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La gestion d’eaux pluviales : vers une approche renouvelée de l’aménagement urbain

31 octobre 2018

Bâtiment durable Québec CHRONIQUE DE BÂTIMENT DURABLE QUÉBEC
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De plus en plus, les administrations et les normes privilégient une nouvelle approche en matière de ruissellement; non plus la gestion du débit d’eaux pluviales au réseau d’égout, mais plutôt la gestion du volume in situ.

Plusieurs professionnels se demandent comment interpréter les nouvelles exigences de LEED v4 en matière de gestion d’eaux pluviales et ont probablement sourcillé à la vue du chiffre que représentait le volume d’eau à gérer sur le site pour toutes les précipitations locales incluses dans le 95e percentile.

C’est que nous sommes formés depuis 150 ans au contrôle de débit pluvial en concevant des réseaux complexes de tuyauterie pour gérer le ruissellement, un rejet destiné à terminer sa course dans un plan d’eau récepteur après avoir été débarrassé, à l’usine de traitement, de tous ses sédiments, matières organiques et autres contaminants absorbés durant sa course.

Pratique environnementale conventionnelle

Alors que les bonnes pratiques environnementales préconisaient un contrôle des débits en amont afin de limiter les surverses d’eau non traitées dans les cours d’eau lors de pluies exceptionnelles (charge pluviale d’une période de 24 heures pour des pluies de un et deux ans selon LEED 2009, par exemple), aujourd’hui c’est le volume qu’on veut réduire autant que possible en maximisant l’infiltration d’eau dans le sol.

Pourquoi ? Parce qu’il est clair que l’urbanisation grandissante de nos villes et de nos régions représente un danger pour les systèmes hydrologiques naturels et les bassins versants. Le compactage et l’imperméabilisation des sols entraînent l’érosion et la sédimentation, dégradant de façon significative la qualité des cours d’eau en aval qui deviennent le réceptacle de dépôts atmosphériques, de pesticides, d’engrais et autres contaminants. Et il est fort à parier qu’avec le dérèglement des précipitations que nous connaissons à l’heure actuelle, l’enjeu sera exacerbé.

Les infrastructures vertes

En regard de ce qui précède, les décideurs et les concepteurs doivent donc penser à des solutions qui rendront nos villes plus résilientes aux changements climatiques. Depuis les deux dernières décennies, nous avons vu l’apparition d’infrastructures vertes comme solution alternative au design conventionnel pour la gestion d’eaux pluviales. Celles-ci ont notamment pour fonction de limiter le ruissellement en favorisant l’absorption de l’eau, dans l’idée de simuler un cycle hydrologique naturel.

Parmi les nombreux avantages, notons la possibilité d’enrichir les installations par la conception d’un aménagement paysager qui transformera ces ouvrages en milieux accessibles et bénéfiques pour les citoyens, que ce soit par l’aménagement d’aires de jeu intégrées, de lieux de promenade ou d’écosystèmes pour contrôler les polluants atmosphériques et amoindrir les îlots de chaleur.

Bien qu’il existe plusieurs barrières à leur utilisation, qu’elles soient règlementaires, financières, institutionnelles ou culturelles, ces infrastructures ont démontré à maintes reprises leur efficacité dans divers projets au Québec, mais également ailleurs au Canada et aux États-Unis, où les projets sont plus documentés.

Vers une nouvelle approche ?

L’importance d’une meilleure gestion des eaux pluviales est de plus en en plus reconnue par nos institutions. En mars 2017, nous avons vu l’amendement de l’article 32 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) reconnaître leurs impacts ainsi que le risque environnemental qu’elles représentent. De plus, notre nouvelle stratégie québécoise de l’eau 2018-2030 assortie d’un plan d’action vise le développement d’outils pour guider le milieu municipal dans l’adoption de pratiques favorables à leur gestion.

Sur le terrain toutefois, à l’heure actuelle, quand il faut gérer les premiers 20 à 25 mm de précipitations pour se conformer à LEED v4 (ce qui représente environ 90 % à 95 % des évènements de pluie dans la province), les professionnels se retrouvent démunis de leurs repères habituels.

Cette nouvelle situation nous force à reconsidérer notre approche en matière de ruissellement. Si nous avions l’habitude de considérer l’eau pluviale comme un rejet à éliminer par canalisation en la transportant le plus rapidement possible, aujourd’hui celle-ci doit être transposée au coeur même de l’aménagement afin de favoriser son infiltration, sa filtration, son stockage, sa réutilisation et son évaporation. En d’autres mots, l’eau devient une ressource répartie dans un cycle où l’extrant de chaque étape sert à alimenter la suivante, à l’image d’une économie circulaire.

D’où l’importance de revoir nos méthodes de travail pour favoriser la rencontre des idées novatrices afin d’inclure, dès le début de la phase conceptuelle, le plus d’intervenants susceptibles d’en valoriser le potentiel. Qu’attendons-nous, alors que près de 80 % de l’eau potable est utilisée pour alimenter les systèmes sanitaires tels que les chasses de toilettes dans le secteur résidentiel ? La tarification ? Celle-ci ne devrait pas tarder, alors mieux vaut se préparer.


Jean-Pierre Tamine

Par Jean-Pierre Tamine, Ing, MGP, PMP, PA LEED BD+C 
L’auteur est chargé de projet, Stratégies durables chez Lemay.