Ériger des bâtiments aussi facilement et rapidement que des blocs LEGO ? C'est non seulement possible, mais ça peut aussi s'avérer très avantageux sur le plan du développement durable.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la construction industrialisée, aussi désignée sous le nom de construction préfabriquée, ne date pas d’hier. « Ça existe depuis le début du 19e siècle », indique d’entrée de jeu Carlo Carbone, architecte et professeur à l’École de Design de l’UQAM. Baignant dans la recherche sur ce domaine depuis 1996, il a été aux premières loges de l’évolution de cette industrie et de son histoire.
D’ailleurs, selon lui, on parle davantage de construction hors site de nos jours. « Ce type de construction consiste à fabriquer des fragments de bâtiments en usine pour ensuite être assemblés plus rapidement sur le chantier », explique-t-il. Un lien a même été établi entre l’effervescence de la construction hors site et les différentes crises historiques, comme les guerres, car ce type de construction offre plusieurs avantages au niveau de la rapidité d’exécution et des coûts.
Trois approches
Il faut comprendre que la construction hors site peut se faire de trois façons différentes. Il est d’abord possible de faire des composants préfabriqués (comme des fermes de toit), des panneaux (par exemple, des murs) et des boîtes, ou modules. Ces derniers font partie de ce que l’on appelle la construction modulaire volumétrique, qui inclut déjà un maximum d’éléments installés en usine, comme l’isolation, les systèmes mécaniques et électriques et les finitions intérieures. Il ne reste alors plus qu’à assembler les différents modules sur le chantier, comme des blocs Lego.
Selon Carlo Carbone, 90 % des entreprises dans le domaine de la construction hors site en Amérique du Nord font de la construction modulaire volumétrique. Toutefois, la grande majorité de ces entreprises sont surtout matures dans le marché des maisons unifamiliales, où ce système constructif a fait ses preuves. « Les entreprises essaient d’aller vers les multilogements, mais la capacité de production ne permet pas encore de répondre entièrement à la demande », explique le professeur, précisant que certaines entreprises font déjà des projets allant jusqu’à quatre étages.
Stéphan Langevin, architecte associé chez STGM architectes, qui reconnaît depuis longtemps les avantages de la préfabrication en bois, est d’avis que la construction modulaire a beaucoup de potentiel. Ayant travaillé sur le projet La Bouée, qui visait à uniformiser les plans entre usines afin de pouvoir construire des modules semblables destinés à un même chantier, il a même été mandaté par la Société québécoise des infrastructures (SQI) afin de créer une grille d’évaluation permettant d’identifier quel type de projet peut se prêter à quel type de système préfabriqué. « C’est un outil d’aide à la décision qui définit les types de construction préfabriquée avec leurs avantages et leurs inconvénients », explique-t-il, précisant que tous les projets présentant des éléments répétitifs, comme les écoles, les centres de détention et les logements sociaux, se prêtent particulièrement bien à la construction hors site.
Des avantages indéniables
Un des plus grands avantages de la construction hors site réside dans la construction en usine, de laquelle découle de nombreux bienfaits. « La construction se fait dans un environnement contrôlé et optimal, ce qui permet d’obtenir des composants et assemblages de meilleure qualité », explique Carlo Carbone. Il ajoute également la diminution des déchets dans ce type de construction, l’utilisation des matériaux étant optimisée le plus possible.
Aux yeux de Stéphan Langevin, la production en usine rend également l’industrie de la construction plus inclusive. « On n’y pense pas souvent, mais c’est beaucoup plus facile de travailler en usine que sur le chantier, ce qui ouvre la porte à plus de femmes, de personnes plus âgées et même de personnes à mobilité réduite », estime-t-il, rappelant du même souffle le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre. À cela s’ajoute le haut potentiel d’automatisation et de numérisation des processus.
Autre avantage : la diminution du transport, qui est un grand contributeur d’émissions de GES. En effet, les employés d’usine n’ont qu’à se déplacer à un seul endroit, et non pas à voyager d’un chantier à l’autre. Une fois prêts, les modules sont acheminés au chantier en un seul déplacement.
Mais ce qui rend la construction hors site si avantageuse consiste également à pouvoir effectuer plusieurs tâches en parallèle, à la fois en usine et sur le chantier. Cette approche non linéaire permet de sauver énormément de temps au final si le projet est bien planifié. « Normalement, sur un chantier traditionnel, on doit d’abord couler les fondations, puis monter les murs et les planchers, et ainsi de suite. Avec la construction modulaire, on peut fabriquer les modules en même temps que l’on coule la fondation sur le chantier », indique Carlo Carbone. L’assemblage sur le chantier se fait également très rapidement, parfois même en une seule journée, ce qui permet au bâtiment d’entrer en service plus rapidement.
Pour ce qui est des coûts de construction, Carlo Carbone croit que ceux-ci sont généralement similaires à ceux de la construction traditionnelle, mais qu’ils peuvent être moindres si les éléments utilisés sont très standardisés. « Il y a aussi toute une série de coûts qui ne sont pas nécessairement quantifiés dans l’industrie et qui peuvent entrer en ligne de compte », estime-t-il. Il donne en exemple la réduction des déchets et la possibilité de faire des profits plus tôt en raison de la réduction des délais de construction.
