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Économie circulaire : un atout incontournable dans la conception d'un bâtiment écologique

20 avril 2022

Par Sandra Soucy

S’engager dans l’économie circulaire et le réemploi des matériaux de construction s’impose comme un défi collectif à relever pour freiner la dérive d’un modèle linéaire qui se heurte douloureusement à l’épuisement des ressources naturelles de la Terre.

Dire que l’heure a sonné pour s’inscrire dans une démarche vers des voies responsables et repenser nos modes de production et de consommation relève presque de l’euphémisme lorsque l’on sait que l’indice de circularité de l’économie québécoise peine à atteindre les 3,5 %. Il est crucial de briser les silos traditionnels du modèle linéaire « extraire, produire, distribuer, consommer, jeter » et d’envisager le réemploi des matériaux comme alternative à privilégier autant en construction, en architecture que dans le domaine du design intérieur.

« Dans un mode d’économie circulaire, les déchets qu’on ne produit pas sont toujours ceux qui polluent le moins », déclare d’entrée de jeu Claudia Bérubé, designer d’intérieur et présidente chez Claudia Bérubé Designer, membre APDIQ et spécialiste en design écoresponsable. « En tant que professionnels, nous avons la responsabilité de faire notre part si nous voulons aider nos clients à faire de meilleurs choix, à commencer par l’application du principe des 3RV qui consiste essentiellement à réduire à la source, réemployer, recycler et valoriser. Toutefois, nous sommes loin de la coupe aux lèvres en matière d’économie circulaire au Québec, particulièrement lorsque l’on pense à l’industrie de la construction où nombre d’améliorations restent encore nécessaires. Personnellement, je trouve qu’il est aberrant qu’il n’y ait pas de politiques, gouvernementales ou autres, plus strictes portant sur la gestion des déchets. Oui, il y a certainement des centres de tri, mais malheureusement, trop de déchets sont encore produits alors qu’ils pourraient être récupérés en presque totalité. »

Claudia Bérubé et Hortense Montoux

Hortense Montoux, chargée de projet du laboratoire d’accélération en économie circulaire pour le secteur de la construction, renchérit : « De façon générale, le milieu de la construction est à l’image de beaucoup d’autres secteurs économiques qui sont encore très linéaires et dont le modus operandi est d’extraire des ressources vierges, de les transformer en matériaux, de construire des bâtiments qui seront ensuite démolis puis d’enfouir la majorité des résidus… avant de recommencer! Cela dit, il y a quand même certains acteurs qui commencent à se positionner et l’on note que des initiatives autour du réemploi sont prises, du moins existe-t-il une curiosité pour la thématique, ce qui est plutôt bon signe. »

Un bâtiment qui suscite la réflexion

Le projet MR-63 sera construit à partir de huit voitures du métro de Montréal

Le Projet MR-63 offre un bel exemple de la manière dont l’économie circulaire peut être appliquée à la construction écoresponsable d’un bâtiment écologique et exemplaire. Son cofondateur et directeur général, Frédéric Morin-Bordeleau, estime qu’il est possible d’être créatif tout en intégrant des éléments qui sont récupérés. « Avec ce projet, nous voulons susciter une réflexion sur l’économie circulaire et démontrer qu’il est possible de construire autre chose que des bâtiments en série. Nous avons dépassé le simple cadre de faire un geste avec les wagons. Une réflexion est amorcée sur la manière dont on peut concevoir un bâtiment avec des matériaux recyclés. Nous voulons envoyer le message clair et fort que construire des bâtiments exemplaires, c’est non seulement possible, mais aussi nécessaire, et nous sommes prêts à donner l’information à qui veut bien l’entendre ! »

