Aller au contenu principal
x
28 mars 2014
Par Marie-Ève Sirois*

Élaborée en une fin de semaine lors d’une compétition interne chez Perkins+Will, l’Arche de Noé brille par son originalité et ses fonctionnalités. Survol du concept gagnant avec les trois membres de l’équipe.

Octobre 2013. Trois professionnels passionnés de Perkins+Will unissent leurs efforts pour participer au concours annuel de design de la firme. En une fin de semaine, l’équipe doit concevoir un quartier mixte pour un emplacement bien précis de Philadelphie, Pennsylvanie : une friche industrielle désaffectée et probablement contaminée. Le secteur est urbain et sous-utilisé. Mais surtout, le site borde le fleuve Delaware et fait partie d’une zone inondable de récurrence 0-100 ans. 

Le programme imposé est le suivant : 9 300 mètres carrés de superficie bâtie pour loger 110 unités résidentielles, un centre communautaire, des bureaux, des commerces, une agora et un stationnement couvert de 150 cases. De surcroît, il faut créer un quartier abordable dans un environnement où le mode de vie est sain et productif, mais aussi durable. 

Après trois jours de travail acharné, Jeremiah Deutscher (architecte junior), Achim Charisius (architecte sénior) et Santiago Diaz (concepteur de modèles informatiques), du bureau de Vancouver, déposent un projet axé sur l’autosuffisance et la résilience. Ils remporteront les honneurs parmi une cinquantaine d’équipes. 

En vérité, l’équipe Deutscher–Charisius-Diaz a décidé de pousser le défi lancé un cran plus loin. Achim Charisius raconte : « Lors des discussions initiales, nous avons décidé de créer une communauté qui aurait un impact positif non seulement sur elle-même, mais aussi sur les quartiers environnants. » De là, l’ampleur du projet proposé, composé du programme original... multiplié par six. 

L’Arche de Noé porte bien son nom : c’est un quartier flottant constitué de six plateformes semblables, mais non identiques. Sur chacune de ces unités autonomes se trouvent notamment une centrale énergétique, une tour de culture hydroponique, une pisciculture et un immense réservoir d’eau. 

Ce quartier, qui permet de maximiser l’usage du rivage et d’optimiser la valeur immobilière du site, est connecté au réseau urbain par un téléphérique. Et pourquoi un tel mode de transport ? « Parce qu’il est plus facilement déplaçable qu’un rail ou une route, répond Achim Charisius, moins susceptible d’être affecté par une inondation et que son impact carbone est faible. » 

Fait intéressant, l’équipe a camouflé les stationnements de la communauté dans les plateformes flottantes. Cela permet notamment de préserver toute la portion terrestre pour une réhabilitation des milieux humides environnants. Et pour compléter, la terre d’excavation des pieux d’ancrage sert à agrandir les habitats fauniques et floristiques du site, et ainsi accroître la biodiversité du secteur. 

Les unités d’habitation seraient pour leur part préfabriquées à même des entrepôts à l’abandon de la région, qui ont subi les contrecoups de la crise économique de 2008. Construites selon les prérequis Passivhaus, ces dernières seraient principalement composées de bois d’ingénierie, un matériau qui semble faire l’unanimité au sein de l’équipe. « Il est durable et s’intègre facilement dans un processus de préfabrication, explique Santiago Diaz. Mais attention à l’attrait du grain de bois, nous le recouvrons pour éviter l’exposition de l’ossature aux éléments. » 

Autosuffisance

Réalistes, les concepteurs tentent de se rapprocher, du mieux qu’ils le peuvent, de l’autosuffisance. Jeremiah Deutscher, explique : « La culture hydroponique verticale a été sélectionnée pour sa compacité. Nous nous sommes basés sur une technologie vancouveroise connue sous le nom de VertiCrop. » 

Selon les calculs, une tour produit 7 500 plants de laitue mature par mois, ce qui exclut la période de démarrage des plants à partir des graines, qui doit être effectuée en parallèle. Les pépinières sont donc situées à l’intérieur des plateformes, près des stationnements, dans un environnement où l’éclairage et la température sont contrôlés. 

Les tours servent à produire des variétés à feuilles vertes, en combinaison avec des cultures de plantes racinaires, à plus haute teneur calorique. En période hivernale, l’apport de diodes électroluminescentes a été prévu au bilan énergétique afin de maintenir le niveau de production. Bien que tous ces moyens ne puissent entièrement suffire aux besoins en nourriture des résidents, l’idée est de produire une forte proportion de denrées localement. 

Qui dit nourriture et autosuffisance réfère à une source d’eau potable fiable et renouvelable. Là aussi, les compétiteurs ont fait leur devoir en proposant des tours réservoirs, adjacentes aux serres. Ces infrastructures sont à la fois des réservoirs de contention pour l’eau de pluie et des bassins thermiques. L’une des six tours sert à la filtration de l’eau. 

Sur le plan de la faisabilité, les membres de l’équipe sont très candides sur les points faibles de leur projet, qui, dans sa globalité, leur apparait réalisable. « La plupart des technologies que nous avons assemblées existent, disent-ils. Par contre, les questions suivantes demeurent sans réponses, faute de temps : le téléphérique pourrait-il répondre aux allées et venues de 900 personnes ? Et la Ville de Philadelphie accepterait-elle de modifier le zonage du site pour rendre de tels développements possibles ? » Il faudra attendre qu’une ville se lance dans l’aventure pour préciser ces aspects.


* Marie-Ève Sirois est cofondatrice d’Écobâtiment

Mesures durables
  • Densification de la zone urbaine
  • Restauration de milieux humides
  • Réseaux de transport en commun
  • Stationnements couverts (6 fois 150 cases)
  • Collecte et réutilisation des eaux pluviales
  • Unités modulaires pouvant produire de la nourriture et de l’énergie
  • Tour de filtration pour la production d’eau potable
  • Centrale énergétique carboneutre
  • Source énergétique 100 % renouvelable
  • Unités d’habitation traversantes
  • Consommation d’eau potable limitée à 120 litres par personne par jour
  • Isolation des unités d’habitation conforme à la norme Passivhaus
  • Possibilité d’utiliser les plateformes comme abris temporaires pour la population environnante en cas de besoin.
Composantes du quartier
  • Six modules flottants pouvant loger environ 150 personnes chacun
  • Un téléphérique
  • Une grue flottante
  • Une plateforme d’entreposage temporaire pour les unités préfabriquées
  • Chaque module flottant est composé de :
    • 110 unités résidentielles préfabriquées : 30 x 2 chambres ; 20 x 1 chambre ; 20 studios (45 m2) ; 40 micro unités (37 m2) ;
    • un centre communautaire (650 m2) ;
    • 650 m2 de bureaux ;
    • 650 m2  d’espaces commerciaux ;
    • un stationnement de 150 cases ;
    • une agora (200 personnes) ;
    • une tour de production maraîchère ;
    • une aire de pisciculture (150 000 L, 1 600 tilapias par an)
    • des éoliennes
    • des panneaux solaires photovoltaïques
    • une centrale de cogénération à la biomasse : résidus de bois d’ingénierie provenant des usines de préfabrication des modules ; bois recyclé à partir de chantiers de construction ; matière ligneuse issue de l’entretien paysager ; résidus agricoles.