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20 juin 2013

Rencontre avec Peter Busby. Pionnier de l’architecture écologique au Canada, il continue de repousser toujours plus loin les standards de durabilité dans le bâtiment.

Par Léa Méthé Myrand

Pionnier de l’architecture verte et membre fondateur du Conseil du bâtiment durable du Canada (CBDCa), l’architecte Peter Busby a signé la conception de plusieurs bâtiments phares à la tête de Busby + Associates avant de fusionner avec Perkins + Will en 2004. Aujourd’hui directeur général du bureau de San Francisco de Perkins + Will, il agit comme expert en design écologique pour les projets de la firme à travers le monde. Ses créations, dont le Centre for Interactive Research on Sustainability (CIRS) et le pavillon du Jardin botanique VanDusen, tous deux inaugurés à Vancouver en 2011, établissent de nouveaux standards de performance environnementale tout en proposant des espaces invitants, voire irrésistibles. 
En dépit de son agenda (sur)chargé, c’est avec une grande générosité qu’il a bien accepté de répondre aux questions de Voir vert

Comment vous êtes-vous intéressé au bâtiment durable ?
J’ai d’abord étudié en art et en philosophie. Dès ma première journée comme étudiant en architecture, j’avais adopté une position de principe et je savais que je devais travailler sur le lien entre les bâtiments et la nature. Un de mes premiers projets, à la fin des années 80, consistait à implanter 500 habitations sur une île magnifique au large de Vancouver. J’ai décidé d’appliquer les principes de l’architecte paysagiste Ian McHarg, auteur de Design with Nature, et ma proposition a beaucoup plu au promoteur. En bout de ligne, nous avons pu préserver 77 % du terrain dans son état naturel. 

Votre communauté professionnelle partageait-elle vos idéaux ?
J’ai fait cavalier seul pendant un moment. Puis la communauté s’est développée, notamment autour du professeur Ray Cole, qui enseignait la conception écologique à l’Université de la Colombie-Britannique. Il a eu beaucoup d’influence sur mon travail et demeure encore aujourd’hui un ami. En parallèle, quelques ingénieurs, dont Paul Marmion, Blair McKerry et Kevin Hydes, travaillaient sur les questions de développement durable. Nous avons commencé à collaborer étroitement et avons développé ensemble des stratégies pour l’utilisation de la ventilation naturelle, de la masse thermique, etc. 

Le bâtiment durable rapproche-t-il les architectes et ingénieurs ?
Oui, car le design durable exige l’intégration. C’est ce qui distingue les mandats traditionnels des mandats en bâtiment durable. Ce ne sont pas seulement les ingénieurs qui sont sollicités, mais toutes les disciplines ; les différents corps professionnels sont impliqués dans une approche collaborative pour arriver à des solutions uniques. Vous savez, nos meilleurs bâtiments possèdent un minimum de systèmes mécaniques. Nous travaillons très fort avec les ingénieurs mécaniques pour s’assurer qu’ils aient le moins de boulot possible (rires…) 

Certains professionnels rechignent-ils  à travailler de cette manière ?
Il y a des dinosaures dans toutes les disciplines et nous avons certainement eu affaire avec plusieurs d’entre eux au cours de notre pratique, mais de moins en moins. Il y a une nouvelle compréhension et c’est de plus en plus aisé de trouver des collaborateurs partout où nous allons. 

Certaines des pratiques que vous déplorez perdurent cependant à ce jour…
Oui, il y a de mauvais bâtiments qui se construisent encore aujourd’hui. Mais comme la nouvelle génération d’architectes accède à des postes de responsabilité, les pratiques sont appelées à changer. Malheureusement, les projets d’envergure sont souvent menés par les plus vieux architectes (rires), ce qui perpétue les mauvaises pratiques. Nous avons aujourd’hui des ressources pour mesurer les performances des bâtiments et sommes en mesure de fixer des barèmes pour les performances énergétiques et la consommation d’eau de chaque type de bâtiment. Nous savons ce dont nous sommes capables aujourd’hui et nous nous astreignons à respecter ces standards. 

Un aspect du bâtiment durable vous passionne-t-il en particulier ?
Oui. Et en ce moment, c’est l’intégration du bois. Mes quatre ou cinq derniers projets sont très axés sur le bois. Nous proposons maintenant des bâtiments de bureaux et institutionnels avec structures de bois, des tours résidentielles. Si les forêts sont exploitées de manière durable, il s’agit d’une ressource renouvelable ; c’est également une stratégie de séquestration du carbone. Nous sommes enchantés par l’arrivée sur le marché nord-américain du CLT qui nous permet de concevoir des éléments structuraux à partir d’arbres de plus petites dimensions plutôt que d’exploiter les forêts anciennes.
J’ai aussi un intérêt marqué pour le design régénératif, qui implique pour un projet qu’il ait un impact environnemental positif sur le site et les occupants.

 Comment intégrez-vous les pratiques écologiques tout en demeurant compétitif ?
Je formule les objectifs environnementaux dès le début du projet et nous travaillons en conception intégrée avec les futurs occupants et les autres professionnels pour développer nos stratégies. Il y a un marché pour cela, il s’agit de trouver les clients qui sont intéressés. Évidemment, j’ai cette réputation associée au bâtiment durable et j’ai régulièrement l’occasion de parler aux médias, ce qui me donne l’occasion de me positionner sur ce qui me tient à cœur. C’est ainsi que les clients viennent à moi. 