Bien qu’ils soient les mieux placés pour le faire, designers et autres professionnels de la conception ont de nombreux défis à relever pour faciliter le passage vers un modèle économique qui tient compte de l’utilisation parcimonieuse des ressources. Comme le souligne Hortense Montoux, leur rôle est crucial à ce stade de la conception. « Ce qui est intéressant avec les designers et les architectes, c’est qu’ils se trouvent en amont de la chaine et que ce sont les décisions prises au moment de la conception qui, au premier chef, conditionnent la façon dont les bâtiments seront conçus, construits et aménagés. Ce sont ces mêmes décisions qui auront un impact sur la durée de vie du bâtiment et sur ce qu’il en adviendra en fin de vie. Prenons l’exemple d’un architecte qui propose un bâtiment modulaire qui pourrait être réaménagé en fonction des usagers, sans qu’il soit démoli; voilà ce en quoi consiste une stratégie de circularité qui permet d’allonger la durée d’usage du bâtiment et, par conséquent, des ressources qui le composent », illustre-t-elle.

Étienne Morin-Bordeleau, cofondateur et directeur artistique, MR-63 Montréal, et Frédéric Morin-Bordeleau, directeur général, MR-63. Crédit : Projet M-63

La spécialiste en design écoresponsable est bien consciente qu’il est du devoir du concepteur de proposer des choix les plus durables possibles. «Il est impératif d’avoir une vision stratégique et de bien connaitre les produits afin de mieux informer le client lorsqu’on lui propose une solution plutôt qu’une autre, souligne-t-elle. Mais aussi, il est essentiel de connaitre toutes les certifications écologiques, tant en ce qui concerne les produits que les bâtiments, pour faire progresser les idées les plus innovantes qui tendent vers un mode de vie davantage axé sur la durabilité. »

Bien que l’économie circulaire apparaisse comme un atout incontournable, il faut encore convaincre que de tels efforts peuvent avoir un réel impact. Pour le directeur général du Projet MR-63, il ne fait aucun doute que ce sont les concepteurs qui sont les plus proactifs quand il s’agit de s’engager dans une réflexion d’économie circulaire. « Designers et architectes sont vraiment ceux qui poussent le plus pour que l’on soit plus “verts”, bien que certains promoteurs aient de belles missions et de belles valeurs. Il en va de même pour les clients. Le problème est qu’il y a un cout relié à cela, si bien que lorsque le client ne peut payer plus et que le promoteur ne peut non plus allonger davantage d’argent, alors le projet ne se fait pas. L’argent est un frein, malheureusement », déplore-t-il.

Claudia Bérubé reconnait que beaucoup de travail de sensibilisation et d’éducation reste à faire surtout auprès des entrepreneurs, mais aussi auprès de tous les acteurs de la chaine. « Plusieurs ne savent pas en quoi consiste le concept de l’analyse de cycle de vie. Je dois avouer que c’est plus complexe que ça en a l’air. Il est crucial de connaitre quelles sont les ressources choisies au départ, de quoi est constituée la production, de quel système de distribution il s’agit, de quelle façon on l’utilise et ce qu’il adviendra du produit une fois parvenu en fin de vie. Va-t-il se retrouver directement à la poubelle, être recyclé, revalorisé ou autre? Des efforts doivent être mis au bon endroit pour améliorer les comportements, poursuit-elle. D’ailleurs, il reste que les paliers gouvernementaux ont leur rôle à jouer pour favoriser l’avancement et marquer un pas de plus dans la bonne direction. »

Trop peu, trop lentement

Frédéric Morin-Bordeleau ajoute que l’aspect environnemental ne semble pas être une priorité pour tous. « Certaines compagnies de construction font toujours la même chose et présentent toujours le même tracé. D’autres ne sont motivées que par l’aspect financier et n’ont aucun intérêt pour l’aspect environnemental. Mais si les élus et les fonctionnaires intervenaient pour contrer ces pratiques, les promoteurs n’auraient d’autre choix que de se conformer pour en appliquer de meilleures. On voit s’opérer un changement, mais ce n’est jamais assez vite », se désole-t-il.

