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Le Manège militaire Voltigeurs de Québec

22 octobre 2019
Par Rénald Fortier

Vol au-dessus d’une réalisation conjuguant la mémoire d’une icône du patrimoine architectural au futur durable : la reconstruction du Manège militaire Voltigeurs de Québec.

Vieux-Québec, 5 avril 2008. Au lendemain du violent incendie qui a ravagé le Manège militaire Voltigeurs la nuit durant, c’est un véritable joyau du patrimoine architectural québécois, voire canadien qui est ainsi presque entièrement réduit en cendres. Mais c’est aussi le point de départ d’une grande aventure qui mènera ultimement à la renaissance de cet imposant bâtiment d’inspiration française, dont la construction avait été entreprise au milieu des années 1880 suivant les plans de l’architecte Eugène-Étienne Taché.

Cette reconstruction sera le fruit d’un long processus qui s’articulera autour d’un dénominateur commun entre ce que fut le Manège militaire Voltigeurs et celui qu’il sera éventuellement appelé à devenir : la somme des composantes architecturales et structurales ayant pu être sauvegardées, principalement des murs de maçonnerie en pierre calcaire de la façade nord donnant sur Grande Allée.

« Nous étions sur place dès le soir de l’incendie et dans les jours d’après pour veiller à la conservation des collections historiques que renfermait le Manège et des vestiges du bâtiment, puis nous avons vu à l’évaluation des valeurs patrimoniales résiduelles dans les mois suivants », relate Jean-Benoit Saint-Laurent, architecte, gestionnaire du programme de conservation du patrimoine à Travaux publics et Approvisionnement Canada (TPSGC) – aujourd’hui Services publics et Approvisionnement Canada.

Et d’enchaîner celui qui agira aussi à titre de gestionnaire principal du projet de reconstruction chez TPSGC : « Dès le départ, nous nous sommes assurés de récupérer et de conserver tout ce qui pouvait l’être, comme les éléments architecturaux brûlés et les pierres qui étaient tombées, en vue de leur restauration et de leur réutilisation éventuelles, ou encore pour s’en servir pour faire de la reproduction. Outre les murs de maçonnerie toujours debout, nous en avons rempli six pleins conteneurs. »

Changement de vocation

Après l’exécution de travaux de mise en protection des vestiges du manège, différentes voies pouvant être empruntées pour la suite des choses sont présentées au gouvernement fédéral dès la fin de l’été 2008. Elles vont de la transformation complète à la reconstruction à l’identique, en passant par la démolition ou encore à un statu quo se traduisant tout simplement par la conservation de ce qu’il reste du bâtiment.

Arrêtée finalement plusieurs mois plus tard, au terme d’études et de consultations publiques, la décision de reconstruire s’accompagne d’un changement de vocation pour le Manège militaire Voltigeurs : replié autour de la fonction militaire depuis son inauguration en 1888 – suivra un agrandissement en 1913 –, il devra désormais s’ouvrir à la population. Non seulement son enceinte sera accessible au public, mais il constituera aussi un trait d’union entre Grande Allée, à la hauteur de la Colline parlementaire, et le parc des Champs-de-Bataille, côté plaines d’Abraham.

C’est ainsi que le manège sera transformé au final en un bâtiment qui logera à l’enseigne de la conservation patrimoniale, principalement grâce à la restauration de la façade de maçonnerie d’origine du côté nord et à la reconstitution de la toiture en cuivre de l’ancienne salle d’exercice et de sa crête faîtière. La facture architecturale de la nouvelle construction sera aussi toute teintée de modernité avec l’ajout, à l’ouest, d’un nouveau volume de quatre étages qui abritera des bureaux fédéraux ainsi que l’addition d’un foyer d’accueil vitré donnant accès à une vaste salle multifonctionnelle.

Occupant tout l’espace central du bâtiment qui logeait jadis la salle d’exercice du régiment de carabiniers des Voltigeurs, soit près de 1 680 mètres carrés, cette nouvelle salle sans nulle autre pareille sera en mesure de recevoir plus de 1 300 personnes. À la fine pointe des exigences scénographiques, acoustiques et structurales requises, ce lieu pouvant accueillir un large éventail d’événements : expositions, concerts, arts du cirque…

Superposition de défis

La conception d’un tel ensemble est loin d’être une mince tâche, très loin même. D’autant plus que la reconstruction du Manège militaire Voltigeurs doit s’inscrire dans une perspective résolument durable. Avec l’obtention d’une certification LEED Argent comme point de mire au départ, un objectif dont l’atteinte ne coule pas de source en raison de l’intégration de la grande façade plus que centenaire de l’ancien bâtiment. Si bien que cette certification sera écartée – on s’inspirera tout de même des exigences du système d’évaluation – puisqu’il serait impossible d’atteindre les préalables requis sur le plan énergétique.

