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Électrification des bâtiments : enjeux de pointe

6 décembre 2023
Par Sandra Soucy

Si la décarbonation des bâtiments au Québec passe surtout par leur électrification, le recours à d'autres sources d'énergie renouvelable demeure notamment indispensable pour réguler l'appel de puissance durant les pointes hivernales d'Hydro-Québec.

S'attelant à la tâche pour tenir ses objectifs ambitieux de décarbonation, le gouvernement du Québec a allongé une somme de plus de neuf milliards de dollars étalés sur cinq ans pour accélérer la transition climatique et énergétique de la province. De ces investissements prévus dans le Plan de mise en œuvre (PMO) 2023-2028 du Plan pour une économie verte (PEV) 2030, le secteur du bâtiment pourra compter sur une aide financière de plus d'un milliard de dollars pour maintenir ses efforts afin de faire face à cet enjeu de taille. De cette somme, 215 millions seront affectés à la valorisation des rejets thermiques et 74 millions soutiendront l'utilisation de la biénergie.

Des ambitions rehaussées

Reconnue comme principale source d'énergie décarbonée, l'électrification – au premier chef avec l’hydroélectricité – constitue un moyen efficace pour sortir des énergies fossiles et parvenir à la carboneutralité. Mais l'augmentation de la demande totale requise pour répondre à l'objectif d'électrification des bâtiments à l'horizon de 2032 est une haute marche à franchir. Selon Hydro-Québec, la portion liée à l'électrification des bâtiments compte pour environ 4,5 TWh dans la prévision des 25 TWh requis au cours des 10 prochaines années pour décarboner le Québec.

Avec l'ambition d'atteindre ces 25 TWh d'énergie supplémentaire, Hydro-Québec révise ses cibles en matière d'efficacité énergétique à la hausse, selon l'état du marché actuel, passant de 8,2 TWh à 8,9 TWh. « Nous ajustons à la hausse, indique Étienne St-Cyr, chef — Expertise énergétique chez Hydro-Québec, mais ce chiffre est voué à être mis à jour, voire optimisé en continu quant aux objectifs et à plusieurs facteurs sociaux économiques qui pourraient amener à accélérer l'adoption des mesures d'efficacité énergétique. »

Les enjeux

Bien que le Québec affiche de grandes ambitions en matière de décarbonation, cette démarche n'est certes pas dépourvue d'enjeux. Le ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) brosse le portrait de la situation : « En période de grand froid, lors de la pointe hivernale, les moyens actuels de production d'électricité atteignent leurs limites, ce qui peut imposer d'importer de l'électricité. Dans le contexte actuel de resserrement des bilans d'énergie et de puissance, une complète électrification qui ignore les enjeux de pointe ne représente pas une solution réaliste. C'est pourquoi le Québec mise notamment sur des mesures d'efficacité énergétique, de gestion de la pointe, de valorisation de rejets thermiques. »

Étienne St-Cyr et Martin Roy

Dans un tel contexte, la question urgente qui anime Hydro-Québec porte principalement sur la recherche d'approvisionnements : « Les nouvelles sources d'approvisionnement, mais aussi les équipements locaux, souligne Étienne St-Cyr. D'un bout à l'autre de la chaîne de distribution électrique, il y a des enjeux autant du côté des approvisionnements en électricité, du transport, des lignes à haute tension qui ont besoin d'être validées afin de s'assurer qu'elles auront assez de capacité pour transporter la nouvelle énergie que du côté du poste de distribution, de la ligne de distribution, du transformateur et même du panneau chez le client. Au regard de la situation, notre approche consiste à privilégier la biénergie afin d'être en mesure de faire un grand pas de décarbonation et, potentiellement, de pouvoir arriver avec d'autres solutions de décarbonation qui ne passeront pas nécessairement par l'électrification pure et simple. »

Même son de cloche du côté d’Énergir. « Tout comme pour Hydro-Québec, la biénergie fait partie du bouquet de solutions énergétiques que nous privilégions, plus particulièrement pour l’environnement bâti existant, tout comme la poursuite du déploiement des efforts pour favoriser l’efficacité énergétique des bâtiments. Avec la biénergie, on vient réduire de 70 % l’utilisation du gaz naturel fossile, ce qui fait qu’on contribue à électrifier nos clients qui utiliseront 30 % du gaz naturel fossile ou du GNR », indique Elaine Arsenault, porte-parole de l’entreprise.

GNR. Voilà, l’acronyme de gaz naturel renouvelable est lancé. Car c’est sur cette source d’énergie produite à partir de la valorisation de résidus organiques, qui autrement émettraient en outre du méthane dans l’atmosphère, que table Énergir pour contribuer à la décarbonation du secteur des bâtiments à l’horizon 2024. « Nous visons à injecter 5 % de GNR dans notre réseau en 2025, puis au moins 10 % en 2030 », précise Elaine Arsenault, tout en soulignant qu’Énergir s’est engagée plus tôt cette année à ce que tout nouveau raccordement – pour ceux qui en sont à une première fois – à son réseau consomme une énergie 100 % renouvelable dans le secteur des bâtiments résidentiel, commercial et institutionnel.

Un éventail de solutions

Selon Martin Roy, ingénieur spécialisé en décarbonation et président de Martin Roy et Associés, des solutions existent déjà et présentent des possibilités d'atténuer la pointe de demande de puissance : « Convertir le chauffage utilisant les combustibles à l'électricité entraînera certainement une forte consommation en hiver, ce qui aura pour effet d'augmenter les pointes hivernales. Puisqu'il faudra un jour éliminer les combustibles fossiles, la biénergie peut constituer une solution à court terme. Toutefois, des solutions de rechange plus durables existent, que l'on pense aux solutions de contrôle de la demande telles que l'accumulation thermique et électrique au sein du bâtiment qui permettent d'éliminer complètement la production de GES par le chauffage. Ces équipements sont disponibles et la technologie est déjà là. Par ailleurs, la gestion de ces accumulations électriques pourrait très bien se faire sous la gouverne d'Hydro-Québec. »

Plusieurs types d'énergies renouvelables peuvent contribuer à la décarbonation du Québec.

