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Vers une intégration de l’aluminium axée sur le cycle de vie des bâtiments

9 août 2023
Par Cynthia Bolduc-Guay

L’intégration de l’aluminium dans le design des bâtiments durables est plus que jamais appelée à prendre appui sur l’ensemble du cycle de vie du matériau gris.

Soixante-quinze pour cent de tout l’aluminium fabriqué depuis 1888 dans le monde est toujours en circulation de nos jours, selon l’International Aluminium Institute. Cette impressionnante statistique est due à la nature même de ce matériau, qui ne perd pas ses propriétés mécaniques à la refonte, contrairement à d’autres métaux. Réutilisable à l’infini, l’aluminium offre ainsi de belles possibilités d’utilisation dans la construction de bâtiments plus durables.

Les avantages de recycler l’aluminium sont nombreux. Outre le fait évident que ce procédé permet de réutiliser la ressource, qui est non renouvelable, la diminution en termes d’énergie est également considérable. « Le recyclage de l'aluminium postconsommation permet une réduction de plus de 90 millions de tonnes de CO2 et de plus de 100 000 gigawatts d’électricité annuellement au niveau mondial, précise Danielle Coudé, responsable du chantier Valorisation et recyclage de l’aluminium d’AluQuébec, la Grappe industrielle de l’aluminium, qui a pour mission d’accroître l’utilisation de ce matériau au Québec. Le recyclage évite les émissions directes de gaz à effet de serre associées à la production d'aluminium primaire et jusqu'à 95 % des émissions liées à l'énergie. »

En 2050, selon certains scénarios de l’International Aluminium Institute, on prévoit même que 80 millions de tonnes d’aluminium seront produites à partir de matériaux recyclés, dont 68 millions à partir de déchets postconsommation.

« Certaines alumineries québécoises commencent même déjà à utiliser de petites quantités d’aluminium recyclé dans la production d’aluminium primaire. Cela a pour effet de diminuer l’empreinte carbone et la consommation d’énergie par kilogramme d’aluminium produit », mentionne Danielle Coudé.

Danielle Coudé et Julie-Anne Chayer. Photos : Gracieuseté

Le bâtiment : état des lieux

L’aluminium est de plus en plus utilisé dans la construction en raison notamment de sa durabilité et de sa légèreté. Pourtant, peu d’informations sont disponibles pour brosser un portrait précis du recyclage de ce matériau dans ce secteur, l’aluminium se retrouvant souvent mélangé avec d’autres métaux dans les études.

C’est pour mieux comprendre la situation et les enjeux reliés au recyclage de l’aluminium qu’AluQuébec a mis sur pied le chantier Valorisation et recyclage en 2019. Composé de représentants des différents maillons de la chaîne de valeur, ce comité multidisciplinaire cherche à boucler la boucle du cycle de vie de ce matériau en documentant le recyclage de l’aluminium au Québec, en évaluant son potentiel et en déterminant les bonnes pratiques afin d’optimiser le processus.

Les données recueillies par Groupe AGÉCO dans le cadre de ce chantier ont permis d’estimer que sur 15 000 tonnes de rebuts d’aluminium issus de la construction, rénovation et démolition (CRD), 80 % seraient actuellement recyclées. « Il y a également une ségrégation des métaux, principalement les cadrages de fenêtres, les murs-rideaux, les revêtements extérieurs, les gouttières, les rampes et les garde-corps. C’est souvent avantageux pour les ferrailleurs de les trier, de les conditionner et de les mettre en ballots séparément », explique Julie-Anne Chayer, vice-présidente de Groupe AGÉCO et membre du chantier Valorisation et recyclage de l’aluminium d’AluQuébec.

Une question d’alliage

Pour optimiser le recyclage de l’aluminium, deux éléments sont à considérer : la qualité du gisement (la source de l’aluminium récupéré) et la qualité du matériau. Chaque produit d’aluminium est composé d’un alliage précis selon les propriétés recherchées. Une canette n’aura donc pas le même alliage qu’un revêtement d’aluminium ou qu’une gouttière. D’où l’importance de s’assurer de bien trier l’aluminium lors de la démolition, surtout en considérant qu’il est souvent utilisé en combinaison avec d’autres matériaux dans le bâtiment.

