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6 novembre 2015
Par Rénald Fortier

Un projet d’écoquartier encore sans nul autre pareil, mais qui pourrait se reproduire…

Seconde moitié des années 90. La Société de développement Angus (SDA) bouscule l’ordre des choses sur la scène immobilière montréalaise en transformant en édifice de bureaux un symbole industriel du siècle dernier. Non seulement réussit-elle alors à sauvegarder un immeuble du quartier Rosemont autrement voué à la démolition, mais aussi à en faire un emblème de la construction écologique au Québec. 

Ce bâtiment, c’est le Locoshop [Entretien avec le concepteur du Locoshp]. Et la réalisation de ce projet donne le ton au développement d’un parc d’affaires pour le moins distinctif sur un vaste site auparavant occupé par des ateliers du Canadien Pacifique. Car la démarche de revitalisation urbaine qui donne progressivement forme au Technopôle Angus s’articule invariablement, au fil des ans, autour de l’intégration de dimensions sociale, environnementale et économique. 

À telle enseigne que le plan d’aménagement du Technopôle obtient à l’automne 2008 la certification LEED-ND (Neighborhood Development), niveau Or, du U.S. Green Building Council (USGBC). Une première québécoise qui en appelle une autre la même année pour ce foyer du développement durable alors que l’USGBC délivre le sceau LEED-CS (Core and Shell), niveau Or également, à son édifice multilocatif de bureaux du 4100 Molson. 

Il faut dire qu’à partir de 2005, la SDA applique systématiquement une politique dite « Tout LEED » lorsque vient le temps de construire un bâtiment. Tout comme elle voit à apposer sur chacun de ses immeubles une certification BOMA BESt attestant de leur exploitation environnementale. C’est sans compter la certification ICI ON RECYCLE obtenue de Recyc-Québec pour la mise en place de son plan de gestion des matières résiduelles. 

Le Technopôle Angus compte aujourd’hui 13 bâtiments dans lesquels s’activent quelque 2 300 travailleurs œuvrant au sein de 55 entreprises, dont une douzaine œuvrant dans le milieu de l’économie sociale. Depuis près de 20 ans, la SDA a ainsi réussi à requalifier un million de pieds carrés d’une friche industrielle située en plein cœur de Montréal. Et il lui reste encore à peu de choses près l’équivalent à développer, principalement sur l’îlot central faisant face au Locoshop. 

Un développement futur qui s’inscrira certes dans la continuité de l’écologisation qui a fait du Technopôle ce qu’il est aujourd’hui, mais qui n’en promet pas moins d’en refaçonner complètement le visage. Comment ? Eh bien, tout simplement en le transformant en un écoquartier comme il n’en existe pas encore ailleurs dans le monde à cette échelle. Rien de moins. 

Tout simplement ? Pas vraiment, non, car la démarche novatrice dans laquelle s’engage une fois de plus la SDA relève à vrai dire davantage de la haute voltige. D’où sa décision de mettre en veilleuse l’espace d’un temps le déploiement de son parc d’entreprises pour définir sa vision et transposer sa volonté en un concept qu’elle pourra mettre en œuvre malgré ses moyens financiers pour le moins limités. Comme elle le fait depuis le début de cette aventure nommée Angus. 

Le futur écoquartier Angus - Image de SDA/PRAA

L’idée maîtresse du projet : transformer le Technopôle en un véritable milieu de vie. « À l’origine, nos concurrents étaient des parcs industriels, explique le président de la SDA, Christian Yaccarini. Depuis, le portrait a beaucoup changé, car la compétition vient maintenant d’un édifice situé dans le Mile-End, par exemple, ou d’un autre quartier animé de Montréal. Parce que les entreprises que l’on convoite veulent que leurs employés aient accès à des restos et à des cafés, notamment, et qu’ils puissent utiliser les transports en commun ou actif pour aller et revenir du travail. » 

Solutions intégrées

C’est pourquoi à l’été 2013, la SDA réunit une brochette de professionnels du bâtiment et de l’aménagement autour d’une même table. Leur mission : concevoir un plan d’aménagement axé sur la création d’emplois, la gestion harmonieuse du site au tissu urbain existant, la gestion écologique du cadre bâti et des infrastructures, l’appropriation du site par les gens du milieu ainsi que la rentabilité financière du projet. 