Différents matériaux, différentes solutions
Un des matériaux les plus utilisés en matière de construction industrialisée au Québec est sans contredit le bois. Carlo Carbone et Stéphan Langevin s’entendent pour dire que celui-ci a même un avantage écologique en raison du carbone intrinsèque qu’il renferme. « Par contre, il ne faut pas oublier que le bois est un matériau vivant : il a donc une moins bonne stabilité dimensionnelle que les autres matériaux, ce qui implique des détails, de la conception et de la gestion particulière », nuance Carlo Carbone. Stéphan Langevin est même d’avis qu’il s’agit du plus économique.
Selon le professeur de l’UQAM, les composants d’acier préfabriqués présentent un avantage du point de vue de la stabilité et de la performance, d’autant plus que la culture industrielle actuelle est très familiarisée avec ce matériau. Quant au béton préfabriqué, c’est surtout sa résistance au feu qui le rend intéressant. Carlo Carbone rappelle d’ailleurs qu’Habitat 67, à Montréal, avait été construit à l’aide de modules en béton. « Mais c’est un matériau très lourd, trois fois plus que le bois », soutient-il, ce qui rend le transport des modules plus difficile.
Une nouvelle solution a récemment fait son apparition dans l’industrie : des modules préfabriqués en aluminium. Le 14 février dernier, un immeuble à logements utilisant ce système structural a été érigé en une seule journée à Mont-Laurier. À terme, celui-ci comptera six logements abordables de type 4 ½. « L’acier aurait pu être utilisé, mais on aurait doublé le poids de la structure, de là l’idée de l’aluminium afin de pouvoir manier les modules plus facilement », explique Yves Archambault, ingénieur en mécanique pour le Centre d’expertise et d’innovation sur l’aluminium d’AluQuébec. À cela s’ajoute la durabilité de l’aluminium, qui n’est d’ailleurs plus à démontrer. L’ingénieur donne l’exemple de l’église de San Giacchino In Prati, à Rome, dont le revêtement de toiture en aluminium date de plus de 120 ans. Il précise toutefois qu’une attention supplémentaire doit être portée à la conductivité thermique lorsque ce matériau est utilisé de façon structurale.
AluQuébec travaille également au développement de murs individuels préfabriqués à assembler sur place. L’organisme vise ainsi à faciliter la construction dans le Grand Nord avec ce type de produit.
Défis et avenir
En raison de ses nombreux avantages, la construction hors site a certainement des chances de gagner du terrain dans les prochaines années. Selon Carlo Carbone, elle peut faire partie de la solution à la crise du logement actuelle, à condition de trouver le moyen d’augmenter sa capacité de production. Un élément sur lequel travaille le professeur de l’UQAM, notamment en favorisant la collaboration entre fabricants et en développant des plateformes standardisées. « Quand on dit qu’il faut construire 4,4 millions d’unités dans les prochaines années, c’est énorme ! », soulève-t-il.
Le type de bâtiments ayant recours à la construction modulaire pourrait également se diversifier. En consortium avec ACDF architecture, STGM travaille à élaborer les plans d’une nouvelle maison des aînés à Labelle, où près de 50 % du projet sera composé de modules préfabriqués, notamment pour les chambres. « C’est un projet intéressant puisqu’il va nous permettre d’analyser les avantages et inconvénients de ce système constructif dans un contexte public », estime Stéphan Langevin.
Le seul bémol : le transport, qui limite les dimensions des modules et des composantes préfabriquées. La standardisation des éléments constructifs peut aussi refroidir certains professionnels, mais Stéphan Langevin croit qu’un compromis est possible, surtout avec l’évolution des technologies numériques dans l’industrie qui permet davantage de personnalisation. « Ce type de construction va simplement encadrer la création de manière différente », conclut-il.
Les bénéfices de la construction modulaire sont indéniables : gestion des matières premières; qualité des travaux; rapidité d’exécution sur le chantier… Ce mode de construction joue un rôle clé pour accélérer l’accès aux logements au Québec et au Canada. Pierre Blanchet, titulaire de la Chaire industrielle de recherche du CRSNG sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) à l’Université Laval, observe que cette industrie est encore principalement composée de PME au Québec, ce qui entraîne une capacité limitée à offrir des unités. Actuellement, la capacité manufacturière est estimée à 2 000 unités d’habitation. Il reste donc beaucoup de marge pour la croissance dans ce secteur.
« Pour y parvenir, dit-il, l’industrie doit notamment normaliser ses processus, ses procédés, ses systèmes et ses matériaux. Elle doit également stabiliser ses opérations tout au long de l’année pour limiter les impacts de la saisonnalité de l’industrie de la construction au Québec et des ralentissements économiques. Elle doit donc être capable de maintenir une présence sur des marchés complémentaires comme l’Ontario ou la Nouvelle-Angleterre. »
Enfin, le système constructif modulaire est associé à des bénéfices environnementaux. Cet aspect est peu documenté, note Pierre Blanchet, bien qu’on puisse présumer une meilleure efficacité énergétique et une réduction générale du transport comparativement à la construction sur site. À l’ère des bâtiments durables, l’industrie de la construction modulaire doit donc également démontrer ses avantages environnementaux.
- Fabrication en usine dans des conditions optimales, ce qui augmente la qualité des éléments structuraux
- Plus grande efficacité de production, car possibilité de faire plusieurs tâches simultanément, ce qui permet ultimement de réduire le temps de construction
- Optimisation des matériaux (réduction des déchets et du gaspillage)
- Rapidité et facilité de montage au chantier
- Diminution des déplacements et du transport
- Composants préfabriqués (fermes de toit, planchers)
- Panneaux (murs, planchers)
- Modules