« La façade de maçonnerie n’avait jamais été isolée et il était hors de question d’y ajouter de l’isolation pour en rehausser la résistance thermique, ce qui fait qu’on se disqualifiait d’entrée de jeu pour LEED », explique Stéphan Langevin, associé de STGM Architectes, firme qui a fait équipe avec A49 et DFS pour la conception du projet. Un processus de design qui a été mené en très étroite collaboration avec le client, avec le consortium réunissant Pageau Morel et Stantec, pour l’ingénierie mécanique et électrique, et avec Tetra Tech, en génie structural.

« On parle d’un bâtiment patrimonial de 130 ans, de renchérir Jean-Benoit Saint-Laurent, c’était donc déjà du développement durable que de réussir à préserver et à intégrer son enveloppe au design du projet. Parce qu’il faut nécessairement faire des compromis en conservation du patrimoine, dans ce cas-ci à l’égard de l’efficacité énergétique. La seule solution qui s’offrait à nous pour isoler une façade de maçonnerie massive comme celle du manège militaire, c’était par l’extérieur. Et là, on aurait complètement dénaturé le bâtiment. »

L’équipe de conception s’alignera donc sur les exigences du système Green Globe, moins contraignant en ce qui a trait à certains préalables concernant la résistance thermique du mur nord, mais encore là sans briguer une certification en bout de ligne. Il n’empêche que les concepteurs déploieront une batterie de stratégies pour optimiser le rendement énergétique du futur ensemble multifonctionnel. En témoigne la réduction de 33 % de la consommation énergétique des nouvelles installations par rapport à la référence du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments.

Solutions ingénieuses

Cette performance s’appuie notamment sur le recours à la géothermie – 40 puits forés à 145 mètres sous le stationnement arrière du bâtiment –, la récupération de toute la chaleur pouvant être réutilisée pour le préchauffage de l’air neuf, l’apport du solaire passif dans les bureaux et le foyer au sud, de même que la mise en place d’un système d’éclairage éconergétique.

L’intégration de telles stratégies au design du projet n’était cependant pas une rose sans épine, car elle devait se transposer dans un bâtiment d’origine qui, bien sûr, n’avait été nullement conçu pour accueillir des systèmes électromécaniques… De là à penser que les concepteurs ont dû user d’ingéniosité, et que les solutions préconisées s’accompagneront de défis complexes à relever à la mise en œuvre, il n’y a qu’un pas que l’on peut franchir d’un trait.

« Avec un bâtiment historique pourvu de murs massifs de presque quatre pieds d’épaisseur dans certains secteurs, il était impossible de passer la distribution mécanique horizontalement, illustre l’ingénieur Simon Leblanc, chargé du projet chez Pageau Morel. Il a donc fallu faire d’imposants tunnels en dessous des murs, en supportant la structure du bâtiment existant, pour desservir toutes les ailes du manège militaire. »

Comme si ne n’était pas assez, une grande salle mécanique sera pour sa part aménagée sous l’ancienne salle d’exercice. « Avant d’excaver et de casser du roc, il a fallu restaurer les murs de pierre périphériques et installer la nouvelle toiture, indique Guillaume Allard, chargé de projet chez Pomerleau. Après, nous avons pu procéder à l’excavation, au coffrage et au bétonnage dans l’enceinte du bâtiment. La salle était tellement haute que nous pouvions y travailler avec de grosses pelles hydrauliques, puis les camions et bétonnières entraient dans le bâtiment et en sortaient comme si on avait été à l’extérieur. C’était vraiment particulier. »

Le caractère singulier de ces interventions ne s’arrête pas là, car il a fallu monitorer les murs de maçonnerie massive tout au long de l’excavation des ouvrages en sous-œuvre dans le roc du Cap-Diamant, ceci de façon à s’assurer que les vibrations ne viennent pas impacter leur comportement. C’est sans compter que ces murs, qui jouent autant un rôle structural qu’architectural – parement extérieur –, avaient été lourdement endommagés par les années, l’incendie et les intempéries.

« Les contreforts et les murs de maçonnerie ont été démontés, puis remontés avec de la précontrainte pour les stabiliser, explique l’ingénieur en structure Mathieu Bouchard, chargé de projet chez Tetra Tech. Nous avons foré deux ancrages à haute résistance jusqu’à huit mètres dans le roc. La maçonnerie de pierre calcaire a ensuite été remontée autour des armatures à haute résistance, donc deux côtés d’armature par contrefort.

