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Le pavillon Paul-Lafleur du Domaine Forget

19 juin 2017
Par Rénald Fortier

Une réalisation durable dont le design est empreint de simplicité, mais loin d’être simpliste : le pavillon Paul-Lafleur du Domaine Forget.

Saint-Irénée, dans Charlevoix. En surplomb du Saint-Laurent, sur une vaste propriété chargée  d’histoire, se profile désormais un bâtiment hors de l’ordinaire. Ce volume de 1 550 mètres carrés, étalés sur trois étages, c’est le pavillon Paul-Lafleur de l’Académie internationale de musique et de danse du Domaine Forget. 

Fruit d’un investissement de 3,5 millions de dollars, l’immeuble loge les étudiants en musique de l’institution depuis le printemps 2013. Il comprend un hall d’accueil, une salle de répétition, des bureaux, un salon et une cuisine au rez-de-chaussée, ainsi que 30 chambres en occupation double aux étages. 

S’il n’arbore aucune étiquette environnementale, ce bâtiment n’en constitue pas moins une véritable réalisation durable non seulement sur le plan de sa conception, mais aussi sur celui de son exploitation. Sans compter qu’il s’intègre tout aussi harmonieusement que sobrement dans le milieu naturel environnant, tant de par son implantation que par la composition de ses façades parées de bois. 

Il faut dire que l’équipe pluridisciplinaire réunie autour d’un contrat de conception-construction pour mener à bien ce projet, à partir de l’automne 2012, avait dès le départ pris le parti d’imbriquer de nombreuses mesures écologiques et éconergétiques dans le design de la future résidence étudiante. Non sans s’inspirer au passage du système d’évaluation LEED, bien que l’obtention d’une telle certification ne fût pas dans la mire du client. 

« Comme nous visions à minimiser le plus possible l’impact du bâtiment sur son environnement, nous avons orienté nos efforts sur les exigences de LEED qui offraient une valeur ajoutée et un rendement de l’investissement mesurable et quantifiable pour le client », relate l’architecte Jonathan Bisson, dont le bureau – Bisson I associés – a fait équipe avec la firme de génie-conseil LGT et Les Constructions Béland & Lapointe. 

Cette équipe de projet intégrée a ainsi drapé de vert le nouveau pavillon du Domaine Forget en élaborant un concept dénué de tout artifice. En misant d’entrée de jeu sur une économie de moyens et sur une bonne dose d’ingéniosité, elle a veillé de bout en bout à préconiser des solutions à la fois simples et efficaces. 

Stratégies bioclimatiques

Des stratégies empreintes de simplicité, donc, mais loin d’être simplistes. Car toutes les solutions sont enchevêtrées les unes dans les autres pour contribuer à l’optimisation du confort des occupants ainsi qu’à celle de la performance énergétique du bâtiment. À commencer par une orientation est/ouest qui permet de bénéficier d’un ensoleillement optimal, le matin, en plus d’éviter des gains thermiques côtés (franc) sud et sud-ouest l’année durant. 

Au rez-de-chaussée, une vaste fenestration de mur-rideau en aluminium haute performance, surmontée de surcroît d’un grand porte-à-faux, permet également aux espaces communs de profiter de l’ensoleillement, tout en les en protégeant de la surchauffe. Cette façade transparente, soulignons-le, intègre une large porte levante coulissante permettant d’ouvrir les espaces publics intérieurs sur le côté jardin. 

En plus de ce rez-de-chaussée vitré, la fenestration des étages supérieurs est aussi conçue pour offrir des vues sur l’extérieur et de la luminosité naturelle dans plus de 90 % des espaces régulièrement occupés. Les fenêtres, qui s’allongent sur six pieds à la verticale, sont positionnées de façon à laisser pénétrer le maximum de lumière du jour, et le plus profondément possible aussi, dans les chambres.

Cette fenestration, en outre pourvue de volets fonctionnels, est également mise à profit pour recourir à une autre ressource bioclimatique environnante : le vent du large. Comme le bâtiment devait être implanté dans un milieu boisé, en bordure du Saint-Laurent, ses concepteurs ont intégré des fenêtres ouvrantes pour y ventiler naturellement les espaces. 

