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La déconstruction sélective du 11401, boulevard Pie-IX

31 octobre 2011
Par Rénald Fortier

Zoom sur une déconstruction sélective visant à détourner de l’enfouissement 95 % des composantes d’un bâtiment montréalais. Et aussi à en favoriser le réemploi, du moins en partie.

Le bâtiment qui logeait jusqu’à récemment encore un magasin Meubles en gros, au croisement des boulevards Pie-IX et Henri-Bourassa Est, dans l’arrondissement de Montréal-Nord, disparaîtra du paysage d’ici décembre prochain. Acquis plus tôt cette année par la Ville de Montréal, il cédera le pas à l’aménagement d’un nouveau carrefour urbain, un chantier qui s’ébranlera en 2012. Mais attention, l’immeuble de 30 000 pieds carrés ne sera pas bêtement démoli, mais plutôt déconstruit avec doigté.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’une pratique nettement plus écologique. Et qu’il va de soi d’y recourir pour la Direction des stratégies et transactions immobilières (DSTI) de la Ville, elle qui veille désormais à optimiser la récupération des débris CRD (construction, rénovation et démolition) lors de la réalisation de ses projets. Une préoccupation qui va d’ailleurs dans le sens des objectifs du Plan de développement durable de la collectivité montréalaise et de la Politique de développement durable pour les édifices de la Ville de Montréal.

« Comme nous visons à éviter le plus possible d’envoyer des matériaux au dépotoir, nous nous tournons systématiquement vers la déconstruction sélective, notamment pour nos travaux d’aménagement intérieur, explique André Cazelais, chef de section, Administration immobilière-corporatif, à la DSTI. C’est cependant une première pour un bâtiment de cette envergure, voire en quelque sorte un projet pilote pour nous. »

À telle enseigne que la Ville n’a rien laissé au hasard pour faire un succès de la déconstruction du 11401, boulevard Pie-IX. C’est ainsi qu’elle a préalablement vu à cerner du mieux possible les tenants et aboutissants de cette solution, histoire de bien définir l’appel d’offres publié à l’intention des entrepreneurs – au début de l’été dernier – et d’encadrer l’exécution des travaux, amorcée au début d’octobre par les Entreprises de construction Panzini.

Il faut dire que les objectifs poursuivis sont ambitieux. Non seulement vise-t-on à ce que 95 % des composantes du bâtiment datant des années 70 soient détournées de l’enfouissement, rien de moins, mais aussi à ce que 10 % de ces matériaux et équipements puissent être dirigés sur le marché du réemploi. « Nous souhaitons qu’il y ait une bonne part de réutilisation parce que nous la privilégions au recyclage dans la mesure du possible, dit Claudia Pace, gestionnaire du projet à la DSTI. Mais ce ne sera pas nécessairement chose facile. »

Jean-Guy Lambert, associé de la firme d’architecture Atelier TauTem, est bien d’accord. Appelé à travailler à la préparation des documents d’appel d’offres et à voir au suivi du chantier, il a mené une recherche visant à déterminer les composantes susceptibles d’être réutilisées. Et pour lui, il est clair que la liste ne pouvait s’allonger très longtemps.

« La filière du réemploi demeure encore marginale, observe-t-il. S’il y a un potentiel pour la structure d’acier ou les planchers de bois, par exemple, il n’y en a aucun pour d’autres composantes, comme les cuvettes de toilette. Car même si ces dernières sont en bonne condition et qu’elles pourraient être réutilisées, il n’y a pas de débouché sur le marché. D’autant plus qu’elles ne peuvent être réintégrées dans un projet de bâtiment écologique puisqu’il ne s’agit pas d’appareils à faible débit. »

N’empêche que l’objectif de permettre la réutilisation du dixième des éléments détournés de l’enfouissement lui semble atteignable, tout comme la cible globale de récupération fixée pour le projet. « Nous avons étiré un peu l’élastique, image-t-il, mais nous pensons que ça demeure en même temps réaliste. Il y a entre 80 et 85 % des matériaux qui auraient de toute façon été récupérés par l’entrepreneur, comme les blocs de béton ou les produits métalliques, parce qu’ils ont une valeur sur le marché du recyclage. Sinon sur celui du réemploi dans certains cas. »

Il note qu’environ 5 % des composantes du bâtiment sont dès le départ condamnées à l’enfouissement parce qu’elles ne peuvent être recyclées ou valorisées. C’est donc à peu de choses près entre 10 et 15 % des matériaux qui feront la différence entre une démolition traditionnelle et la déconstruction sélective menée par la Ville de Montréal.

« C’est une tranche qui est critique parce que ces matériaux auraient probablement été dirigés au dépotoir si on n’avait pas demandé à ce qu’ils soient remis sur le marché. Nous allons devoir gérer cela avec l’entrepreneur dans les semaines à venir », explique-t-il, en citant déjà un bel exemple de réemploi tiré du projet : la laine en natte rose récupérée sera donnée à une église qui l’utilisera pour isoler son toit.

Suivi très serré

Il faut dire que la Ville exercera un suivi serré de la mise en œuvre du projet, en plus de voir à documenter les résultats obtenus en bout de ligne. Sans compter qu’elle a imposé plusieurs exigences à l’entrepreneur, lesquelles ont pour effet d’accentuer le caractère particulier de la déconstruction de l’édifice du nord de l’île de Montréal.

