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8 avril 2011

Rencontre avec Lyse Mireille Tremblay, une pionnière de l’architecture durable pour qui toutes les raisons sont bonnes de faire un bâtiment durable. Pour autant qu’elles contribuent à améliorer l’environnement bâti au Québec.

Par Rénald Fortier

Le magasin Mountain Equipment Co-op de Montréal, le pavillon de l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, les Condos Wellington, le Faubourg Boisbriand, le siège social de Valeurs Mobilières Desjardins… La liste des réalisations durables auxquelles a été associée Lyse M. Tremblay pourrait se décliner encore longtemps. Et elle continue toujours de s’allonger avec sa participation à des projets verts tels ceux du Centre universitaire de santé McGill, de la Maison du développement durable, etc.

Une omniprésence qui n’a rien de surprenant quand on sait que cette architecte longueuilloise, qui est depuis longtemps interpellée par la santé et le bien-être des occupants des immeubles,  s’est entièrement consacrée au bâtiment vert depuis le tournant des années 2000, sinon avant. Au point désormais de passer outre une participation à un projet s’il est exempt de dimensions écologiques.

Il faut dire pionnière car elle a elle-même largement contribué à la promotion et à l’avancement du bâtiment vert au Québec. Non seulement par sa pratique, mais aussi par son engagement dans son milieu professionnel. Par exemple en s’activant au sein du Conseil du bâtiment durable du Canada et de sa Section québécoise, dont elle est membre fondateur. Ou encore en donnant des formations sur le système d’évaluation LEED, notamment, et en prononçant nombre de conférences portant sur le bâtiment vert.   

Loin de ralentir le rythme, Lyse M. Tremblay continue aujourd’hui de contribuer au verdissement en série de projets, tout comme à l’essor du bâtiment durable en sol québécois. En dépit de son agenda (sur)chargé, elle a généreusement accepté de répondre aux questions de Voir vert.

D’où vient votre intérêt pour le bâtiment écologique ?

Après mes études en architecture, à la fin des années 70, j’ai été plusieurs années à l’emploi du service des immeubles d’une grande entreprise industrielle. Ce fut une bonne école parce que ça m’a permis de voir comment les bâtiments étaient planifiés, construits et utilisés. Et aussi quelles étaient les préoccupations à l’intérieur de tout ça, notamment l’efficacité énergétique et les problèmes liés à la qualité de l’air. Quand j’allais dans les usines, j’avais parfois mal à la tête et de la difficulté à respirer. Je le vivais, c’était tangible et je me disais qu’il fallait faire quelque chose. Il y avait bien une conscientisation qui se faisait face à de tels problèmes, mais lentement. Moi, je voulais aller plus vite. C’est pourquoi j’ai quitté au milieu des années 90 pour fonder mon entreprise et œuvrer dans l’architecture écologique.

Aviez-vous l’impression de prêcher dans le désert à l’époque ?

Ce n’était pas nécessairement évident. Quand j’approchais les clients avec des considérations environnementales, on me regardait le plus souvent comme si j’arrivais d’une autre planète ! Mais quand je prenais le temps de leur expliquer les choses simplement, avec des exemples concrets et en leur disant que ça ne coûterait sensiblement pas plus cher, sinon pas du tout, certains se montraient ouverts pour adhérer à telle ou telle facette écologique du bâtiment. La rareté des produits et la réticence des entrepreneurs à les utiliser ne simplifiaient pas les choses à l’époque. Mais à partir du début des années 2000, la demande pour des projets verts a commencé à se développer tranquillement et depuis, je ne travaille que dans ce domaine avec mon équipe de collaborateurs.

Quel est le premier véritable bâtiment vert sur lequel vous avez travaillé ?

Ce n’était pas un, mais bien trois projets qui se réalisaient en même temps : le magasin de Mountain Equipment Co-op au Marché central de Montréal, où je faisais partie du consortium d’architectes ; les pavillons Lassonde de l’École Polytechnique, où j’agissais comme consultante LEED ; et le 740 Bel-Air réalisé par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, où je voyais au volet écologique. Et il y en a d’autres qui sont venus s’y greffer peu longtemps après, comme l’édifice administratif de la Ville de Montréal au 801 Brennan.

Quel projet s’est révélé le plus marquant pour vous à ce jour ?

Je ne peux pas en nommer qu’un seul, car les trois premiers ont été tout aussi marquants à mes yeux, chacun à leur façon. Tout était alors à faire et c’était l’occasion d’étudier et de comprendre dès le début des projets les stratégies qu’on allait appliquer. Ça demandait plus de recherche et l’établissement d’une méthodologie pour atteindre les objectifs visés. Le défi était d’autant plus grand qu’il y avait de la résistance de la part des entrepreneurs ; il fallait donc expliquer et réexpliquer, bref éduquer.

À combien de projets verts avez-vous collaboré jusqu’ici ?

À une quarantaine de projets de construction, d’aménagement intérieur et de développement verts, la plupart dans le secteur institutionnel, commercial et industriel. Du lot, près d’une dizaine sont aujourd’hui certifiés LEED et une douzaine d’autres sont actuellement en attente de l’obtention de la certification.

