de la Capitale, la Maison du développement durable et le centre de gestion des déplacements de Québec Mobili.T.