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L’édifice de Rayside I Labossière

24 septembre 2012
Par Marie-Ève Sirois

Le bâtiment durable de la firme d’architecture montréalaise Rayside I Labossière, l’un des premiers projets à avoir brigué la certification LEED-NC au Québec.

Juillet 2003. Ron Rayside dépose une promesse d’achat pour un terrain situé dans le Centre-Sud de Montréal, quartier où il réside et s’implique socialement depuis déjà longtemps. C’est le point de départ d’une aventure qui mènera à la construction d’un immeuble au rez-de-chaussée duquel Rayside Architecte – aujourd’hui Rayside I Labossière – relogera ses bureaux au printemps 2006. L’édifice comprendra aussi quatre logements locatifs aux deux étages supérieurs.

Et c’est bien dans une aventure qu’il s’engage. Parce que Ron Rayside aspire dès le départ à se doter d’un bâtiment vert, un qualificatif que l’on prend encore bien soin de placer entre guillemets à l’époque. Sans compter qu’il vise à répondre aux exigences de LEED, système d’évaluation environnemental dont les rouages sont alors encore largement méconnus des professionnels du bâtiment au Québec. Au moment où le projet est enregistré au Conseil du bâtiment durable du Canada (CBDCa), en avril 2005, il est seulement le dixième à briguer la certification en sol québécois. C’est dire.

Le projet, mis en chantier en juin 2005, prendra forme au 1215 de la rue Ontario Est, où une barricade camouflait jusque-là un dépanneur en ruine. Baptisé Le Casse-tête en mémoire des graffitis qui ornaient la palissade, le projet aura bien porté son nom. Une appellation on ne peut plus prédestinée lorsqu’on sait que la construction d’un bâtiment durable relevait alors de la véritable course d’obstacles, tant les embûches étaient nombreuses. Comme la rareté des produits et matériaux écologiques disponibles sur le marché. Et les différentes exigences relatives aux méthodes de construction et à l’exécution des travaux, dont la plupart des entrepreneurs ignoraient tout.

Oser le vert

Sept ans plus tard, Ron Rayside est toujours aussi fier de cette réalisation. Ce qui ne l’empêche pas de la revisiter afin de prendre la mesure du chemin parcouru. L’architecte, qui a fait sa marque dans la conception d’édifices pour le milieu communautaire, le réseau de la santé, les garderies et les centres de la petite enfance (CPE), se remémore la genèse du projet : « Je me suis dit tant qu’à y investir des efforts et de l’argent, aussi bien d’en faire un projet LEED. Et d’oser la géothermie, une toiture verte aussi. »

Il ne tardera pas à constater qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. C’est que bien que le marché de l’écoconstruction soit prometteur, il est encore embryonnaire. « On travaillait avec un professionnel agréé LEED, relate Antonin Labossière, depuis associé de Rayside. Ce consultant s’était fait la main sur les premiers grands projets du genre, ce n’était pas évident pour lui de travailler à plus petite échelle. »

À la base, le niveau certifié de LEED ne diffère pourtant pas beaucoup d’une architecture conventionnelle, observe-t-il. Sauf que l’objectif est de démontrer une utilisation judicieuse des ressources. « Mais trouver du bois certifié à cette époque ? Aussi bien chercher une aiguille dans une botte de foin, ironise l’architecte. Les fournisseurs ne savaient même pas de quoi on parlait, alors qu’aujourd’hui on en trouve dans n’importe quelle grande surface. »

Les planchers de béton poli, les urinoirs sans eau et les fenêtres à vitrage triple témoignent bien de la ténacité des concepteurs. Tout comme les puits géothermiques verticaux, forés directement sous le bâtiment. Une première dans les annales du bâtiment durable du Québec qui donnera des sueurs froides aux architectes à l’étape de la mise en route du système. Et une série d’incidents plus cocasses les uns que les autres, notamment à l’occasion du fonçage des puits.

C’est que si aujourd’hui on trouve facilement un entrepreneur qui offre le forage de puits géothermiques, il en était autrement il y a huit ans. À l’époque, la seule entreprise possédant une foreuse sur chenille était cantonnée à Cap-de-la-Madeleine et les deux seuls opérateurs à maîtriser le maniement de l’engin résidaient en Beauce. « Comme si le projet n’était pas assez compliqué comme ça, on a même failli perdre la foreuse dans une coulée de boue à la suite d’une très forte pluie », relate en souriant Antonin Labossière.

Les mesures durables appliquées à l’immeuble à vocation mixte n’auront pas été les seuls paramètres à s’avérer un casse-tête pour les concepteurs. Son financement aussi. Contrairement à la géothermie, qui promet un rendement de l’investissement, les économies d’eau potable et la réduction de l’effet d’îlot de chaleur urbain ne génèrent en effet aucune retombée économique.

Ron Rayside, qui a obtenu d’Hydro-Québec une subvention de 30 000 dollars pour la géothermie sur une facture totale de 1,4 million, aimerait voir les municipalités accorder des montants pour des mesures qui, sans avoir une bonne rentabilité de l’investissement, se répercutent positivement sur l’environnement et le portefeuille des municipalités. « Quelque chose ne fonctionne pas au niveau du financement des projets verts, relève-t-il. Même si le bâtiment consomme et rejette 50 % moins d’eau qu’un bâtiment similaire, on n’en récolte pas un sou. »

Un modèle durable

Malgré la durée du projet – de 2003 pour l’achat du terrain à l’hiver 2006 pour la mise en service de l’édifice  –, et ses coûts plus élevés qu’ils n’avaient été initialement prévus, c’est sans hésiter que les associés de Rayside I Labossière plongeraient de nouveau tête première dans l’aventure. « Certaines choses seraient faites différemment, reconnaît Antonin Labossière. Oui, on verrait plus grand, parce qu’on manque déjà de place. Mais on s’attarderait surtout à corriger certains petits détails de conception. »

Comme les panneaux de paille des armoires de la salle de bains, le matériau réagissant à l’humidité ambiante. Les concepteurs élimineraient aussi l’emploi d’éléments de construction faits de plastique, même recyclé, comme la marquise de la façade.

