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Vers des thermopompes à haute température

8 novembre 2023
Par Jean Garon

Les pompes à chaleur à haute température (PACHT) s’invitent dans la décarbonation des bâtiments au Québec, voire au Canada.

 

C'est bel et bien vers cette technologie que le centre CanmetÉNERGIE à Varennes a dernièrement orienté une partie de ses recherches pour accélérer la décarbonation des bâtiments fédéraux canadiens dans le cadre de la Stratégie pour un gouvernement vert du Secrétariat du Conseil du Trésor visant zéro émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050.

S’agit-il d’une nouvelle technologie ? Pas vraiment, selon l’ingénieur Frédéric Genest de CanmetÉNERGIE qui œuvre en appui de l’équipe d’Écologisation des opérations gouvernementales de Ressources naturelles Canada (RNCan). Il confirme qu’elle existe déjà en Europe et en Asie. Et sur le continent nord-américain ? Les États-Unis domineraient le marché, mais avec des pompes à chaleur « conventionnelles ». Il explique cette avancée des Européens par l’existence de réglementations plus rigoureuses pour la décarbonation des bâtiments, mais aussi plus permissives pour le choix de réfrigérants, ce qui aurait incité davantage les innovations dans ce secteur.

« Ici, par exemple, et sauf pour de très rares exceptions, il n’y a aucune thermopompe sur le marché qui peut fournir de l’eau chaude à 80 oC, déplore-t-il. Chaque fois que l’on est confronté à faire de l’efficacité énergétique et de la récupération de chaleur, il faut soit se trouver des usages à basse température ou rénover le bâtiment. Souvent, l’air neuf est le seul moyen utilisé parce que c’est facile de chauffer de l’air à 30 oC avec de l’eau chaude à 40 oC. »

Il explique que les pompes à chaleur de type conventionnel offertes au pays ne peuvent produire des températures plus hautes que 40 à 50 oC pour le chauffage. Seulement quelques refroidisseurs exceptionnels parviennent à monter la température jusqu’à 60 oC ou plus chaud avec la récupération de chaleur du côté chaud.

« Quand on a commencé à étudier le problème de la décarbonation, souligne-t-il, je me disais : ‘‘Ça ne se peut pas qu’il n’y ait aucune machine capable de produire de l’eau chaude à 80 oC quelque part’’. On a donc proposé un projet de recherche qui consistait d’abord à trouver les produits disponibles sur le marché qui pouvaient produire de l’eau chaude à haute température.

Les résultats de cette recherche ont été un peu surprenants. On a découvert qu’il existait en Europe des produits pouvant atteindre 80 oC du côté charge et qui peuvent fonctionner à des températures compatibles avec des systèmes géothermiques du côté source, soit autour de 0 degré et plus froid. On a trouvé l’une de ces machines et on l’a fait venir pour une mise à l’essai en laboratoire. »

Le chercheur estime qu’il serait ainsi possible de remplacer les chaudières par des thermopompes à haute température, ou PACHT, soit en géothermie, soit pour faciliter la récupération de chaleur entre des boucles d’eau glacée et des boucles de chauffage, ou peut-être combinées à des thermopompes à source d’air.

Solution pour les immeubles existants

L’application de la technologie des PACHT conviendrait surtout pour décarboner les immeubles commerciaux et institutionnels existants. Pas les immeubles neufs qui peuvent être conçus pour des nouvelles technologies écoénergétiques, avec des pompes à chaleur à basse température combinées à de la récupération de chaleur et des enveloppes de bâtiment plus performantes.

En fait, l’utilisation de PACHT peut être considérée comme un raccourci, pour ainsi dire, pouvant être mise à profit pour la décarbonation d’immeubles existants, permettant ainsi d’éviter ou de reporter certains travaux pour la mise à niveau d’un bâtiment. Frédéric Genest soutient que la spécification d’un tel projet est simple à faire et les travaux faciles à exécuter. Bref, qu’elle permettrait de décarboner un bâtiment plus rapidement et à moindres coûts, quitte à le rénover plus tard pour augmenter son efficacité énergétique.

L’ingénieur Roland Charneux, de l’équipe Solutions créatives chez Pageau Morel et membre du Réseau Énergie et Bâtiments, reconnaît que l’option de PACHT serait particulièrement avantageuse lorsqu’il s’agit de remplacer une chaudière. Et pour cause : « Ça permettrait de réutiliser les réseaux existants comme les conduits et radiateurs dans le périmètre des murs, lesquels sont déjà conçus pour fonctionner à des hautes températures, explique-t-il. Ce ne serait pas la même chose si on faisait l’inverse avec un système à basse température. Là, ce serait majeur parce qu’il faudrait remplacer les radiateurs, les serpentins dans les systèmes, donc ça serait très dispendieux.

« La solution des PACHT, poursuit cet ingénieur émérite, permettrait aussi de remplacer un refroidisseur en fin de vie utile pour assurer la climatisation, par exemple, en utilisant la chaleur du condenseur branché à un réseau existant pour le chauffage. »

Frédéric Genest et Roland Charneux. Photo : Gracieuseté

Il convient, par ailleurs, que cette technologie serait même applicable en exploitant la géothermie à l’aide d’échangeurs géothermiques et de boucles intermédiaires pour hausser progressivement la basse température source (au sol) par étape jusqu’à la haute température requise, soit de 0 à 30 degrés, puis de 30 à 80 degrés ou même plus.

Pageau Morel a déjà réalisé une telle installation dans un projet pour Mountain Equipment Coop, à Vancouver. C’est un projet en lien avec le réseau de chauffage urbain Neighbourhood Energy Utility pour le chauffage des bâtiments et de l’eau chaude domestique, ainsi que pour retourner au réseau la chaleur issue de la climatisation en été.

