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La gestion des matières organiques, un passage obligé

16 août 2023
Par Cynthia Bolduc-Guay

L’heure est à la gestion des matières organiques dans les immeubles institutionnels, commerciaux et industriels. Mode d’emploi.

Les matières organiques constituent actuellement environ 30 % des matières résiduelles éliminées chaque année au Québec. Excluant les résidus du secteur agroalimentaire, RECYC-QUÉBEC estime à 504 000 tonnes le volume de matières organiques générées par les immeubles institutionnels, commerciaux et industriels chaque année, dont 92,3 % sont éliminées, ce qui représente 5,2 millions de tonnes d’équivalent CO2.

Conscient des efforts à déployer dans ce domaine, le gouvernement du Québec a lancé en 2020 la Stratégie de valorisation de la matière organique. L’objectif était ambitieux : offrir la collecte des matières organiques à tous les citoyens du Québec d’ici 2025, gérer les matières organiques dans les industries, commerces et institutions d’ici la même année et en recycler ou en valoriser 70 % en 2030.

Un vent de changement

Francis Fortin, président-directeur général de Stratzer, une entreprise spécialisée dans le développement de stratégies de récupération de matières résiduelles, est aux premières loges des changements dans ce domaine au sein des entreprises. « J’ai la chance de travailler avec des donneurs d’ouvrage qui font preuve d’innovation et qui souhaitent travailler en amont des réglementations gouvernementales », s’enthousiasme-t-il.

Il donne l’exemple d’Ivanohé Cambridge, avec qui il travaille à l’implantation de stratégies de récupération des matières organiques depuis plus de 12 ans. « Ce qu’on a fait, comme mettre en place la collecte des matières organiques il y a sept ou huit ans dans les centres commerciaux d’Ivanhoé Cambridge, de Cominar, Cadillac Fairview et autres, bien on le voit maintenant de plus en plus auprès des petits commerçants en bordure de rue et des PME. » Les programmes d’aide financière de RECYC-QUÉBEC ont grandement contribué à cet élan, selon lui, même si la pandémie a freiné les efforts dans ce domaine.

Le manque de main-d’œuvre et de temps au sein des entreprises ainsi que le coût de la collecte sont parmi les principaux blocages à la collecte des matières résiduelles. « L’avantage de l’initiative prise par certains des plus grands acteurs est qu’elle a ouvert la porte à une réduction des coûts de la collecte et à une diversification des offres de services », estime Francis Fortin, qui demeure conscient des enjeux pour les PME. Selon lui, beaucoup de sensibilisation et d’éducation restent toutefois à faire.

« Souvent, précise-t-il, on remarque qu’il y a simplement un manque de connaissances des travailleurs et citoyens. Les gens ont de la difficulté à différencier ce qui va de ce qui ne va pas dans un bac destiné aux matières organiques. Et c’est normal, car les matières acceptées dans la collecte au bureau sont souvent différentes de celles acceptées dans la collecte à la maison. »

Francis Fortin, Laurie Talluto et Karim Benani

Certains clients ont également peur de manquer d’espace pour ajouter la collecte des matières organiques dans leur organisation. « Ils ne réalisent pas que leur quantité de déchets diminuera : c’est simplement une réorganisation des bacs utilisés pour chaque collecte en place », explique Francis Fortin. Un problème qui peut souvent être réglé en redimensionnant leurs bacs.

Différentes stratégies possibles

Selon Francis Fortin, la première étape lorsqu’une entreprise souhaite implanter la collecte des déchets alimentaires consiste à valider l’engagement. « C’est important, parce qu’on veut des actions qui vont perdurer dans le temps », explique-t-il. Ensuite, il faut procéder à un échantillonnage afin de connaître les différentes matières organiques de l’entreprise et leurs volumes. Une étape qui permet parfois de constater qu’il est possible de réduire les déchets à la source.

Il faut également définir les objectifs et les enjeux de l’entreprise, déterminer les paramètres de la collecte afin de s’assurer que les entreprises de collecte répondent bien aux besoins en termes de fréquence et de volume à ramasser. « Une bonne communication avec les employés est essentielle afin de bien les informer et les sensibiliser », ajoute Francis Fortin, qui mentionne notamment l’importance de bien former, et de façon récurrente, le personnel de l’entretien ménager. Et une fois la collecte implantée, il faut s’assurer de mesurer sa performance par une étude de caractérisation des matières résiduelles afin de pouvoir apporter des améliorations au besoin.

Il existe plusieurs stratégies pour trier les matières organiques. Les stations de tri peuvent être à même les foires alimentaires, où les gens vont porter leurs cabarets, ou encore cachées. Dans ce dernier cas, soit les cabarets sont roulés directement à la station, soit tous les sacs de déchets sont réunis au même endroit pour le tri. « On ouvre littéralement tous les sacs un à un et des employés font le tri à la main », explique Francis Fortin. C’est d’ailleurs la stratégie préconisée dans plusieurs grands immeubles qui comptent plusieurs concessions alimentaires.