Ron Rayside ajoute qu’il investirait dès le début dans un escalier en acier galvanisé plutôt que d’avoir à repeindre régulièrement l’escalier actuel. Le manque de fonds pendant la construction a en effet forcé certains choix. D’autres stratégies, comme la charpente d’acier recyclé, seraient reprises telles quelles, même si elles représentent un investissement initial plus élevé.

Il n’empêche qu’une fois franchies les portes du cabinet Rayside I Labossière, c’est la dynamique d’une équipe tournée avant tout vers l’action sociale et communautaire qui imprègne les lieux. Une volonté qui se reflète dans les choix architecturaux. Le bâtiment se devait en effet de faire sa part dans la revitalisation de cette portion de la rue Ontario Est. D’où les immenses vitrines et la marquise qui animent la rue et laissent entrevoir qu’il y a de la vie, une activité économique qui se déroule entres les murs de l’édifice.

C’est sans compter que les factures énergétiques du bâtiment ont de quoi faire des envieux. Les quatre logements consomment environ 0,36 GJ/m2 par an, soit 42 % de la moyenne québécoise pour un bâtiment de même catégorie. Quant à l’espace alloué aux bureaux, il consomme à peine 0,33 GJ/m2, ce qui équivaut à 37 % de la dépense énergétique de l’espace des bureaux moyen au Québec (0,90 GJ/m2).

Le projet a finalement connu son dénouement le 26 avril dernier, sept ans après son enregistrement au CBDCa. L’édifice de Rayside I Labossière arbore maintenant le sceau LEED-NC, niveau Certifié. Le retard dans l’approbation du projet vient de certains éléments mal documentés, ce qui confirme aux instigateurs du projet que le processus requiert une planification et documentation aussi rigoureuse que sans failles.

Équipe du projet

Architecture Rayside Architecte
Génie électromécanique Équation Groupe Conseil
Génie structural Sylvain Parr et Associés
Consultants en développement durable Jacques Whitford Environnement Construction S.I. Senterre
Mise en service
 Pageau Morel
Étude géothermique Inspec-Sol

 

Stratégies durables
  • Lot intercalaire
  • Modes de transport alternatifs : Communauto ; piste cyclable et service de location de vélos (Bixi) ; circuits d’autobus et accès au métro ; enclos à vélos
  • Toiture-terrasse végétalisée
  • Isolation : murs du sous-sol, 2.84 RSI ; murs hors sol, 4.05 RSI ; toit, 5.21 RSI
  • Système géothermique
  • Échangeurs d’air récupérateurs de chaleur (entre 20 et 50 % d’efficacité)
  • Refroidissement de l’air selon trois modes progressifs : ventilateur de plafond ; ventilateur évacuant la chaleur au toit ; climatisation au moyen des thermopompes qui évacuent la chaleur dans les puits géothermiques
  • Préchauffage entre 5 et 9 °C de l’eau chaude domestique
  • Réduction des besoins en éclairage grâce à l’apport de lumière naturelle
  • Éclairage par fluocompactes de 3 watts
  • Toilettes à double chasse (3 et 6 litres)
  • Appareils de plomberie à faible débit (aérateurs) contribuant à réduire de 50 % la consommation d’eau potable
  • Systèmes de recyclage et de compostage
  • Réutilisation de matériaux : le bois de charpente provenant de la démolition du dépanneur a été utilisé comme parement de cloison, tandis que des débris de brique ont servi à ériger une rampe temporaire pendant la construction du nouvel édifice
  • Matériaux recyclés : acier de charpente  (90 % recyclé postconsommation) ; planches de plastique  (50 % postindustriel et 50 % postconsommation)
  • Matériaux facilement renouvelables : panneaux de paille utilisés pour les armoires de cuisine, les moulures et le mobilier
  • Peintures à faible émission de COV
  • Savons et produits ménagers biodégradables
  • Usage de papiers avec contenu en fibres recyclées

 

Système géothermique
  • Capacité : 6 tonnes pour les logements locatifs et 7,5 tonnes pour les bureaux
  • Pour les bureaux, le système répond à 100 % des besoins de climatisation et de chauffage
  • Une seule pompe est reliée aux quatre puits géothermiques
  • La distribution de la chaleur est assurée par un système de ventilation avec échangeur d’air
  • Les puits, situés sous l’édifice, ont une profondeur de 152 mètres
  • La boucle géothermique est constituée d’une solution d’eau et de glycol
  • Températures des puits en mode refroidissement (collecteur central) : alimentation à 10°C ; retour à 18°C
  • Températures des puits en mode chauffage (collecteur central) : alimentation à 10°C ; retour à 5,3°C

 

Toit-terrasse végétalisé
  • Superficie de 160 mètres carrés
  • Le terreau, d’une épaisseur variant de 15 à 30 centimètres, est utilisé pour faire pousser des herbes et des légumes
  • L’espace est aménagé pour que les usagers puissent l’utiliser comme terrasse
  • La membrane est inversée, l’isolant est situé au-dessus de la membrane d’étanchéité
  • Les bénéfices : réduction de l’effet d’îlot de chaleur urbain ; réduction de la charge de climatisation pour les logements du dernier étage ; zone d’accumulation et de rétention des eaux pluviales