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Entretien avec Jason F. McLennan

28 mai 2014

Rencontre avec Jason F. McLennan, l’un des acteurs les plus influents sur la scène mondiale du bâtiment durable. Vision et aspiration du père du Living Building Challenge.

Par Marie-Ève Sirois

Architecte, concepteur, auteur, conférencier, consultant et environnementaliste. Voilà les multiples descriptifs qui accompagnent le nom de Jason F. McLennan. Mais surtout, c’est celui derrière le système de certification Living Building Challenge (LBC) récemment traduit en français par le Collaboratif Living Building Challenge : Montréal, sous l’appellation Défi du bâtiment vivant.

Actuellement président exécutif de l’International Living Future Institute, qui de mieux placé que Jason F. McLennan pour aborder le sujet des bâtiments durables, voire régénératifs ou encore vivants ? Cet homme, dont les idées ont fait le tour du monde depuis une dizaine d’années, est toujours aussi convaincu qu’il y a une autre façon de concevoir l’environnement bâti. Avec grande simplicité, une pointe d’humour et beaucoup de tact, il livre sa vision : la « conception site-climat-culture ».

D’où provient votre intérêt pour l’environnement ?
Natif de l’Ontario, je vivais à Sudbury pendant mon secondaire. J’ai eu la chance de participer à des projets de verdissement pour cette ville et j’ai tôt fait de réaliser à quel point nos efforts pouvaient favoriser un environnement plus sain, plus durable. Je suis donc devenu environnementaliste très jeune.

Avez-vous un maître à penser ?
Définitivement, Bob Berkebile est mon mentor, et probablement celui dePeter Busby aussi. Il fait partie des pionniers qui œuvraient dans le bâtiment vert avant même que ce soit à la mode. En 1990, aux côtés de Kirk Gastinger, il a fondé le comité sur l’environnement au sein de l’American Institute of Architects. Ce dernier a mis la table pour la formation du Conseil du bâtiment durable des États-Unis, en 1993. Bob a élaboré des critères de conception pour l’efficacité des ressources sur plusieurs aspects du bâtiment, notamment l’énergie et les matériaux. Il a entre autres signé des projets d’architecture durable pour la Maison-Blanche, le Pentagone et l’Université du Texas à Houston. C’est lui qui a popularisé le sujet de l’empreinte écologique. Honnêtement, il nous a ouvert les portes. C’est un peu le Yoda du bâtiment durable !

Quelle est la genèse du Défi du bâtiment vivant ?
À la fin des années 90, aux côtés de Bob, j’y pensais déjà. Et lorsque je me suis fait embaucher par le Conseil du bâtiment durable Cascadia(nord-ouest de la côte Pacifique) en 2006, ils ne savaient même pas que j’étais en train d’écrire la norme. J’ai d’abord gardé le secret et, après quelques mois, j’ai présenté mon projet au conseil d’administration qui l’a tout de suite endossé. Une stratégie de mise en marché internationale a ensuite été développée. Nous souhaitions mettre le paquet et effectuer un lancement grandiose. Le tout s’est déroulé en grande primeur à la conférence de Greenbuild [Denver, Colorado] en 2006.

Pourquoi avoir créé le LBC alors que LEED émergeait ?
Ces deux systèmes de certification ont des missions bien différentes l’une de l’autre. LEED invite le marché de masse à faire mieux, de manière incrémentale. Cela était et demeure toujours nécessaire. Le Défi du bâtiment vivant est plutôt la définition de ce qui doit être construit, pour que l’impact des bâtiments sur notre environnement soit positif. De plus, c’est une forme de clarification sur ce qu’est, ultimement, un bâtiment durable.

Comment fut accueilli le LBC dans la communauté ?
Au début, je craignais que le Défi ne soit pas adopté assez rapidement. Mais finalement, je suis agréablement surpris. Le changement de paradigme est amorcé. Nous avons déjà plus de cinq millions de pieds carrés de bâtiments vivants [ou en voie de l’être] répartis sur une centaine de projets à travers 13 pays. Pourtant, il y a quelques années, j’entendais que c’était impossible de respecter les critères imposés par notre programme. 

Que répondez-vous à ceux qui rebutent les coûts reliés à un bâtiment vivant ?
Maintenant, c’est beaucoup plus simple de répondre à cette question, puisque je peux leur dire de venir constater d’eux-mêmes, dans notre édifice de bureaux à Seattle (Bullitt Center). Je suis maintenant en mesure d’appuyer mes affirmations par des exemples réels de performances modèles, qui se soldent notamment par des gains économiques. Si on investit notre argent dans les enjeux critiques, il n’en coûte pas beaucoup plus cher de construire un bâtiment durable, certainement pas le double. D’ailleurs, comme les connaissances et le choix des matériaux s’approfondissent avec le temps, l’argument commercial du bâtiment vivant s’améliore d’année en année.

