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30 mars 2012

À quelques mois des jeux Olympiques 2012, le salon Ecobuild aura donné la possibilité aux Britanniques de transformer leurs ambitieux objectifs de réduction des GES en occasions d’affaires pour l’industrie.

Par Léa Méthé et Mathieu Caron

Nous rédigeons ce texte à partir d’une jolie péniche amarrée à la rive sud de la Tamise, au centre-ville de Londres. Le printemps est  arrivé, mais comme dans une importante proportion des bâtiments anglais, il fait froid et humide dans note bateau-maison. L’électricité et le gaz étant trois fois plus chers qu’au Québec, nous sympathisons avec nos hôtes qui rechignent à chauffer leurs bâtiments peu performants. La vétusté du parc immobilier, le pire d’Europe, combiné avec les vertigineux prix de l’énergie, font des Britanniques un des peuples les plus proactifs en bâtiment durable.

Le Climate Change Act 2008 a fait du Royaume-Uni la première nation au monde à se doter d’objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) assortis d’une réglementation contraignante. La cible pour l’an 2050 est une réduction de 80 % par rapport au niveau de 1990. Le patrimoine bâti, responsable ici de plus de 45 % des GES, est un des secteurs prioritaires d’intervention.

La semaine dernière se terminait à Londres l’édition 2012 d’Ecobuild, qui se targue d’être le plus grand salon sur le thème du bâtiment durable au monde. L’événement se déroulait au Excel Center et  a accueilli encore cette année des dizaines de milliers de participants, 1 500 exposants et plus de 200 conférences et séminaires.

Nous y avons reconnu une formule semblable à celle des salons Greenbuild, bien que la proportion de gens d’affaires par rapport aux professionnels y soit plus importante. Cette différence s’explique entre autres par les politiques musclées du Royaume-Uni en matière de bâtiment écologique, qui obligent l’industrie à emboîter rapidement le pas. Et ce n’est qu’un début. En 2012, trois éléments charnières  marqueront le milieu de la construction.

Premièrement, les Jeux Olympiques 2012 constitueront une excellente vitrine pour le bâtiment durable et ses joueurs clés. C’est l’occasion de réhabiliter East London, un secteur dégradé et contaminé de la ville, en y aménageant entre autres un parc de la biodiversité entouré de bâtiments verts. Les athlètes évolueront dans un des stades les plus efficaces énergétiquement et dans un vélodrome intégrant le bois de manière exemplaire. Dans son plan de développement durable, le Olympic Delivery Authority a spécifié l’obtention de la certification BREEAM pour les bâtiments principaux, CEEQUAL[1] pour les infrastructures, et Code for Sustainable Homes (CSH) pour le village olympique.

Le CSH est un standard national en matière d’habitation durable introduit en 2006 pour stimuler l’industrie à améliorer ses pratiques. Le niveau 6, soit l’échelon le plus élevé, deviendra la norme en 2016. Les maisons bâties selon cette norme doivent afficher un bilan carboneutre pour les postes de chauffage et climatisation, chauffage de l’eau et équipements de cuisine. L’outil de mesure, basé sur la grille EcoHomes du Building Research Establishment (BRE), est divisé en neuf catégories thématiques. La certification est accordée sur la base des performances anticipées et d’une visite post-construction.

Après avoir présenté au monde ses installations sportives à la fine pointe du développement durable, le Royaume-Uni s’attellera à la tâche plus laborieuse de rehausser les performances de l’ensemble de son patrimoine bâti. En juin, le BRE lancera le système de certification BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method) visant la rénovation résidentielle, suivi de près par une version visant la rénovation des bâtiments commerciaux.

Lancé en 1990, BREEAM est l’un des plus vieux systèmes de certification des bâtiments durables. On compte déjà 250 000 bâtiments neufs certifiés, la majorité au Royaume-Uni et plusieurs en Europe centrale. Il s’agit maintenant de s’attaquer au parc immobilier victorien et d’après-guerre. En attendant, comme nous, les Anglais veillent le soir avec une petite laine bio.