« Il faut comprendre que la pureté de l’alliage est étroitement liée à sa valeur sur le marché, explique Danielle Coudé. Lorsque le tri par alliage est effectué adéquatement, l’aluminium secondaire obtenu à la suite de la refonte des produits peut ensuite être utilisé dans la fabrication de produits similaires ou même identiques aux originaux. »

C’est ce qui fait la force du système de consigne des canettes au Québec, qui est un excellent exemple de recyclage de l’aluminium. Trié à la source par le consommateur, l’alliage conserve ainsi sa pureté, permettant de le réutiliser dans la fabrication du même type de produit après la refonte de l’original. « Les importants recycleurs de canettes sont donc des entreprises de fabrication de feuilles d’aluminium qui vont être destinées principalement à la production de nouvelles canettes », précise Julie-Anne Chayer.

Elle explique qu’il est effectivement possible de recycler l’aluminium même si plusieurs alliages différents sont présents, mais que le résultat obtenu a une valeur moindre sur le marché en plus de ne pas pouvoir être réutilisé à l’infini comme les alliages purs. « C’est le cas notamment dans le secteur automobile, où l’aluminium est déchiqueté avec d’autres métaux comme du cuivre, du magnésium ou du nickel, produisant ainsi ce que l’on appelle du zorba. Un traitement de séparation est alors effectué pour obtenir des fragments d’aluminium, appelés twitch », précise Julie-Anne Chayer. Ce produit, qui peut contenir différents alliages d’aluminium, serait actuellement exporté vers l’Asie où il sera utilisé comme métal de refonte dans un produit qui sera encore plus difficilement recyclable. « On perd alors tout l’avantage de l’aluminium », ajoute-t-elle.

Autre défi : la quantité de matériaux pouvant être recyclée. Dans le cas du secteur du bâtiment, l’utilisation de l’aluminium demeure un très petit volume. « Quand on veut recycler l’aluminium, ça prend une grande quantité de matière, précise Danielle Coudé. Par exemple, au Québec, on génère environ 27 000 tonnes de canettes par année, ce qui représente environ un peu plus de 6 % de l’approvisionnement d’un laminoir de capacité annuelle de 500 000 TM.

Le recyclage de l'aluminium pose plusieurs défis.

Le secteur du bâtiment se distingue d’ailleurs par la plus grande durée de vie des produits en aluminium, qui peut s’échelonner sur 10 ou 20 ans, voire plus longtemps encore dans certains cas. Connaître la fréquence de disponibilité des produits en aluminium est essentiel afin de bien comprendre leur cycle de vie et d’optimiser leur récupération dans ce secteur.

Solutions circulaires

Si le Chantier d’AluQuébec est encore en pleine réflexion, quelques pistes de solutions commencent déjà à émerger afin de rendre l’industrie de l’aluminium encore plus circulaire. Parmi celles-ci, l’amélioration des méthodes de démolition et de tri, qui se butent toutefois à des enjeux de main-d’œuvre et de temps. La réparabilité de certains produits, par exemple, les fenêtres mises au rebut en raison de la fin de vie du joint d’étanchéité, peut également s’avérer une option intéressante dans le cas où l’aluminium est utilisé en mixité avec des matériaux.

« Les composites multicouches que l’on retrouve de plus en plus souvent dans certains produits risquent toutefois d’être plus difficiles à récupérer », estime Danielle Coudé.

Une autre avenue intéressante se dessine du côté de la conception même des bâtiments. Le design for disassembly, par exemple, permettrait une conception plus intelligente des produits basée sur la récupération en fin de vie de ceux-ci. Le Chantier souhaite ainsi réaliser une revue des meilleures pratiques en lien avec ce concept afin d’outiller les équipementiers fabricant des produits pour le secteur de la construction sur les meilleures pratiques à adopter dans la conception de leurs produits, question d’assurer une valorisation optimale de ces derniers en fin de vie.

« Le concept de design for adaptability est également pertinent à explorer, car il permet de prolonger la durée de vie du bâtiment en le rendant plus polyvalent par rapport aux besoins changeants des occupants », estime Julie-Anne Chayer, précisant que la durabilité des produits en aluminium se prête particulièrement bien à ce concept.