Du côté du MELCCFP, les solutions à l'approvisionnement passent nécessairement par une meilleure efficacité énergétique des bâtiments existants : « C’est en effet dans les bâtiments existants, étant donné leur nombre, que les solutions rapides doivent être mises de l’avant, indique-t-on. Parmi celles-ci, mentionnons d’abord l’abaissement de la température intérieure en période d’inoccupation, ou d’activité réduite la nuit, au moyen de thermostats programmables par exemple. Une démarche simple, mais structurée comme la remise au point des systèmes mécaniques de bâtiments (recommissioning), donne de très bons résultats à court terme. Ce type d’intervention nécessite très peu d’investissement et engendre des économies appréciables. »

Aux yeux d'Étienne St-Cyr, il est clair que la biénergie ainsi que des mesures d'efficacité énergétique en électricité permettront de réduire la consommation d'électricité et les émissions de GES lors des pointes hivernales, mais aussi d'abaisser la consommation énergétique, et ce, toutes sources d'énergie confondues. Mais il n'empêche que le choix de solutions faisant appel à la technologie devrait être privilégié.

« Chez Hydro-Québec, la technologie est vraiment au cœur de la plupart de nos actions, dit-il. De fait, la thermopompe — qu'elle soit aérothermique ou géothermique — ainsi que les unités de toit qui intègrent des thermopompes et qui utilisent idéalement le gaz en appoint apparaissent de plus en plus comme des solutions efficaces. L'implantation de ces technologies engendre des coûts supplémentaires, mais Hydro-Québec offre des programmes qui les soutiennent, et ce, pour tous les secteurs. »

Afin d'appuyer la décarbonation du secteur du bâtiment, le Plan de mise en œuvre (PMO) 2023-2028 du gouvernement du Québec propose aussi des mesures visant la réduction des GES qui profiteront de l'aide financière pour un soutien à la conversion vers l'électricité et d'autres énergies renouvelables dans les bâtiments commerciaux et institutionnels (155 M$) ainsi que pour des stratégies d'amélioration de la gestion de la pointe électrique (12 M$).

Martin Roy tient à préciser qu'en matière d'énergies renouvelables autres que l'électricité produite par les grands barrages et les grands parcs éoliens, la production d'énergie photovoltaïque, de plus en plus présente ailleurs dans le monde, pourrait aussi contribuer à résoudre l'approvisionnement nécessaire à la décarbonation du Québec. « Nous avons des projets qui produisent jusqu'à 40 % de leur consommation, fait-il savoir. Cette solution qui intègre l'utilisation des toits pour produire de l'électricité et des batteries pour la stocker démocratise la production tout en offrant une résilience aux bâtiments. Mais pour mettre en œuvre cette stratégie, il faudrait qu'Hydro-Québec agisse comme gestionnaire de ce réseau et permette la production locale. Voilà qui constituerait une solution immédiate et facile à implanter. »

Des perspectives prometteuses

À toutes ces pistes de solutions à l'œuvre ou en devenir, la valorisation des rejets thermiques (VRT) s'ajoute à la liste des sources d'énergie disponibles. Cette dernière figure parmi les solutions les plus prometteuses pouvant apporter une contribution notable aux besoins énergétiques du Québec en plus de réduire le gaspillage énergétique et l'utilisation des combustibles fossiles dans les bâtiments. Bien que le déploiement de ce que d'aucuns considèrent comme une opportunité ne pourra se faire en claquant des doigts, la motivation des acteurs mobilisés semble en mesure de répondre à ce défi.

Pour preuve, le nouveau programme Valorisation des rejets thermiques (VRT) lancé en mars dernier par le MELCCFP. Administré par son Bureau de la transition climatique et énergétique, il favorise la mise sur pied de projets de valorisation de rejets thermiques et offre de l'accompagnement et une aide financière qui se décline en deux volets : 150 000 dollars pour une étude de faisabilité et 40 millions pour un projet d'implantation d'infrastructures.

Ces mesures contribueront très certainement à franchir des frontières et des obstacles liés au déploiement de cette nouvelle filière énergétique au Québec, tout en suscitant l'intérêt grandissant des acteurs du milieu du bâtiment. De fait, depuis l'annonce du nouveau programme plus tôt cette année, le MELCCFP indique qu’une demi-douzaine aides financières au volet Étude de faisabilité ont déjà été accordées et que de l'accompagnement a été offert auprès de dizaines de projets à divers degrés de maturité. Et ça ne fait que commencer puisque « de belles annonces sont à prévoir dans les prochains mois », dixit le MELCCFP ! À suivre...

Les solutions
  • Adaptation du système de contrôle du bâtiment avec la Gestion de demande de puissance (GDP) Affaires
  • Intégration d’accumulateurs thermiques et électriques
  • Recours à l’énergie solaire photovoltaïque
  • Utilisation de génératrices dans le cadre du programme GDP Affaires
  • Utilisation de la biénergie
  • Recours au gaz naturel renouvelable
  • Délestage des chauffe-eau électriques
  • Et autres

 

Les bénéfices de la VRT
  • Utilisation d'énergie qui autrement serait perdue
  • Réduction de la demande énergétique des bâtiments raccordés au réseau
  • Diversification des sources d'énergie
  • Énergie peu coûteuse et de proximité
  • Permet d'éviter la consommation d'énergie fossile