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Un des premiers toits végétaux au Canada livre ses secrets

15 avril 2020
Par Roxanne Miller*

Centre de formation en développement durable CHRONIQUE DU GROUPE DE TRAVAIL
SUR LES TOITURES VÉGÉTALISÉES

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Il est depuis longtemps accepté comme un fait établi que les toitures végétalisées doublent la durée de vie du système d’étanchéité sous-jacent. Pourtant, il y a peu de données techniques disponibles au Canada et ailleurs en Amérique du Nord qui corroborent ce fait, et nous ne pouvons que nous tourner vers certaines toitures recouvertes de végétation qui sont en place depuis des décennies afin de le valider.

Par exemple, les toits verts du Rockefeller Center à New York ont ​​toujours les mêmes membranes d’étanchéité qui ont été installées dans les années 1930. À Montréal, l’hôtel Bonaventure a un aménagement paysagé sur toiture, une terrasse accessible bien connue, qui remonte aux années 1960 et qui est encore aujourd’hui un espace magnifique, en dessous duquel le système de toiture n’a subi que des réfections mineures dans les années 1980 et qui ne touchaient pas l’étanchéité. Afin de procéder à une analyse des membranes d’étanchéité exposées et sous végétalisation et ainsi apporter des données techniques précises, nous nous tournerons vers un toit vert à Toronto installé il y a plus de vingt ans.

Le premier toit vert canadien documenté a été installé en 1998 sur le siège social de Mountain Equipment Co-op (MEC) au centre-ville de Toronto. Ce toit vert, initialement conçu dans une démarche durable et environnementale, n’était pas destiné à être accessible. Cependant, en autorisant les architectes et ingénieurs, entre autres, à visiter le toit, cela a permis de voir quelque chose qui était à l’époque une nouveauté. Et de faire de l’ensemble du concept de toiture verte une réalité palpable et pas seulement un concept étranger d’Europe impossible à réaliser ici, au Canada. La visite de ce toit a aidé à démystifier cette technologie et à la rendre plus accessible et démocratisée.

Un élément essentiel de toute construction architecturale réside sans aucun doute dans la protection contre les infiltrations d’eau. Parmi la gamme des technologies disponibles lors de la conception du MEC, le bitume modifié au polymère SBS (styrène-butadiène-styrène) a été préféré pour sa durabilité et sa flexibilité exceptionnelle à très basse température (la durabilité se définit ici comme étant la capacité des membranes d’étanchéité à maintenir leurs performances pendant une longue période lorsqu’elles sont exposées à diverses conditions météorologiques prévisibles). Bien sûr, la durée de vie des membranes d’étanchéité s’avère une hypothèse théorique, car elle est principalement influencée par la conception du système de toiture, un drainage approprié, l’utilisation du toit, une installation et un entretien adéquats.

Après 20 ans d’occupation, le bâtiment MEC a été vendu en 2018 à des développeurs qui prévoient ajouter des étages sur l’immeuble, détruisant du même coup la toiture. Nous avons eu la chance d’obtenir l’autorisation de monter sur le toit et d’effectuer un test de coupe de la membrane de toiture à la fois sur la surface exposée et sur la partie couverte de toit vert. L’analyse des échantillons a ensuite été effectuée pour évaluer comment le bitume et les différents composants de l’étanchéité ont évolué et se sont dégradés au fil du temps.

Analyse comparative de deux échantillons

Deux échantillons ont été prélevés. Un de ceux-ci provenait d’une portion de la membrane recouverte par la toiture végétale, alors que le deuxième provenait plutôt d’une partie adjacente non couverte par un toit vert, restant ainsi exposée aux éléments. Ces deux échantillons ont été testés et comparés à un troisième échantillon composé du même matériel d’étanchéité mais à l’état neuf, servant ainsi d’étalon test. Une fois les échantillons rendus en laboratoire, le bitume a été gratté sur chacun d’eux, dilué dans un solvant et passé dans une machine d’essai GPC (gel permeation chromatography). Une série de détecteurs aide à déterminer avec précision le poids du polymère élastomère SBS.

Cette évaluation nous permet de mesurer la décomposition des chaînes moléculaires, en d’autres termes, comment les caractéristiques SBS ont évolué au fil du temps de chaînes moléculaires longues à des chaînes très petites. Les tests GPC mesurent la longueur des chaînes polymériques de molécules. Lorsqu’elles sont exposées à des environnements agressifs, les chaînes polymères SBS se décomposent, entraînant une perte possible d’élasticité. Les tests ont été effectués sur les trois échantillons et ont ensuite été comparés pour évaluer la dégradation de la molécule SBS.

Les résultats des analyses montrent clairement que le toit vert protégeait l’étanchéité, car le SBS contenu dans l’échantillon prélevé sous le toit vert était pratiquement à l’état neuf, alors que celui provenant de la portion exposée montrait tous les signes de dégradation habituellement associés à une membrane de cet âge. Le test ne permettant malheureusement pas de donner une estimation précise d’un facteur de prolongation de la durée de vie de l’étanchéité, de dire que le toit vert double la durée de vie de celle-ci semble être une hypothèse très timide. Les résultats montrent clairement qu’après 25 ans, la partie couverte du toit MEC était presque exactement la même qu’une nouvelle membrane de bitume modifié SBS.

Vous trouverez au lien suivant l’article complet, comprenant la méthodologie et les détails des analyses :

https://www.nxtbook.com/dawson/greenroofs/lam_2020Spring/index.php#/0

Ce que l’on peut retenir de ces analyses, c’est qu’un toit vert protège bien l’étanchéité et que l’expérience réalisée sur le bâtiment MEC le démontre. De plus, ce toit vert a aidé à ouvrir la voie à de nombreuses autres installations et à normaliser cet élément dans la conception de l’enveloppe du bâtiment. Ce projet a de plus été un précurseur et a apporté un soutien indéniable pour l’adoption du règlement sur les toits verts de Toronto (Toronto Green Roof Bylaw) en 2009, ayant favorisé à ce jour l’implantation de plus de 560 000 mètres carrés de toitures végétalisées.

Depuis, de nombreuses villes ont suivi et adopté leur propre règlement ou incitatifs.  Les analyses effectuées ont été un excellent moyen de valider les avantages d’une imperméabilisation protégée par une toiture végétale. Nous pouvons maintenant clamer haut et fort cet avantage indéniable qui ne peut que s’ajouter à la longue liste des bénéfices que les toits verts apportent à un bâtiment, à ses occupants et à l’environnement urbain.


*Roxanne Miller est architecte paysagiste_Sopranature et membre du Groupe de travail sur les toitures végétalisées du CBDCa-Qc