Très bien adapté à la réalité du Royaume-Uni, BREEAM repose sur une évaluation de l’ensemble des performances et sur une compréhension robuste des sciences du bâtiment. L’outil  bénéficie toujours d’une grande crédibilité et est bien implanté ici dans la communauté professionnelle. Il coexiste également bien avec d’autres outils comme LEED, dont l’application est plus universelle, parce que privilégié par les compagnies gérant un portfolio de projets à l’internationale.

La complexité de BREEAM laisse aussi la place à des systèmes simplifiés comme SKA, un outil d'évaluation visant l'aménagement durable des espaces intérieurs non résidentiels. Il a été développé par le Royal Institution of Chartered Surveyors (RICS), l'association britannique des inspecteurs en bâtiment et lancé en 2009. La certification SKA est moins onéreuse et offre la possibilité d’une auto-évaluation plutôt que de faire affaire avec un tiers. Le coffre d’outils pour le secteur du neuf est déjà bien fourni. La priorité est à l’adaptation des outils pour le marché de la rénovation.

Quatre-vingt pour cent des bâtiments qu’occuperont nos enfants en 2050 sont déjà construits aujourd’hui. L’émergence de certifications visant la rénovation signale à la fois un engagement du Royaume-Uni en vue de la réduction de ses émissions et un changement de priorité. Après avoir travaillé à la démonstration de projets neufs à empreinte carbone nulle, les projets pilotes s’orientent ici résolument vers le bâtiment existant.

Dans un contexte économique difficile, les occasions d’affaires en rénovation font entrevoir la création de milliers d’emplois « green collar ». Ça ne se fera pas sans difficultés, car c’est également un plus grand défi de standardisation des bonnes pratiques. Et un volume tout simplement immense ! Pour atteindre leurs objectifs, les Britanniques devront compléter sept rénovations éconergétiques à la minute, si l’on considère des semaines de travail régulières. Parions déjà sur des heures supplémentaires à temps double…

Novembre 2012 est la troisième date butoir à retenir : lancement du Green Deal, un nouvel outil du gouvernement en vue de promouvoir la rénovation résidentielle. Les mécanismes complexes de ce programme nous ont fait sourire. Un agent-livreur mandaté par le gouvernement évaluera le potentiel d’efficacité énergétique et avancera le montant des travaux si la rentabilité de l’investissement est intéressante. Le prêt est alors remboursé mensuellement, comme l’hypothèque, sur la base de paiements équivalant aux économies d’énergie attendues selon les modélisations.

À 21 cents le kW/h, les rendements des investissements ici sont alléchants. On songe à l’exemple d’une maison certifiée PassivHaus qui a récupéré un surcoût de 4 % en six ans environ (pour une construction de type Novoclimat, à laquelle on ajouterait une meilleure fenestration et une orientation optimale). Un mécanisme complexe donc, mais très prometteur ! Si le Green Deal est un succès pour les vieilles maisons anglaises, il s’appliquera probablement au secteur non résidentiel avec des règles adaptées.

Les Britanniques ont du pain sur la planche d’ici 2016 et encore plus pour se rendre à 2050 ! Lorsque les bus à deux étages et les métros se seront vidés des athlètes et touristes olympiques, les lancements de BREEAM Refurbisment et du Green Deal donneront le ton pour les mois à venir. Ce seront autant de signaux forts pour l’industrie de la construction locale, qui devra s’adapter vite et bien pour livrer sa part de réductions de GES. Pour y arriver, les professionnels et donneurs d’ouvrage auront besoin de toutes les innovations et technologies en démonstration à Ecobuild, d’une bonne dose de motivation et de beaucoup d’humour « british ».


[1] L’outil CEEQUAL (www.ceequal.com), lancé en 2003 au Royaume-Uni, évalue et récompense les projets les plus durables de génie civil, de voirie et d’aménagement paysager.