CHRONIQUE DE BÂTIMENT DURABLE QUÉBEC
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Quantifier le poids écologique de nos réalisations à l’aide d’analyses de plus en plus rigoureuses est une chose, requestionner nos modes de vie et notre façon d’occuper l’espace en est une autre. D’où l’importance de revoir nos priorités.
L’analyse du cycle de vie (ACV) s’intéresse aux impacts environnementaux d’un bâtiment à chacune des étapes de sa vie, de l’extraction des matières premières nécessaires à sa construction jusqu’à sa démolition. Elle a pour objectif de mesurer l'empreinte écologique globale en considérant les ressources utilisées, les émissions produites (intrinsèques et opérationnelles), l’énergie consommée et les matières résiduelles générées.
Bien que l’ACV soit de plus en plus utilisée par les professionnels et exigée par les donneurs d’ouvrage, le manque de données fiables et exhaustives spécifiques concernant les matériaux, l’énergie, les émissions et les déchets pose parfois des problèmes. Obtenir ces informations précieuses peut s’avérer difficile, car elles proviennent généralement de diverses sources et de chaînes d'approvisionnement internationales, sans compter qu’elles sont parfois incomplètes ou obsolètes. Par conséquent, l'ACV doit souvent s’appuyer sur des moyennes ou des approximations, ce qui peut en limiter la précision.
Malgré ses imperfections, l’ACV demeure néanmoins un outil essentiel pour les acteurs du domaine du bâtiment, leur permettant entre autres d’identifier les choix de concept, de construction et d’entretien les plus durables. Il importe toutefois que la nature et l’ampleur des attentes exprimées par les futurs occupants soient elles aussi conséquentes avec le désir de minimiser le poids environnemental du parc immobilier. Sur cet aspect, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, notamment dans le secteur de la construction résidentielle.
Performants, mais trop gros
Selon Pierre-Olivier Pineau, auteur du rapport État de l’énergie au Québec 2024[1], l’augmentation soutenue de la superficie de plancher par habitant au cours des dernières années a annulé une grande partie des gains techniques qui nous avaient permis de rehausser l’efficacité énergétique de nos constructions. En dépit de nos « efforts » et de nos espoirs, nous voilà donc pratiquement de retour à la case départ. Concrètement, entre 1990 et 2021, la surface moyenne des logements (superficie de plancher) a augmenté de 23 % au Québec. Pendant la même période, le nombre de logements pour 1000 habitants a connu une hausse de 18 %. En bref, la superficie de plancher à chauffer et à climatiser augmente plus vite que la population, ce qui ajoute aux enjeux énergétiques et nous éloigne inévitablement de nos cibles environnementales.
Le rapport démontre aussi un écart important dans la consommation d’électricité entre les ménages les plus riches et les moins bien nantis. Ceux dont les revenus dépassent 150 000 dollars utilisent en effet 92 % de plus d’électricité en moyenne que ceux dont les revenus se situent sous les 40 000 dollars. Ainsi, ceux qui peuvent financièrement se le permettre surconsomment sans hésitation.
Les plus optimistes continueront de croire qu’un recours plus important aux énergies renouvelables nous permettra de contrer les répercussions environnementales de notre consommation sans avoir à diminuer significativement celle-ci. Mais soyons sérieux… Comme le mentionnent avec justesse Jean-Paul Boudreau et Valérie Levée dans un texte intitulé La tyrannie de la commodité! [2] : « La transition énergétique ne se réalisera pas sans une transition culturelle et d’ordre comportementale de notre rapport au confort. ».
Si quantifier le poids écologique de nos réalisations à l’aide d’analyses de plus en plus rigoureuses constitue indéniablement un progrès, il ne faut surtout pas perdre de vue qu’un tel mesurage n’est pas une fin en soi. Pour espérer atteindre nos cibles, il nous faut dès maintenant requestionner nos modes de vie et notre façon d’habiter les espaces, sans quoi nous continuerons à mesurer l’impact de projets qui seront bientôt insoutenables d’un point de vue environnemental.
* L’auteur est associé, directeur avant-garde et chargé de projet chez Coarchitecture, stratégiste du milieu de travail et spécialiste du confort de l’occupant, formateur à la Faculté des sciences et de génie de l’Université Laval et pour Formations Infopresse, ainsi que bénévole pour Bâtiment durable Québec (BDQ)