Un processus de conception intégré, donc, auquel participe activement la SDA. Et qui mène de recherche en recherche et de coup de crayon en coup de crayon, une quinzaine de mois plus tard, à un concept traçant les grandes orientations et déterminant les balises qui guideront le développement de l’îlot central du Technopôle. Chacune s’imbriquant l’une dans l’autre. 

Ce plan d’aménagement doit notamment se traduire par la construction de 15 bâtiments sur l’îlot central. Des immeubles qui réuniront plus de 300 unités d’habitation en copropriété – logement abordable inclus – pour les uns et 450 000 pieds carrés d’espaces de bureaux pour les autres, en plus de 32 000 pieds carrés qui seront occupés par des commerces de proximité au rez-de-chaussée des uns et des autres. 

C’est sans oublier qu’il prévoit aussi l’aménagement de quatre places publiques dont l’intégration sera loin d’être en reste par rapport aux autres composantes du projet. Même qu’elles constituent ni plus ni moins sa colonne vertébrale, le premier support à la transformation du Technopôle en un milieu de vie.  

Pour l’architecte Céline Mertenat, membre de l’équipe de Provencher_Roy engagée dans le processus de design, c’est d’ailleurs sans contredit la remise en question du concept de parc industriel pour le muer en véritable milieu de vie qui représente la plus grande avancée du projet qui sera mis de l’avant par la SDA. Au premier chef parce que son plan d’aménagement s’appuie sur la dualité des fonctions affaires et habitation. 

Le futur écoquartier Angus - Image de SDA/PRAA

« L’intégration d’un usage résidentiel à l’intérieur même des limites du Technopôle offre tout un éventail de nouveaux potentiels écologique, économique et social, dit-elle. Par l’adoption de solutions d’aménagement judicieuses, un terrain comme l’îlot central peut doubler sa densité bâtie, tout en doublant du même coup son offre sur le plan des espaces publics. 

Elle note du même élan que l’équipe de conception a fait une revue des projets au Québec, au Canada et à l’international, mais qu’il n’existe pas vraiment d’écoquartier mixte dédié à l’emploi issu d’un financement entièrement privé comme ce sera le cas dans le cas du Technopôle Angus. De là à penser que le projet de la SDA constitue une première, il n’y a donc qu’un pas que l’on peut franchir d’un trait. 

D’autant plus que les paramètres de conception fixés par la SDA allaient bien au-delà de la seule volonté de réaliser un écoquartier exemplaire. « La commande du client était très clair depuis le premier jour, indique Céline Mertenat. Notre objectif était de créer un précédent reproductible avec le Technopôle. Un projet ancré dans la réalité financière du marché immobilier nord-américain et répondant aux meilleures pratiques écologiques disponibles. » 

Reproductible. Voilà un adjectif qui résonne doux aux oreilles de Christian Yaccarini, au point où il ne se prive pas de l’utiliser, ou plutôt de le marteler, chaque fois qu’il en a l’occasion. Il explique : « Pour moi, la ressource financière est également l’un des axes du développement durable. Elle est précieuse et il faut veiller à ne pas la gaspiller. 

« Si on conçoit et réalise un projet qui ne peut être reproduit parce qu’on s’est payé quelque chose que les autres développeurs ne pourront se permettre, ça sera sûrement bien plaisant et on pourra organiser des visites par la suite. Mais il reste que si personne ne peut suivre nos traces faute de moyens financiers, ce n’est pas un projet de développement durable que l’on va faire, mais un musée. Et c’est la dernière chose à laquelle on aspire. » 

Il faut savoir que les artisans du Technopôle se sont toujours fait un point d’honneur de réaliser des bâtiments durables demeurant compétitifs sur le marché de l’immobilier commercial montréalais. Comme le démontre notamment le 4100 Molson érigé en 2006 à un coût de 115 dollars le pied carré. « On l’a reconstruit au même coût qu’un bâtiment conventionnel, mais il a tout de même obtenu une certification LEED-CS Or. Il n’y avait pas de gadgets, mais beaucoup d’intelligence dans cette réalisation », illustre le directeur général de la SDA, Charles Larouche. 