« Le fleuve, explique Jonathan Bisson, agit comme un échangeur thermique. Le matin, on réchauffe le bâtiment et, la nuit venue, le vent qui balaie la mer peut ramener de la fraîcheur à l’intérieur. Et en plus des ouvertures positionnées pour favoriser une ventilation traversante, le système d’échange d’air permet également de créer un effet traversant. » 

Moïse Gagné, président de LGT, précise : « Chacune des chambres est dotée d’un bloc sanitaire et d’une petite dinette et, été comme hiver, il y a un apport d’air neuf correspondant à l’évacuation de ces services techniques. Alors, même quand les fenêtres sont fermées, cela permet une oxygénation à longueur d’année », dit-il, en soulignant que les conduits de ventilation sont surdimensionnés de façon à réduire la vitesse de déplacement de l’air pour optimiser l’acoustique  dans les chambres – un enjeu important puisque les étudiants y pratiquent aussi leurs instruments musicaux. 

La frugalité énergétique de la résidence pour les étudiants du Domaine Forget ne tient pas qu’à des mesures passives, loin de là même. D’autres stratégies concourent également à une réduction de la consommation d’énergie qui se situe, estime-t-on, autour de 30 % par rapport à la référence du CMNÉB. 

Ainsi, une roue thermique permet de récupérer 75 % de la chaleur sur l’air vicié évacué pour préchauffer l’air neuf, tandis qu’un chauffe-conduit au gaz propane vient compléter le traitement de l’air alimenté dans les chambres, soit à 22 degrés Celsius environ. Des plinthes électriques conventionnelles sont utilisées pour combler les pertes thermiques du bâtiment, qui est pourvu d’une enveloppe performante. 

« Comme nous étions dans un secteur reculé, sans accès au gaz naturel, nous avons décidé d’installer des systèmes au gaz propane pour écrêter les pointes électriques, tant pour le chauffage de l’air neuf que pour celui de l’eau chaude domestique, explique Moïse Gagné. Dans un contexte où l’on paye la puissance et la consommation d’énergie, avec l’électricité, il n’était pas dans l’intérêt du client de générer une pointe. Avec le gaz, il ne paie que pour la consommation. » 

L’usage d’un chauffe-eau à haute efficacité au gaz propane s’avérait d’autant plus approprié vu la fonction résidentielle à occupation multiple du pavillon Paul-Lafleur. « Autrement, il aurait fallu constituer une réserve d’eau chaude domestique importante, ce qui aurait en outre requis beaucoup d’espace, pour répondre à la demande de la pointe », indique le président de LGT. 

Stratégies bois

Cette enveloppe, précisons-le, est constituée de murs préfabriqués en bois d’ossature légère bien isolés à l’intérieur comme à l’extérieur. Et la composition de son parement de planches à clin de pin gris confère une signature toute particulière au bâtiment, car ces planches évoquent ni plus ni moins un trait d’union entre les troncs d’arbres de la forêt adjacente et la musique. 

Jonathan Bisson explique : « Nous avons mélangé des profils et nous les avons positionnés verticalement pour induire un rythme calculé aux façades. L’installation du bois à la verticale est la meilleure façon de faire pour assurer sa pérennité, selon nous, parce que l’eau de pluie s’écoule mieux dans le sens de la fibre. » 

Le bois, justement, est omniprésent dans la résidence étudiante du Domaine Forget, où il trouve de nombreuses applications : soffites, portes et cadres, terrasse extérieure… Si son utilisation pour le revêtement des façades du bâtiment est la plus remarquable à l’œil, l’emploi d’une ossature légère préfabriquée est loin d’être en reste en termes d’importance. D’autant qu’il s’inscrit dans le déploiement d’une solution structurale hybride faisant aussi appel à l’acier. 

Une structure qui s’imposait d’emblée, il faut le dire, parce que le bâtiment devait être érigé dans une zone à hauts risques sismiques. Ainsi, le pavillon Paul-Lafleur comporte une charpente d’acier reposant sur une dalle de béton au rez-de-chaussée et, aux étages, les murs et les planchers sont en bois, sans oublier la toiture. 

« Une structure bois-béton s’imposait aussi en raison de la volonté de l’architecte de créer un rez-de-jardin qui faisait en sorte que le premier étage devait aussi servir de marquise, indique Jean-Luc Bouffard, chargé de projet en structure et associé chez LGT. Il fallait donc que le bâtiment soit plus grand aux niveaux supérieurs pour pouvoir créer des corridors couverts en bordure du bâtiment au rez-de-chaussée. Un tel porte-à-faux aurait été impossible à réaliser avec une structure de bois, tout en conservant des épaisseurs de plancher limitées. » 

Soulignons que l’équipe de projet s’est tournée vers des murs porteurs en bois d’ossature légère, tant pour ceux extérieurs qu’intérieurs, parce que cette solution s’accompagnait d’une rapidité d’exécution permettant de respecter un échéancier de réalisation très serré. 