Outre celle portant évidemment sur l’atteinte des objectifs de recyclage et de réemploi, elles se rapportent notamment à la méthode de déconstruction, découpée en phases. De même qu’au triage des matériaux, qui doit obligatoirement se faire in situ pour permettre à la Ville d’exercer un meilleur contrôle. « Il faut que les conteneurs emplis de métal, de verre, de plastique et autres quittent le chantier déjà triés, précise Jean-Guy Lambert. On demande aussi à ce que 95 % des matériaux dans un conteneur soient d’un même type et que la contamination des matières soit réduite au minimum. »

C’est sans parler que la firme Panzini, le plus bas des trois soumissionnaires qui étaient sur les rangs, était tenue de produire un plan de gestion des déchets avant le démarrage du chantier. Et qu’elle devra fournir à la Ville les preuves attestant du point de chute de toutes les composantes du bâtiment détournées de l’enfouissement, qu’elles soient recyclées ou réutilisées.

« Il y a aussi des exigences très pointues au chapitre du contrôle de la pollution sur le chantier et les environs, souligne Jean-Guy Lambert, autant sur les plans de la poussière et du bruit que sur celui des sédiments susceptibles d’être épandus dans les rues avoisinantes. Nous allons exercer un suivi très serré de ce côté pendant les travaux. »

Si la Ville a fait ses devoirs pour s’assurer de bien baliser le projet, l’apprentissage est loin d’être fini. « Nous avons déjà beaucoup appris de ce projet jusqu’à présent, conclut André Cazelais, mais il nous reste encore à en tirer des conclusions à partir des données que nous recueillerons tout au long du chantier. L’idée c’est d’en arriver à démontrer que c’est une bonne chose de déconstruire plutôt que de démolir et ainsi de donner l’exemple au milieu de l’immobilier. »

Les acteurs

Client Ville de Montréal Services d’architecture et suivi du chantier Atelier TauTem Déconstruction Entreprises de construction Panzini

 

Un coût compétitifs

La valeur du contrat de déconstruction sélective adjugé aux Entreprises de construction Panzini excède quelque peu les 100 000 dollars, un coût qui n’est sensiblement pas plus élevé que si la Ville de Montréal avait opté pour une démolition pure et simple.

« On ne peut pas parler de surprime, note Claudia Pace, gestionnaire du projet pour la Ville. Parce que si on avait mis la pelle dans le bâtiment sans se soucier de la récupération et de la revente des matériaux, donc en envoyant tous les débris à l’enfouissement, il nous en aurait même sûrement coûté plus cher. »

Jean-Guy Lambert, de l’Atelier TauTem,  fait pour sa part remarquer que les prix formulés par les trois entrepreneurs ayant répondu à l’appel d’offres de la Ville, variaient énormément. « Du simple au triple au quadruple, précise-t-il, ce qui démontre qu’il y en a qui ne sont pas nécessairement confortables avec la déconstruction. »

 

Sur le Carrefour 3RV

Les matériaux et équipements destinés au réemploi dans le cadre de la déconstruction du 11401, Pie-IX, sont affichés depuis quelques semaines sur le Carrefour 3RV, la plate-forme de voirvert.ca permettant de favoriser la rencontre entre l’offre et la demande pour des matériaux et produits récupérés. Vous pouvez consulter les fiches à l’adresse www.voirvert.ca/outils/carrefour3rv, puis manifester votre intérêt ou demander plus d’information par l’entremise d’un formulaire courriel.

 

Les cibles

Survol de la destination des composantes démantelées, avec le pourcentage souhaité par la Ville, selon les différentes familles de matériaux :

Produits dangereux (centres de traitement autorisés, 100 %)

Métaux (recyclage, 70 % ; réemploi, 30 %) :

  • Cloisons de toilette métalliques
  • Divers ancrages et attaches métalliques
  • Escaliers et garde-corps métalliques
  • Étagères métalliques
  • Montants métalliques
  • Portes métalliques
  • Revêtements métalliques
  • Structure d’acier
  • Gaines de ventilation
  • Boîtiers métalliques des appareils d’éclairage
  • Fils électriques de cuivre ou aluminium
  • Conduits électriques rigides
  • Solins métalliques
  • Fenêtres et lanterneaux
  • Portes grillagées
  • Persiennes en aluminium

Béton (recyclage par concassage, 100 %) :

  • Dalles sur sol
  • Murs de fondation
  • Pilastres
  • Cloisons de blocs de béton
  • Revêtements de blocs de béton
  • Plancher de l’étage
  • Remplissage des escaliers
  • Débarcadère
  • Bordures en béton
  • Panneaux de béton

Matériaux souples (recyclage, 90 % ; réemploi, 10 %) :

  • Isolant de fibre
  • Tuile acoustique de plafonds
  • Gypse – murs et plafonds
  • Plinthes et moulures de vinyle
  • Enduit ignifuge cimentaire (structure de l’étage)

Verre et céramique (recyclage, 100 %) :

  • Vitrages
  • Miroirs
  • Céramique – murs et planchers
  • Appareils sanitaires

Bois (recyclage, 70 % ; réemploi, 30 %) :

  • Fond de clouage
  • Plancher de l’abri
  • Bâtis de toiture
  • Comptoirs et armoires

Équipements et accessoires (recyclage, 60 % ; réemploi, 40 %) :

  • Divers accessoires – toilettes
  • Ascenseurs
  • Convoyeurs
  • Signalisation diverses
  • Transformateur (à sec)
  • Panneaux électriques
  • Tuyauterie de gicleur
  • Équipement de chauffage
  • Équipement de plomberie
  • Appareils d’éclairage
  • Portes de garage
  • Trappe d’accès au toit
  • Unité de ventilation au toit
  • Niveleur de quais
  • Bollards
  • Lampadaires

Autres (enfouissement, 100 %) :

  • Membranes de toiture
  • Isolant de mousses plastiques
  • Tuile de TVC (sans peinture)

Source : Atelier TauTem