L’exemple d’ADM Aéroports de Montréal

 ADM Aéroports de Montréal s’est doté d’un objectif ambitieux : récupérer 70 % des matières résiduelles d’ici 2025 à YUL Aéroport international Montréal-Trudeau et devenir zéro déchet en 2030. Un défi de taille quand on sait que près de 56 000 personnes y transitent chaque jour et que ce nombre va en augmentant lors des périodes plus achalandées.

« Les gens entrent dans un environnement moins familier, ont aussi chacun leur propre niveau de conscience environnementale et sont souvent stressés par leur vol : on souhaite donc leur simplifier la tâche au maximum », explique Karim Benani, directeur adjoint Gestion de contrats pour ADM Aéroports de Montréal.

Les voyageurs peuvent ainsi retrouver des îlots de tri à trois voies un peu partout dans l’aéroport où ils sont en mesure de jeter leurs matières recyclables, leurs matières organiques ainsi que les déchets destinés à l’enfouissement. Mais question d’aller chercher le maximum de matières organiques, tous les sacs à poubelles sont également acheminés vers des stations intermédiaires de tri où ils sont ouverts et leur contenu trié. « On travaille aussi en étroite collaboration avec nos partenaires commerciaux afin de faire un tri à la source à même les cuisines des restaurants », indique Karim Benani.

Photos : Stratzer

Autre enjeu important : le manque de main-d’œuvre et le taux de roulement de celle-ci, qui font en sorte qu’il faut alors recommencer le travail de formation et de sensibilisation au bon tri des matières résiduelles. « Avec Stratzer, on a travaillé à mettre en place des incitatifs à la rétention des employés ainsi qu’un programme de bonification auprès de nos partenaires commerciaux et de nos concessions pour les remercier de leur contribution », souligne Karim Benani. L’automatisation est également dans la ligne de mire afin d’optimiser encore plus le processus de tri et d’avoir une capacité de traitement supérieure.

« C’est un travail d’équipe : on a plusieurs directions d’impliquées, renchérit Laurie Talluto, directrice adjointe Développement durable et climat sonore. Ça fait aussi plus de 20 ans qu’on a une politique environnementale en place. »

Fort de cette vision globale, ADM Aéroports de Montréal a également commencé cette année le remplacement progressif des articles à usage unique, dont les emballages, par des produits fabriqués à partir de fibres compostables. « On a travaillé avec le site de compostage pour s’assurer de ce qui était accepté et on vérifie nous-mêmes auprès de nos partenaires restaurateurs que leurs produits d’emballage répondent à nos standards », explique Laurie Talluto.

À ces mécaniques déjà en place s’ajoute aussi un programme de dons alimentaires pour la nourriture scellée à des organismes comme le Chaînon.

« Il faut avoir une vision claire et une culture d’entreprise qui place l’environnement au centre de ses intérêts, conseille Kari Benani. Il faut aussi s’assurer de la mettre en valeur dans ses baux afin d’avoir une implication de ses locataires. C’est important d’avoir une bonne communication avec eux et avec tous les employés afin de travailler en équipe. Si ADM Aéroports de Montréal peut y arriver, tout le monde peut y arriver aussi. »

Voir plus loin que le bac

Même si beaucoup reste à faire pour améliorer la collecte des matières organiques dans les entreprises, Francis Fortin croit qu’il est important de s’intéresser à la traçabilité. « Le problème est qu’on ne sait pas toujours ce qu’il advient réellement de nos matières », explique-t-il. Il n’y a ainsi aucune garantie à l’heure actuelle que les matières organiques récoltées vont bel et bien être acheminées au compostage, et dans certains cas, celles-ci peuvent tout de même se retrouver à l’enfouissement.

« C’est un non-sens de faire tous ces efforts si c’est pour arriver au même résultat en bout de ligne », se désole Francis Fortin, qui rappelle l’importance de bien questionner le collecteur afin d’éviter ce genre de situation.

Il rêve même déjà d’une plus grande valorisation de ces résidus qui pourraient être triés et recyclés selon leur type, comme le marc de café par exemple, afin de créer des produits à forte valeur ajoutée. Une avenue qui pourrait voir le jour dans quelques années lorsque le volume deviendra suffisant et que davantage d’acteurs participeront à la collecte. Il s’enthousiasme aussi des entreprises et initiatives comme Still Good, Loop et Tricycle qui travaillent à revaloriser les matières résiduelles organiques. « On a là un bel exemple d’économie circulaire », estime-t-il.