Un bâtiment doit-il nécessairement être certifié pour être vert ?

Le jour où les exigences de systèmes d’évaluation comme LEED seront intégrées à la réglementation, les certifications n’auront plus leur raison d’être ; les gens n’auront à ce moment d’autre choix que de s’y conformer. Mais on n’en est pas encore là. C’est pourquoi une certification comme LEED est importante, parce que ça donne un guide pour réaliser un projet et ça permet de contrer le greenwashing. Lorsque l’on fait un projet LEED, il faut faire la démonstration que l’on satisfait les exigences de la certification, preuves à l’appui. Si on veut faire simplement comme LEED, pour rencontrer l’esprit de la chose, la rigueur ne sera assurément pas la même et on n’ira pas aussi loin dans l’application des mesures écologiques.

Quelles sont les facettes du bâtiment durable qui vous interpellent le plus ?

Il est certain que je suis très sensible aux questions touchant la santé et le bien-être des occupants. Mais quand on fait un projet vert, il faut s’attarder à toutes ses facettes. Au début, ça commence avec des morceaux, mais il faut arriver à en faire un tout. Parce que tous ont une importance et une incidence, qu’elle soit directe ou indirecte.

Qu’est-ce qui vous irrite le plus quand on parle du bâtiment durable ?

C’est la perception qu’un bâtiment durable peut coûter plus cher, parce que ce n’est pas nécessairement le cas. Et même lorsqu’il y a une prime à la construction, il faut tenir compte des économies qui vont pouvoir être réalisées lors de l’exploitation de l’édifice. Puis on oublie parfois que certains immeubles qui ne sont pourtant pas verts coûtent cher à construire et à exploiter aussi. Les exemples ne manquent pas…

Comment abordez-vous l’accompagnement d’un projet LEED ?

D’abord, j’essaie toujours de comprendre les motivations des gens. Parce que le point de départ n’est pas le même pour tout le monde : il y en a qui veulent faire un projet LEED en raison de leurs convictions environnementales ; d’autres, davantage dans un esprit marketing. Évidemment, la plupart des gens veulent que ça coûte le moins cher possible. Alors je regarde avec le client si des éléments s’inscrivant dans LEED sont déjà inclus au programme et qui ne lui coûteront donc pas un sou de plus. Ensuite, je décortique avec lui la grille LEED en lui précisant pourquoi il devrait retenir tel ou tel crédit et combien il lui en coûterait. Le client est ensuite en mesure de prendre des décisions éclairées et, le plus souvent, il fait les bons choix.

Quelle est pour vous la clé de la réussite d’un projet LEED ?

Encore là, c’est d’être en mesure de bien cerner le sens de la démarche du client et ses besoins. De voir si c’est important pour lui l’efficacité énergétique, la gestion de l’eau, etc. Pour moi, il est primordial aussi de travailler avec lui dès le début et avec ses consultants s’ils sont déjà sélectionnés, puis ensuite avec l’entrepreneur. Parce qu’il faut s’assurer que tout le monde est sur la même page et comprend les rouages de la démarche. Puis de voir à les aider, d’autant plus s’il y a des membres de l’équipe qui n’ont pas d’expérience en matière de projet LEED.

Comment entrevoyez-vous l’avenir du bâtiment durable ?

On a fait un bon bout de chemin depuis le début des années 2000. Ça n’avance peut-être pas toujours aussi vite que je le souhaiterais, mais c’est bien parti. Le domaine institutionnel a donné le ton, notamment avec la SIQ et TPSGC au début. Du côté commercial, les entreprises adhèrent de plus au mouvement vert, souvent motivées par l’aspect marketing de la chose. Mais pour moi, toutes les raisons sont bonnes pour réaliser un projet vert. Que je souscrive à telle ou telle raison ou pas, ce n’est pas ça l’important. Ce qui est importe, c’est qu’il s’en fasse de plus en plus et que l’on continue de faire avancer les choses pour améliorer l’environnement bâti au Québec. C’est toute la société qui va y gagner au change.

 

Curriculum

 

Diplômée de l’école d’architecture de l’Université McGill en 1978, Lyse M. Tremblay entre sitôt à l’emploi du service des immeubles d’une grande entreprise du secteur industriel. Elle y demeure jusqu’en 1995, alors qu’elle ouvre son propre bureau d’architecture, en parallèle duquel elle greffera plus tard une autre entité corporative, Lyse M. Tremblay Éco-Architecture, notamment pour exercer ses activités de consultation et de certification. Professionnelle agréée LEED depuis 2003, elle est membre de l’Ordre des architectes du Québec, de l’Institut Royal d’architecture du Canada, de NCARB, du Conseil du bâtiment du Canada (CBDCa) et de sa Section québécoise, ainsi que du US Green Building Council. Outre la pratique de l’architecture durable et la prestation de services conseils en bâtiment vert, elle s’est engagée activement dans le milieu du bâtiment pour promouvoir l’architecture écologique et contribuer à son avancement.