Stratégies durables

N’empêche que malgré cette approche économique inflexible, les stratégies durables intégrées au plan d’aménagement de la nouvelle phase du Technopôle pourraient se décliner longtemps. Tant sur les plans de la réduction de la consommation énergétique, du transport, de la récupération et de la valorisation des déchets ainsi que de la construction des bâtiments à proprement parler. 

Certaines se démarquent cependant plus d’autres. Et c’est notamment le cas de la mise en place d’une boucle énergétique comme il n’en existe pas encore au Québec. Et que rend possible la mixité des fonctions. La complémentarité des besoins et des heures d’utilisation entre les bâtiments résidentiels (soir et fin de semaine) et commerciaux (de jour) permet le partage de chaleur et de froid, issus des  systèmes énergétiques autant que de l’usage même des bâtiments.   

Une boucle à laquelle seront raccordées des sources d’énergie renouvelables. Comme la géothermie, le solaire thermique et photovoltaïque, la chaleur provenant des égouts ainsi que d’autres technologies qui se raffineront et dont le coût ira en s’abaissant au cours des prochaines années. Cette boucle « passive » vise à assurer la résilience énergétique de l’îlot central pour toute sa longue durée de vie planifiée.

C’est que l’ultime phase de développement du Technopôle pourrait s’échelonner sur 10 ans et que bien des choses ont le temps de changer du côté des technologies éconergétiques d’ici son achèvement. Un premier immeuble résidentiel sera mis en chantier au printemps 2016, tout comme une place publique, suivi par la construction d’un édifice de bureaux. Histoire de d’équilibrer la boucle énergétique. À suivre.

Équipe de conception

Développeur immobilier : Société de développement Angus 

Architecture et urbanisme : Provencher Roy Associés Architectes

Génie électromécanique : Pageau Morel

Génie structural et civil : Pasquin St-Jean et associés

Architecture du paysage : NIP Paysage

Expertise en construction : Groupe TEQ

 

Phase 2 déchiffrée
  • 1 million de pieds carrés de terrains à développer
  • 15 nouveaux bâtiments
  • 450 000 pieds carrés d’espaces de bureaux
  • 32 000 pieds carrés de commerces de proximité
  • Plus de 300 unités d’habitation en copropriété
  • 1 500 nouveaux travailleurs
  • 800 résidents
  • 4 places publiques
  • 542 places de stationnement en souterrain

 

Quatre cibles
  • Être au moins 20 % plus efficace que la nouvelle référence du CNEB 2011 et atteindre un indice d’utilisation de l’énergie (IUE) inférieur à 90 kWh/m²/an
  • Diminuer de 30 % les émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie
  • Répondre à 90 % des besoins des appareils sanitaires au moyen de la récupération d’eau de pluie en saison estivale
  • Détourner de l’enfouissement 95 % des déchets générés lors de la construction

 

Stratégies éconergétiques
  • Mise en place d’une boucle énergétique permettant l’échange, le stockage et le partage de la chaleur et du froid entre les bâtiments
  • Utilisation évolutive de sources d’énergie renouvelable (géothermie, solaire thermique et photovoltaïque)
  • Récupération de la chaleur sur l’air vicié et les eaux usées évacués des bâtiments
  • Recours au solaire passif ainsi qu’à la luminosité et la ventilation naturelles
  • Isolation thermique hautement performante
  • Utilisation de luminaires performants comme les T5HO et des DEL (la puissance installée ne dépassera pas 10 W/m²)
  • Intégration de mesures de contrôle de l’ensoleillement
  • Et autres

 

Stratégies paysagères

L’aménagement paysager intégré au projet de la SDA, ce n’est pas que « pour faire beau », comme le dit si bien Christian Yaccarini. Même qu’il est rapidement devenu un incontournable pour la viabilité du projet. En termes d’intégration urbaine, comme l’indique Michel Langevin, associé de NIP Paysage, mais aussi de performance. Parce que c’est l’architecture de paysage qui a orchestré les relations entre les rues avoisinantes, les quartiers, les bâtiments, le nivellement des surfaces ainsi que la gestion intégrée des eaux de pluie et de la neige.

Parmi les mesures préconisées, soulignons :

  • la gestion de la neige in situ ;
  • la rétention in situ des pluies jusqu’à une récurrence de 1/100 ans ;
  • le paysage comestible pour la faune et les humains ;
  • la connexion aux corridors végétalisés de Montréal ;
  • et un éclairage extérieur respectant le ciel noir.