Comme le fait remarquer Hortense Montoux, il y a de bons et de mauvais élèves dans tous les maillons de la chaine de valeur. «Certains donneurs d’ouvrage sont quand même intéressés à faire bouger les choses, mais il y aura toujours des gens, tous secteurs confondus, qui sont moins convaincus que d’autres. »

Prendre le virage

Prendre le virage de l’économie circulaire ne se fait pas en criant ciseau. Aux yeux de la chargée de projet du Lab Construction, entamer le défi ambitieux d’une transition vers une économie plus durable exige non seulement des efforts, mais aussi un changement profond dans notre façon de réfléchir. « Il est pertinent de travailler de l’amont vers l’aval, de cerner le besoin et de prendre le temps de réfléchir avant de construire, en se questionnant au préalable à savoir si l’on doit concevoir un nouveau bâtiment ou non, et si oui, comment le construire le mieux possible. La question du besoin et de l’usage est un excellent point de départ, car elle permet de faire un choix en fonction d’un matériau local, écologique, voire de seconde main pour combler ce besoin. »

Claudia Bérubé est totalement d’accord. «La première chose à faire pour un concepteur, c’est de bien tendre l’oreille aux besoins des clients. Il est essentiel de développer une vision stratégique et d’offrir une panoplie de produits et d’alternatives possibles, et notre devoir consiste à mieux connaitre les produits afin de mieux informer le client lorsqu’on lui propose une solution qui se voudra la plus durable possible. Il est primordial de revoir notre façon de consommer et de modifier nos pratiques, et ce, à tous les niveaux. À quel choix donner la priorité? Celui de la durabilité ? Celui qui est plus local, mais pas nécessairement écologique ? Voilà tant de questions qui occupent incessamment nos esprits. »

L’analyse de cycle de vie, cet incontournable

Pour s’ancrer avec succès dans une perspective de design circulaire, il faut garder en tête l’objectif de réduction de l’impact environnemental d’un produit ou d’un service. « Pour ce faire, rappelle la designer, nous devons être à l’affut des tendances émergentes tout en poursuivant des formations sur le plan des certifications, ne serait-ce que pour comprendre le processus d’analyse de cycle de vie qui, selon moi, nous ouvre beaucoup les yeux par rapport à la conception d’un produit à toutes les étapes de sa vie. »

Et ce n’est pas Hortense Montoux qui va contredire Claudia Bérubé. « Nous devons adopter une méthode comme l’analyse de cycle de vie pour éviter d’avoir des déplacements d’impact que l’on nomme aussi de fausses bonnes idées. Un exemple ? Mettre en place quelque chose en croyant que ça réduira l’impact environnemental à l’étape où l’on intervient alors que dans les faits, il est possible qu’il y ait déplacement d’impacts négatifs à la fin de la chaine de valeur. Cette approche scientifique est assez bien balisée pour vérifier que ce n’est pas le cas et qu’il n’y aura pas déplacement d’impact sur une autre partie de la chaine. »

À l'avant-garde de l'économie circulaire

Bien des efforts considérables devront être consacrés pour accroitre la circularité de notre économie. Le Québec se place parmi les premiers en Amérique du Nord en matière de recherches sur l’économie circulaire. Un bel exemple ? Le Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) lançait plus tôt ce printemps, en collaboration avec l’ÉTS et Desjardins, un écosystème de laboratoires d’accélération en l’économie circulaire (ELEC). Grâce à une contribution de 2,1 millions $ sur cinq ans de Desjardins, partenaire majeur de cette initiative, chercheurs et membres de l’industrie auront l’occasion de développer et d’expérimenter des solutions qui profiteront au déploiement de l’économie circulaire.

L’économie circulaire en chiffres
  • 100 milliards de tonnes de matières premières circulent dans l’économie mondiale, mais seulement 8,6 % d’entre elles sont circulaires, bien que l’objectif soit d’atteindre les 17 % au cours des prochaines années.
  • 96,5 % de nos ressources québécoises ne sont pas réintégrées dans notre économie. De 3,5 %, l’indice de circularité de l’économie québécoise pourrait passer la barre des 9,8 % grâce à des mesures appropriées.
  • Le taux d’économie circulaire aux Pays-Bas fait figure de pratique exemplaire au niveau mondial atteignant les 24,5 %.

Source : Rapport sur l'indice de circularité de l'économie du Québec