La durabilité est-elle parfois une contrainte à votre créativité comme architecte ?
Jamais ! Les idées qui émergent d’une conception durable sont toujours plus riches et complètes. Il en résulte des bâtiments dont toutes les façades sont différentes, où la luminosité naturelle est privilégiée, où l’on trouve de l’eau et des plantes, des matériaux de finition naturels… 

Quel est votre rapport avec les certifications environnementales ?
Nous avons implanté LEED au Canada il y a 10 ans et je constate que l’organisation est un grand succès qui a contribué à transformer le milieu. J’estime qu’il est important de viser sans cesse le niveau le plus élevé et de s’améliorer constamment. J’ai vu la nouvelle version de LEED et je me réjouis de l’introduction de niveaux de performances énergétiques obligatoires. 

Observez-vous des différences entre les préoccupations américaines et canadiennes ?
Les Américains sont plus préoccupés par l’atteinte des certifications alors que les architectes et ingénieurs canadiens ont une compréhension plus globale des enjeux environnementaux. Nous avons en ce moment un vaste projet avec Google pour lequel nous souhaitons obtenir la certification Living Building Challenge. C’est une opportunité fantastique que nous n’aurions pas au Canada, par exemple. C’est aujourd’hui facile pour moi d’obtenir la certification LEED Platine. Par contre, Living Building Challenge est un standard beaucoup plus exigeant et je suis très emballé à l’idée de relever un pareil défi.

 La communauté professionnelle canadienne est-elle constituée de deux solitudes ?
Je ne suis pas très familier avec la situation du Québec. Je crois cependant savoir que grâce à certains programmes soutenus par Hydro-Québec, la qualité de l’enveloppe des bâtiments québécois que j’ai vus est supérieure à ce qui se fait ailleurs en Amérique du Nord. Cependant, les tarifs d’électricité y sont très bas, ce qui va à contre-courant des efforts en efficacité énergétique puisque ces mesures sont moins rentables à court terme. À 34 cents/kW en Californie, j’ai cinq fois plus de munitions pour bâtir mon argumentaire en faveur de la performance énergétique. Au Québec, au Manitoba et en Colombie-Britannique, où l’hydroélectricité est abondante, ça pose problème. 

Quelles préoccupations professionnelles vous gardent éveillé la nuit ?
J’ai des projets partout dans le monde et je réalise avec horreur à quel rythme nous continuons à détruire l’environnement. Je travaille en Chine actuellement et en l’espace de 30 ans, le pays a été ruiné : les cours d’eau sont pollués, l’air aussi, la nourriture est contaminée. C’est vraiment choquant de constater ce qui se fait au nom de la prospérité ! Je me désole de constater à quelle vitesse les gens ont mis de côté les méthodes de construction vernaculaires adaptées à la fois au climat et aux mœurs locales pour ériger des tours de verre de cent étages en plein désert. La bataille pour renverser le cours des choses est immense et je ne suis pas certain de voir ça de mon vivant.  

Quelle place occupe le développement durable dans votre vie personnelle ?
Eh bien, j’ai quatre enfants à l’université et tous les quatre se destinent à des occupations qui contribueront au bien-être de la société. De la manière dont je les ai élevés, en les incitant à se déplacer à pied et à jardiner avec moi, j’ai élevé une famille d’environnementalistes et j’en suis très fier.

Curriculum

Le parcours de Peter Busby est reconnu par les plus hautes instances canadiennes. En 1997, il est admis au Collège des fellows de l’Institut royal d’architecture du Canada alors qu’en 2005, c’est le gouverneur général du Canada qui brandit les honneurs et lui dessert le statut de Membre de l’Ordre du Canada. Détenteur d’un baccalauréat en architecture de l’Université de la Colombie-Britannique et d’une maîtrise en arts de l’Université de Toronto, il obtient aussi un doctorat honorifique en science, en 2008, de l’Université Ryerson (Toronto). En 2011, le Cascadia Green Building Council, un chapitre unifié des sections régionales de l’Oregon, de Washington et de la Colombie-Britannique, nomme Peter Busby Cascadia Fellow.

Des projets marquants

La feuille de route de Peter Busby est marquée de réalisations durables hors de l’ordinaire. Outre le bâtiment d’accueil du Jardin botanique VanDusen (Vancouver, 2013), soulignons parmi les projets auxquels il a été associé l’édifice Normand-Maurice, dans le sud-ouest de Montréal (2009), mais aussi des projets distinctifs comme la gare de l’aérotrain de Brentwood (Vancouver, 2001), l’Institut de technologie Nicola Valley (Merritt, 2002), l’écoquartier Dockside Green (Victoria, 2009) et l’école primaire Samuel Brighouse (Richmond, 2011). Enfin, mentionnons le Centre de recherche interactive sur le développement durable de l’Université de la Colombie-Britannique (Vancouver 2013), qui s’est distingué parmi les cinq projets les plus durables au pays selon Delta Management, une firme de recherche spécialisée en technologies propres.