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Un laboratoire vivant consacré à l’enveloppe du bâtiment

28 janvier 2022
Par Isabelle Leclerc

Tout a débuté par un chemin de terre. C’est en le suivant que Richard Trempe a découvert le terrain de 75 acres qui allait voir naitre « Auvergne laboratoire vivant », un projet de recherche sur la performance en service des enveloppes.

L’architecte spécialisé en enveloppe du bâtiment souhaitait prendre part de façon active aux réflexions sur les enjeux énergétiques et climatiques en s’intéressant aux petits bâtiments, qui représentent la moitié des couts globaux de construction au Québec. Il s’est donc lancé dans une aventure bien particulière sur son domaine de Sainte-Christine d’Auvergne, dans le comté de Portneuf.

L’objectif : réaliser des bâtiments à haute performance énergétique relativement simples à construire et économiquement viables.  La démarche : analyser le comportement de plusieurs systèmes en s’appuyant sur de nombreuses recherches, analyses et modélisations par simulation informatique. C’est ainsi qu’il entreprend, en 2019, la construction d’un premier pavillon.

Un système isolé totalement par l’extérieur

Mise en chantier par un entrepreneur de la région, cette première construction relativement compacte est dotée d’une charpente mixte de bois d’ingénierie et ossature légère et pourvue d’une enveloppe isolée totalement par l’extérieur. Ce système, qu’il connait bien, a fait ses preuves sur des constructions de plus grande envergure, mais est plutôt marginal dans le domaine résidentiel. Afin de maximiser la performance énergétique du bâtiment, des considérations très importantes sont également portées aux ponts thermiques, notamment par l’utilisation d’une double ossature appliquée au toit et aux jonctions vulnérables.

Des dizaines de capteurs sont disposés dans cette résidence qu’il habite depuis maintenant un an et demi afin de monitorer ce laboratoire vivant. « Pour le premier bâtiment on n’a pas eu de surprise à part les faiblesses de quelques jonctions dues à certaines complexités d’assemblage, explique Richard Trempe. En fait, l’étonnement fut d’atteindre un niveau d’étanchéité à l’air aussi élevé que 0,65 CAH dans un système relativement standard, c’est super intéressant. »

Diverses zones de monitorage du projet Auvergne laboratoire vivant. Crédit : Richard Trempe

Le taux d’humidité fait aussi partie des différents éléments à l’étude. « Une chose intéressante à observer est la vitesse à laquelle l’assèchement dans le système peut se faire au cours de l’automne pour avoir des conditions internes de l’enveloppe relativement sèches en plein hiver. C’est quelque chose qu’on a réussi à atteindre dans ce bâtiment, il est très performant. »

Expérimenter et comparer

Fort de cette première expérience, Richard Trempe élabore deux nouveaux bâtiments inaugurés en octobre 2021 : La Sittelle et L’Hermine. Ces constructions similaires permettent d’expérimenter de nouvelles façons de faire et offrent quantité de données pour évaluer et comparer entre elles les performances des trois résidences.

La Sittelle, par exemple, a été construite avec un système isolé totalement par l’extérieur comme celui du pavillon principal, avec une optimisation des matériaux et la correction de certaines jonctions. Il sera donc intéressant de comparer la performance d’un « perfect wall » sur la volumétrie simple et compacte du premier pavillon avec celle de la Sittelle qui, par ses deux étages et ses nombreuses arrêtes, présente un format plus répandu en construction résidentielle.

Construction de La Sitelle dans le cadre du projet Auvergne laboratoire vivant. Crédit : Richard Trempe

L’Hermine, quant à elle, a été isolée de façon conventionnelle à la différence près qu’un frein-vapeur a été utilisé plutôt qu’un pare-vapeur classique. « Les pare-vapeurs intelligents sont relativement nouveaux au Québec, c’est un produit qui vient d’Europe. Je risque d’avoir un meilleur assèchement avec un système qui est à peu près semblable à ce qu’on fait aujourd’hui, mais avec des matériaux qui se rapprochent plus des préoccupations actuelles, explique l’architecte. L’intérêt est donc d’intégrer ces éléments dans un système de maisons que les gens sont habitués de construire, qui colle plus à la réalité des entrepreneurs. » Au surplus, l’enveloppe de l’Hermine est faite principalement de matériaux biosourcés, avec capacité de stockage thermique. Le comportement en service lors du monitorage, combiné aux essais en infiltrométrie-thermographie, seront analysés au cours de l’hiver, en parallèle avec les études d’efficacité énergétique et d’empreinte carbone.