Équipe du projet

Propriétaire : Le Domaine Forget

Architecture : Bisson I associés

Ingénierie électrique, mécanique, structurale et civile : LGT

Construction : Les Constructions Béland & Lapointe

Expertise en acoustique : Octave acoustique

Fourniture de la charpente : (bois et acier) TMS Construction

Fourniture des produits de revêtements en bois : Goodellow / Groupe BMR

 

Reconnaissance

En février dernier, le pavillon Paul-Lafleur du Domaine Forget méritait le Prix d’excellence Cecobois 2017, catégorie Bâtiment multirésidentiel – le projet était aussi finaliste dans la catégorie Revêtements extérieurs.

Cette reconnaissance du Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois a rejailli sur l’équipe réunissant Le Domaine Forget, Bisson I associés, LGT, Les Constructions Béland & Lapointe, TMS Construction, Goodfellow, Matériaux Bomat, Spécibois, Quincaillerie Architecturale Centre-du-Québec et Ébénisterie René Daigle.

Le jury du concours a été séduit par le jeu créatif dans la composition des façades de cette réalisation affichant une sensibilité à son environnement tant naturel que bâti, de même que par la conception de son porte-à-faux.

 

Mesures durables
  • Préservation d’un maximum d’arbres présents sur le site
  • Vue sur l’extérieur dans la plupart des espaces [+ 90 %]
  • Optimisation du confort sonore dans les chambres et les locaux dédiés à la musique
  • Sélection de matériaux régionaux
  • Intégration de matériaux à contenu recyclé
  • Préfabrication des murs extérieurs et intérieurs à ossature de bois permettant de minimiser les rebuts de chantier
  • Utilisation de matériaux de recouvrement perméables pour les aménagements extérieurs
  • Aménagement paysager intégrant de la végétation indigène
  • Gestion des eaux de ruissellement sur le site au moyen d’un bassin de captation implanté à l’arrière du bâtiment
  • Recours au matériau bois pour l’ossature des murs extérieurs et intérieurs, le revêtement extérieur [pin], soffites [pin], terrasse extérieure [épinette], marches d’escalier extérieures [mélèze], portes intérieures, mobilier
  • Utilisation d’un minimum de 50 % des surfaces de bois certifiées FSC
  • Et autres

 

Stratégies éconergétiques
  • Orientation du bâtiment est/ouest permettant de profiter de gains solaires passifs
  • Apport de luminosité naturelle dans tous les espaces occupés
  • Recours à la ventilation naturelle traversante
  • Enveloppe performante [5,58 RSI pour les murs; 7,85 RSI pour la toiture]
  • Mise en place d’une membrane de toiture blanche
  • Récupération de la chaleur de l’air vicié évacué au moyen d’une roue thermique [efficacité de 75 %] pour préchauffer l’air neuf et utilisation d’équipement de chauffage à haute efficacité
  • Écrêtage de la pointe électrique au moyen d’un chauffe-conduit et d’un chauffe-eau à haute efficacité au gaz propane
  • Et autres

 

Solutions créatives

Comme le pavillon Paul-Lafleur devait être érigé dans une zone à hauts risques sismiques, en plus de répondre à des standards acoustiques élevés, le projet a amené ses créateurs à faire preuve de créativité. À commencer par le design d’un système structural comportant une charpente d’acier en acier au rez-de-chaussée et une autre en bois d’ossature légère aux étages et en toiture.

L’utilisation du bois a permis de réduire considérablement les charges sismiques, tout en permettant l’intégration de plusieurs murs de refends entre les chambres. Le recours à l’acier, lui, a permis de réaliser un porte-à-faux de plus d’un mètre cinquante à l’avant et d’un mètre à l’arrière sur les deux niveaux supérieurs.

Soulignons également que les murs préfabriqués entre les chambres étudiantes font à la fois figure de séparation acoustique et structurale. D’autant plus que les montants de bois de ces murs ont été doublés et positionnés en quinconce pour multiplier la résistance sismique et optimiser la capacité d’insonorisation de la composition.