Que dites-vous à celui qui veut un bâtiment LEED certifié ?
Le niveau LEED certifié est beaucoup trop facile, il faut viser plus haut. D’autant plus que c’est sous les standards du marché immobilier dans plusieurs régions du monde. Les niveaux Or ou Platine de LEED sont maintenant le point de départ pour un développement sérieux, de qualité.

Et si c’est la certification LBC qui intéresse un promoteur ?
Alors là, je lui conseille de s’entourer de gens compétents et de parler à des gens d’expérience connaissant bien le processus. Le monde du bâtiment vivant est complètement différent ; il requiert une approche de conceptualisation autre, de même qu’un savoir plus étendu. La construction d’un bâtiment vivant nécessite de meilleures façons de faire. Lorsqu’on y goute, on ne peut plus revenir aux anciennes méthodes.

En quoi la conception d’un bâtiment vivant diffère-t-elle ?
Les barrières au bâtiment durable ne sont pas technologiques, mais plutôt culturelles. Il faut cumuler beaucoup plus de données et d’analyses lors de la phase de conception. De plus, la conception intégrée est incontournable, de même que l’analyse du site et du climat d’accueil. Par opposition aux règles du pouce, les critères de décisions sont nombreux et précis. À titre d’exemple, le coût et les fonctionnalités d’un produit côtoient des normes d’esthétique, d’impact carbone et d’éthique.

Quelles sont les embûches typiques au LBC ?
Nous avons une chaîne d’approvisionnement toxique. Les impacts réels de l’utilisation des matériaux sont méconnus. Par ces impacts, j’entends ceux au niveau de la santé des êtres humains, mais aussi ceux sur notre environnement. Pour cette raison, nous avons créé le programmeDECLARE, une sorte d’étiquette de nutrition pour les matériaux. C’est un format très convivial pour les manufacturiers qui font leurs devoirs et ça permet aux professionnels qui se prêtent au Défi de voir clair par rapport à la liste rouge des substances à ne pas utiliser. C’est notamment pour cette raison que j’ai commencé à travailler directement avec eux...

Que faites-vous avec les manufacturiers ?
Afin de contribuer à l’offre de matériaux sains, j’ai lancé ma propre gamme de matériaux à base de pierres de taille recyclées. Nous retournons aux matières premières, de façon moderne. Je travaille sur d’autres types de matériaux sains aussi. Pour l’instant, je resterai vague, mais disons que ces derniers touchent l’éclairage, les matériaux issus de bois et de terre.

Que nous réserve la prochaine mouture du LBC ?
Pour la seconde version, l’échelle d’application a été élargie du bâtiment au quartier. En ce qui concerne la troisième version, nous continuerons de viser plus haut et nous allons notamment renforcer tout ce qui concerne le volet Équité. Notre récent programme de justice sociale, JUST, est d’ailleurs conçu en ce sens. Il importe que les fournisseurs de produits, services ou d’équipements traitent adéquatement leur personnel.

Parcours

Jason F. McLennan a fait son cours d’architecture à l’Université de l’Oregon, puis il a obtenu sa maîtrise dans le même domaine à l’Université du Kansas. Après quoi, il s’est illustré en tant qu’associé chez BNIM pendant une dizaine d’années, pour ensuite prendre les commandes du Cascadia Green Building Council, en 2006. Depuis, il agit comme président exécutif pour l’organisation, de même que pour l’International Living Future Institute, créé en 2009. En 2012, il ajoutait à son arc le poste de chef de l’innovation au sein de la firme d’ingénierie Integral Group.

Reconnaissances récentes
  • 2012 – Prix Buckminster Fuller
  • 2012 – Ashoka Fellowship
  • 2012 – Yes! Magazine’s Breakthrough 15
  • 2010 – Finaliste pour le Buckminster Fuller Prize
  • 2009 – Top 25 Most Influential Individuals, Seattle Magazine
  • 2008 – Finaliste aux BetterBricks Awards
  • 2008 – Membre du jury pour le AIA COTE Awards
Livres
  • Transformative ThoughtEcotone 2012 
  • Zugunruhe, A Personal Migration to Deep SustainabilityEcotone 2010 
  • The Ecological Engineer, KEEN EngineeringEcotone 2005 
  • The Philosophy of Sustainable Design, The Future of Architecture,Ecotone 2004 
  • The Dumb Architect’s Guide to Glazing SelectionEcotone 2004