« Une fois rendu au sommet on est venu tendre l’armature, de sorte que les contreforts ont été post-comprimés. Nous avons pu nous assurer du bon comportement du bâtiment aux efforts de vent », poursuit-il, en soulignant que le concept de la structure en bois de la salle multifonctionnelle sortait lui aussi des sentiers battus.

Intégration du bois

Stéphan Langevin précise : « L’utilisation du bois est une décision à la fois patrimoniale, puisque ce matériau constituait la structure de la salle d’exercice à l’époque, et écologique. Nous avons donc superposé deux types de structure de manière à réduire les volumes d’air à traiter à l’intérieur de la grande salle. La structure est ainsi composée de colonnes et d’un platelage en bois massif au-dessus desquels se dresse une ossature légère avec un entretoit ventilé. »

Cette toiture, soulignons-le, coiffe une enceinte ceinturée de murs en brique mouchetés de plaques de plâtre d’une autre époque, autant de rappels historiques comme on en retrouve ailleurs dans le nouveau Manège militaire. C’est que les concepteurs désirant mettre en valeur le patrimoine dans un nouveau bâtiment aussi empreint de modernité, tous les éléments sauvegardés après l’incendie ne mettant pas en péril l’intégrité du bâtiment ont été restaurés et intégrés au projet. Comme les plâtres ou encore des portes et des cadres en bois.

« Il y a des endroits où il y a encore des parties de poutres brûlées, mais qui ne remettaient pas en question la sécurité des usagers, donne également en exemple l’architecte associé de STGM. Que ce soit beau ou pas, on laissait de telles composantes en place et on les mettait en valeur. C’est ce qui fait qu’en déambulant dans le manège militaire aujourd’hui, on est capable de lire toutes les couches de l’histoire de ce bâtiment, incluant l’épisode de l’incendie. »

Équipe du projet

Client : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada – aujourd’hui Services publics et Approvisionnement Canada

Architecture : Consortium A49 / DFS / STGM

Génie électromécanique : Pageau Morel / Stantec

Génie structural : Tetra Tech

Construction : Pomerleau

Architecture de paysage : Option Aménagement

 

Mesures durables
  • Sauvegarde et mise en valeur d’un bâtiment patrimonial
  • Conservation, restauration et réutilisation d’un maximum de composantes historiques : murs de maçonnerie, briques, portes et cadres en bois, fenêtres, finis architecturaux en plâtre et autres
  • Réduction de l’utilisation de matériaux neufs, des murs de briques et de plâtres restaurés étant laissés à nu par exemple
  • Intégration d’une nouvelle structure hybride mariant le bois massif (lamellé-collé et CLT) et l’ossature légère dans le cas de la toiture
  • Apport de luminosité abondante et larges vues sur l’extérieur dans les nouveaux espaces – bureaux de l’aile Ouest et foyer
  • Optimisation et contrôle de la lumière naturelle dans les espaces existants
  • Détournement de l’enfouissement de la majeure partie des rebuts de chantier
  • Utilisation de matériaux de construction à contenu recyclé et de provenance régionale
  • Et autres

 

Stratégies éconergétiques
  • Système géothermique comportant 40 puits à 145 mètres de profondeur couplés à cinq thermopompes de 25 tonnes chacune.
  • Stratégie de refroidissement gratuit s’inspirant des puits canadiens
  • Récupération d’énergie sur les systèmes d’apport d’air neuf et sur les refroidisseurs
  • Refroidisseurs (2) d’une capacité de 100 tonnes chacun
  • Chaudières (2) d’appoint à condensation de 1 200 MBH chacune – elles sont utilisées pour les pointes en chauffage environ deux mois et demi par année
  • Pompes à débit variable
  • Éclairage aux DEL avec détecteurs de présence et de luminosité
  • Apport de gains solaires passifs en hiver dans les agrandissements – bureaux et foyer – du côté sud, et occultation partielle des gains thermiques en été au moyen de brise-soleil constitués de lamelles métalliques disposées à la verticale
  • Et autres

 

Reconnaissances
  • Prix d’excellence de l’Ordre des architectes du Québec 2019, catégorie Mise en valeur du patrimoine
  • Prix d’excellence Cecobois 2019, catégorie Bâtiment institutionnel de plus de 1 000 m² et Mention patrimoine
  • Grand Prix du génie-conseil québécois 2019, catégorie Structure
  • Prix North American Cooper in Architecture 2019 pour la restauration de la toiture de cuivre
  • Prix Action Patrimoine 2019, mention spéciale, catégorie Projet remarquable
  • Prix du public et Prix spécial du jury des Mérites d’architecture de la Ville de Québec 2018
  • Prix Innova 2018 de l’Institut de développement urbain du Québec, mention Mise en valeur du patrimoine
  • Wood Design & Buildings 2018, Merit Award