L'Hermine, un pavillon du projet Auvergne laboratoire vivant. Crédit : Richard Trempe

Bien qu’il soit encore trop tôt pour obtenir des résultats probants sur la performance de ces nouveaux pavillons, Richard Trempe envisage déjà certaines faiblesses à évaluer et des défis à relever. « Le test d’infiltrométrie a été passé haut la main sur le premier bâtiment qui est un gros rectangle, mais je sais d’avance que ce ne sera pas le cas sur les deux petits à partir des premiers essais faits lors de la construction. Il y a trop de surface de murs et de toitures ; plus un bâtiment est petit, plus c’est compliqué. » Dans un contexte d’expérimentation, il n’y a toutefois pas d’erreur, que des apprentissages. «  L’objectif n’est pas de faire l’idéal, mais de partager des résultats et de tendre à faire mieux. »

Une approche systémique du bâtiment

Si « Auvergne laboratoire vivant » se veut à la base une étude sur les enveloppes résidentielles hyper-performantes, il va sans dire que de nombreuses autres considérations interviennent dans le projet. Pour Richard Trempe, il est primordial de voir le bâtiment de façon systémique. « Il ne faut pas se mettre des œillères écoénergétiques, des œillères écologiques, économiques…, explique-t-il. J’essaie d’intégrer au maximum ces considérations lorsqu’elles vont de pair avec les autres choses, comme les questions de l’efficacité énergétique, de l’empreinte carbone, de la durabilité et du bien-être. »

Le projet Auvergne laboratoire vivant s'intéresse aux questions de l’efficacité énergétique, de l’empreinte carbone et de la durabilité. Crédit : Richard Trempe

Alors que cette philosophie ouvre de nombreuses possibilités, elle provoque aussi bien des questionnements : « D’où proviennent certains matériaux ?, c’est quoi la composante québécoise ? Parce qu’un matériau peut être très bon et très écologique, mais si sa fabrication ou sa provenance implique beaucoup de transport, c’est une autre paire de manches. »

Dans une banlieue près de chez-vous ?

Enseignant et formateur, Richard Trempe constate un intérêt grandissant de la part des professionnels pour l’enveloppe du bâtiment depuis les 25 dernières années. Ses échanges avec ses pairs font à la fois progresser son projet et la façon d’envisager la construction au Québec.

« L’idée est de faire partager de l’information. C’est la différence entre une maison écologique que l’on construit en démonstration, de façon souvent chirurgicale, et mon projet. Je ne veux pas montrer la manière de faire, mais proposer des systèmes, des approches pour que les gens puissent réagir et que cela apporte une certaine réflexion dans leur propre conception des bâtiments. »

L'architecte Richard Trempe

Si les occasions sont nombreuses de faire partager sa démarche aux professionnels, il est toutefois plus difficile de rejoindre les entrepreneurs, les premiers vecteurs d’un changement dans le domaine de la construction résidentielle. Heureusement, plusieurs organismes œuvrent en ce sens. C’est le cas notamment de la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB), qui compte de nombreux partenaires, tels que l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ). Le SEREX développe pour sa part des solutions et des pratiques durables dans les entreprises liées aux secteurs de la transformation des produits forestiers, tout en s’appliquant à faire connaitre les meilleures façons de construire au grand public par le biais d’un projet de recherche.

Richard Trempe a confiance que ces efforts concertés feront avancer les techniques de construction résidentielle au Québec. De son côté, il a encore de l'espace sur son terrain pour expérimenter et comparer de nouveaux systèmes et surtout, les présenter au plus grand nombre pour ensemble, les faire évoluer.

Le projet « Auvergne laboratoire vivant » est soutenu par la Société d’habitation du Québec (SHQ), par l’entremise du Programme d’appui au développement de l’industrie québécoise en habitation.

Équipe

Responsable du projet : Richard Trempe, architecte

Partenaire financier : Société d’habitation du Québec

Collaborateurs :

  • UL Science du bâtiment
  • LGT
  • PARTIE 5
  • Rd2
  • CT Consultants
  • Cégep du Vieux-Montréal
  • Soprema
  • NatureFibres