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22 novembre 2012
Par Léa Méthé et Mathieu Caron

Zoom sur le chauffage des bâtiments en Suède. Et sur des solutions venues du froid.

L’électricité est trop noble et les carburants fossiles trop rares pour dilapider ces sources d’énergie en chauffage pour les bâtiments. À cheval sur le cercle arctique, la Suède s’est tournée vers une combinaison plus prometteuse : l’isolation supérieure des bâtiments et le chauffage urbain à base de carburants alternatifs.

D’entrée de jeu, le code du bâtiment suédois spécifie que les bâtiments chauffés à l’électricité doivent être 60 à 70 % plus performants que les autres, selon le secteur. Autrement, une consommation maximale est spécifiée pour le chauffage et l’eau chaude domestique, soit 90 kWh/ m2/an dans le résidentiel et 80 à 90 kWh/m2/an dans le commercial. La différenciation vient du besoin de tenir compte de la limite du réseau électrique suédois. On pénalise le chauffage électrique car il est plus polluant – 50 % de l'électricité en Suède provient du nucléaire. La directive européenne de l’énergie exige par ailleurs des pays membres qu’ils intègrent un objectif de performance net zéro dans leurs codes de construction d’ici 2020. La Suède y travaille déjà.

Le fait de prescrire un objectif de performance plutôt que la formule pour y arriver permet aux professionnels du bâtiment d’innover avec l’utilisation de matériaux et d’assemblages variés, de même qu’en exploitant les principes solaires passifs. Bien que les hivers dans la partie la plus densément peuplée de la Suède soient moins rudes que ceux du Québec, l’habitation moyenne présente des valeurs isolantes de R40 pour les murs, R50 pour le toit et des vitrages triples dans toutes les fenêtres. On mise également sur une bonne étanchéité à l’air jumelée à un système de ventilation dédiée mécanique ou passif. Loin d’être le fruit de développements récents, ces standards prévalent depuis les années 1970 et même avant.

La liberté dont bénéficient les entrepreneurs suédois pour employer les méthodes de construction de leur choix vient avec des responsabilités accrues. Ceux-ci s’engagent en début de projet sur un objectif de consommation auprès du client. Au bout de deux ans, si l’immeuble est moins efficace sur le plan énergétique que spécifié dans le devis ou le contrat, c’est à l’entrepreneur de faire la démonstration que son bâtiment n’est pas défaillant. Ou, le cas échéant, de corriger la situation.

Les entrepreneurs en rénovation ont fort à faire aujourd’hui considérant que 20 % du parc immobilier du pays a été bâti entre 1965 et 1975 pour faire face à un boom démographique important. Dans le cadre du Miljonprogrammet, les promoteurs ont succombé à la construction expéditive et bon marché pour fournir un million d’appartements à prix modiques à la population avec une durée de vie prévue de 40 ans.

Ces bâtiments sont toujours debout aujourd’hui, mais se dégradent rapidement. On a appris des erreurs passées, mais on retient aussi les quelques bons coups de l’époque. À défaut d’être performants sur le plan énergétique, ces ensembles résidentiels ont l’avantage d’être compacts. Cette densité est entre autres à la base d’une statistique étonnante : en Suède, 80 % des immeubles d’appartements sont reliés aux réseaux de chaleur urbains.

Au lieu de chauffer individuellement chaque bâtiment, le chauffage urbain consiste à centraliser la production de chaleur d’une collectivité dans une usine puis de distribuer celle-ci par un réseau de conduites d’eau chaude souterraines. L’eau amenée entre 70 et 120 °C, selon la température extérieure, est acheminée vers un échangeur de chaleur dans chaque bâtiment à son tour équipé d’un système de diffusion hydronique (radiateurs ou planchers radiants et chauffe-serviettes) et d’un réservoir pour l’eau chaude domestique. L’eau refroidie retourne vers l’usine pour être réchauffée à nouveau.

Dans la ville de Linköping, au sud-ouest de la capitale Stockholm, un réseau de chaleur comptant plus de 500 kilomètres de conduites dessert 90 % des bâtiments résidentiels à partir d’une usine centrale et de quelques centrales-relais mises en marche en période de pointe. Pour l’ensemble de la Suède, c’est plutôt 50 % des bâtiments résidentiels et de services qui s’alimentent en chaleur auprès de tels systèmes.

À vue de nez, les villes suédoises sont généralement plus denses que celles du Québec. Linköping, par exemple, est environ deux fois plus dense que Trois-Rivières pour une population comparable. La profondeur hors gel est aussi déterminante pour les conduites d’eau et diffère comme nous du sud au nord du pays. Alors que deux à quatre pieds de profondeur suffisent en Suède, on creuse habituellement un minimum de quatre pieds au Québec.