Roland Charneux n’hésiterait pas à recommander cette option aux propriétaires de bâtiments existants confrontés à la nécessité de faire des choix concernant la gestion de leurs équipements. Il peut s’agir de remplacer un équipement arrivé en fin de vie utile, d’améliorer davantage l’efficacité énergétique, ou simplement d’amorcer la décarbonation de leurs bâtiments. « Ce qui compte, conseille-t-il, c’est de bien analyser les installations existantes, leur performance énergétique, les possibilités de gain en efficacité ainsi que le ratio des coûts/ bénéfices à plus ou moins long terme. Et ce, sans négliger l’impact de la décarbonation de leurs bâtiments sur leur valeur dans le marché de la location ou de la revente. »

Décarbonation des réseaux d’énergie urbains

La pompe à chaleur à haute température constitue également une solution applicable pour les réseaux d’énergie urbains existants de 1re et 2e génération (à vapeur ou à eau chaude à haute température) modifiés en réseaux de 3e et 4e génération (à eau chaude à moyenne et à basse température). Frédéric Genest indique que leur décarbonation passerait par le remplacement de leur source d’énergie (du gaz naturel à l’électricité) et par l’abaissement de la température de leur eau ou vapeur. La thermopompe à haute température serait en mesure de produire de l’eau assez chaude pour alimenter les bâtiments en la puisant dans les boucles de chaleur des réseaux urbains.

« C’est très commun en Europe, dit-il. C’est ce que l’on observe aussi à Ottawa. Dans son plan de décarbonation, le réseau de chauffage urbain qui dessert le centre-ville prévoit passer de la vapeur à l’eau chaude à haute température, puis, éventuellement, à moyenne température. La cible du réseau est présentement de produire de l’eau chaude à 70 oC au lieu de la vapeur à 110 oC, ce qui signifie que les bâtiments devaient faire l’objet d’une rénovation pour pouvoir s’y raccorder. » À moins d’installer une PACHT entre le réseau et les bâtiments, auquel cas il ne serait plus aussi urgent de les rénover.

Outre les bâtiments des secteurs commercial et institutionnel, certains procédés industriels nécessitant de la très haute température pourraient aussi bénéficier de la technologie des PACHT. Selon l’étude de marché du centre CanmetÉNERGIE, cette option fait déjà l’objet de recherches prioritaires en Europe, tout en considérant l’étape transitoire nécessaire vers des nouveaux réfrigérants à faible potentiel de réchauffement global, moins inflammables et moins toxiques.

Développements à venir

L’implantation de cette technologie en Amérique du Nord pourrait se faire dans un avenir assez rapproché. À tout le moins, Frédéric Genest nourrit l’espoir qu’elle suscitera l’intérêt des intervenants du secteur bâtiment d’ici, en particulier celui des fabricants, pour trouver une façon d’importer de tels produits ou de les fabriquer sous licence pour le marché américain.

Et cela suppose d’autres développements à venir. À commencer par la compagnie mère européenne avec laquelle il a testé un de ses produits. Elle serait déjà en démarchage pour développer ses produits en conformité avec les normes nord-américaines. Selon lui, de tels produits pourraient apparaître sur le marché d’ici un an ou deux.

Par ailleurs, il s’attend à ce que la réglementation s’assouplisse d’ici 12 à 18 mois de façon à permettre l’utilisation de réfrigérants de type A2L et A2, ce qui n’est pas le cas en ce moment à cause de leur inflammabilité. À son avis, ça devrait s’harmoniser un peu plus avec l’Europe et, du même coup, ouvrir la porte à de nouveaux produits.

De son côté, CanmetÉNERGIE est présentement en démarche pour installer le modèle testé en laboratoire dans un bâtiment de RNCan comme banc d’essai pour la récupération de chaleur et le chauffage en hiver. L’équipement pourrait être installé et opérationnel d’ici un an.

Parallèlement, CanmetÉNERGIE préparera un outil d’aide à la décision à partir d’une dizaine d’études de faisabilité réalisées dans des bâtiments fédéraux et de modèles énergétiques. Les données recueillies en situation réelle serviront de base pour le développement d’un logiciel. Une fois conçu, l’outil permettrait d’analyser un bâtiment existant en comparant, par exemple, le rendement d’une PACHT avec celui d’une thermopompe conventionnelle. Il servirait également à évaluer les impacts des coûts/bénéfices énergétiques de la solution. Enfin, l’outil inclura une base de données des produits disponibles sur le marché pouvant être utilisés pour la modélisation d’un projet.

Les avantages
  • Accélération de la décarbonation d’un bâtiment
  • Limitation des interventions à la centrale thermique du bâtiment
  • Simplification de la gestion des équipements en fin de vie utile
  • Possibilité de reporter certains travaux majeurs de rénovation
  • Prolongation de la durée de vie de certains matériaux et équipements
  • Utilisation de la même source d’énergie déjà en place (électricité)
  • Planification améliorée de la consommation d’énergie
  • Obtention d’un coefficient de performance énergétique autour de 2 ou 2,5
  • Fonctionnement à l’année pour le chauffage et la climatisation
  • Rentabilisation de l’investissement minimalement à long terme
  • Ajout de valeur au bâtiment pour sa location ou sa revente
Les principaux obstacles
  • L’indisponibilité actuelle de produits conformes dans le marché canadien
  • L’absence de normes pour cette technologie dans les codes nationaux du bâtiment
  • Les produits réfrigérants autorisés au pays selon les normes de sécurité
  • La relative nouveauté de la technologie et de sa mise en pratique