Comme à Linköping, la majorité des réseaux de chaleur sont gérés par des corporations, dont plusieurs sont exploitées à profit par les municipalités. Le rapport des clients à leur distributeur de chaleur est similaire à n’importe quel autre fournisseur de service ; le premier paie pour sa consommation et s’occupe d’entretenir son système domestique, alors que l’autre se charge de l’acheminement de l’eau chaude et du bon fonctionnement du réseau.

Les avantages d’une telle formule sont nombreux. D’une part, si on compare avec une multitude de systèmes individuels, le branchement au réseau collectif permet d’importantes économies d’échelle : espace occupé par les équipements, ressources dévolues à l’entretien, émanations produites…Par ailleurs, la majorité des réseaux de chaleur exploitent des sources d’énergie qui seraient autrement gaspillées.

Les premiers réseaux de chaleur suédois ont été implantés dans les années 50 et fonctionnaient généralement au pétrole. Depuis les années 80 cependant, la majorité des installations ont effectué une transition vers d’autres sources d’énergie. Un potentiel immense réside dans la récupération de chaleur occasionnée par les procédés industriels, notamment la production d’électricité. L’Association suédoise du chauffage urbain estime que les deux tiers de l’énergie vouée à la production d’électricité en Europe sont gaspillés en chaleur dissipée. En Suède, la chaleur dérivée de tels procédés assure déjà près de 15 % de la demande énergétique finale.

La combustion de biomasse sous forme de bois ou des sous-produits de l’exploitation forestière constitue aujourd’hui une source d’énergie privilégiée. La croissance des forêts étant plus rapide que la récolte, l’exploitation du bois pour le chauffage ou la cogénération est socialement acceptée. D’autant plus que la coupe se fait aujourd’hui principalement dans des forêts cultivées et non sur des boisés naturels.

La combustion des déchets domestiques constitue également une part croissante, aujourd’hui située à 20 %, de l’énergie utilisée dans les réseaux de chaleur. Chaque Suédois produit annuellement plus de 500 kilos de déchets domestiques. Cependant, grâce à l’un des systèmes de valorisation les plus performants au monde, seulement 4 % de ce volume se retrouve à l’enfouissement.

Les ménages trient d’abord leurs déchets selon les directives de la municipalité et la collecte se fait au bord de la rue ou dans des stations de tri disséminées un peu partout. Comme les producteurs sont responsables des matières plastiques ainsi que des déchets électroniques et dangereux qu’ils mettent en circulation, les villes obtiennent d’eux des redevances qui servent à financer ces opérations.

Les matières organiques sont transformées en biogaz pour alimenter plusieurs types de véhicules : autobus, camions de collecte et taxis. Les matières recyclables sont revalorisées et les déchets combustibles sont incinérés dans les usines de chauffage urbain ou de cogénération. Au bout du cycle, l’équivalent d’un seul kilo de cendre par citoyen est produit annuellement au pays.

Le système fonctionne si bien que la capacité de traitement des incinérateurs suédois est supérieure au volume de déchet généré au pays. C’est pourquoi la Suède a commencé dernièrement à importer les déchets domestiques de la Norvège voisine. L’entente prévoit aussi que les cendres de combustion, un concentré de toxines, soient à l’inverse acheminées vers la Norvège pour être enfouies dans une ancienne mine. Des recherches sont en cours pour neutraliser et valoriser ces cendres toxiques, au même titre qu’on réutilise déjà les cendres volantes issues de la combustion de charbon pour verdir les mélanges de béton.

NDLR : ce texte a été rédigé dans le cadre d'une mission de recherche en Suède organisée en collaboration avec l'OJIQ.

Réduction des GES

La transition vers le chauffage urbain et les carburants alternatifs a permis à la Suède de réduire ses émissions de gaz a effet de serre de près de 14 millions de tonnes d’équivalents CO2 de même que ses émissions de soufre, d’oxydes d’azote et de particules fines.

Alors que l’Union européenne s’engage avec peine à réduire ses émissions de GES de 20 % pour 2012 (par rapport aux émissions de 1990), la Suède double la mise avec une cible de réduction de 40 %. C’est inspirant pour les pays voisins et ça devrait l’être aussi pour le Québec. Nos ressources énergétiques et forestières sont comparables aux leurs et ne demandent qu’à être utilisées plus efficacement.

Chauffage urbain

Il existe des réseaux de chauffage urbain dans 270 des 290 municipalités suédoises, fournissant environ 50 TWh annuellement. C’est presque autant d’énergie que les 70 TWh d’électricité produites avec le nucléaire, tout cela en exploitant des ressources renouvelables ou autrement indésirables.