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Tirer profit des aquifères pour climatiser les bâtiments

12 janvier 2021
Par Vincent Rioux*

Regard sur le déploiement d’une recherche québécoise qui propose d’utiliser l’eau souterraine pour climatiser plus efficacement les bâtiments au moyen des systèmes géothermiques à boucle ouverte.

C’est bien connu, la climatisation traditionnelle des bâtiments, en rejetant l’air chaud à l’extérieur, accentue le phénomène des îlots de chaleur en milieu urbain. C’est pourquoi Jasmin Raymond, chercheur à l’Institut national de recherche scientifique (INRS), mène actuellement, avec son équipe, une démarche visant à évaluer le potentiel qu’offre le refroidissement géothermique en mettant à profit les aquifères.

Désigné sous l’appellation Aquifroid et déployé dans le secteur de l’écoquartier D’Estimauville, à Québec, ce projet de recherche s’articule autour de l’utilisation de l’eau souterraine pompée à travers les couches de matériaux géologiques pour éviter les rejets de chaleur de la climatisation dans l’atmosphère, tout en réduisant de 40 à 80 % la quantité d’énergie électrique requise pour refroidir les immeubles dans les centres urbains.

« Avec les changements climatiques, les besoins en climatisation vont nécessairement augmenter », observe Jasmin Raymond. Vis-à-vis ce constat, comment donc climatiser de façon intelligente? « Les pompes à chaleur géothermique sont une des méthodes possibles. L’idée, c’est de prendre la chaleur du bâtiment et de la rejeter dans le sol, plutôt que de la rejeter dans l’atmosphère en surface. La chaleur va se trouver stockée dans le sol et pourra même être réutilisée en hiver pour des fins de chauffage », propose le titulaire de la Chaire de recherche sur le potentiel géothermique du Nord.

Les systèmes géothermiques à boucle fermée installés en sol québécois fonctionnent principalement de la même façon : suivant des travaux de forage, on installe un tuyau de polyéthylène dans lequel circulera un fluide caloporteur permettant de faire l’échange de chaleur avec le sol. « Ce qui explique le succès de la boucle fermée, c’est qu’elle constitue une solution de chauffage dite clés en main, en plus de nécessiter moins de maintenance », explique le chercheur de l’INRS. Seul bémol, cette méthode est plutôt onéreuse à l’installation en raison des coûts associés au forage de puits.

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« Dans le cadre de nos recherches, nous souhaitons proposer une solution différente et offrant potentiellement un rendement supérieur à la boucle fermée. On veut se servir directement de l’eau souterraine afin d’alimenter les systèmes géothermiques qu’on dit à boucle ouverte, particulièrement pour les besoins en climatisation, poursuit le chercheur. L’idée est d’aménager des puits de pompage pour y injecter de l’eau souterraine, laquelle permettra de conserver une température de huit à dix degrés Celsius tout au long de l’année. »

Le principal avantage du système à boucle ouverte est qu’il nécessite beaucoup moins de forage. Habituellement, pour une boucle fermée, un forage de 150 mètres de profondeur est requis. « La nappe souterraine visée dans le cadre de nos recherches est située à seulement 30 mètres de profondeur. Il s’agirait donc de forages relativement superficiels pour alimenter un bâtiment en climatisation et en chauffage », révèle le spécialiste en géothermie.

Le recours aux systèmes géothermiques à boucle ouverte n’est cependant pas une rose sans épines. « C’est plus compliqué, il faut trouver, en milieu urbain, où sont les aquifères qui ont un bon potentiel », explique le chercheur de l’INRS. Ainsi, lorsque vient le temps d’installer un système géothermique à boucle ouverte, le terrain convoité fait foi de tout; il doit nécessairement avoir un bon potentiel aquifère. Ce ne sont donc pas tous les milieux qui se prêtent à cette méthode.

« À plus long terme, il y a aussi des risques de corrosion et de colmatage que le propriétaire d’un bâtiment doit bien gérer. C’est une solution qui s’applique bien aux plus gros bâtiments où il y a un minimum d’entretien qui est fait. »

Le secteur D’Estimauville, un milieu idéal ?

Pour passer de la théorie à la pratique, Jasmin Raymond et son équipe ont choisi le secteur D’Estimauville afin d’installer cinq forages qui ont permis de pomper l’eau souterraine située dans l’aquifère, de la chauffer puis de la réinjecter dans le sol dans le cadre d’un essai expérimental. Ce premier test a permis d’étudier l’effet de l’eau chaude dans le développement du panache thermique ainsi que d’évaluer le comportement des microorganismes.

La Vieille Capitale s’avère d’ailleurs être un beau terrain de jeu selon le chercheur. « Tout le secteur de la Basse-Ville, au nord de la rivière Saint-Charles, les quartiers Limoilou, Saint-Roch et jusqu’à D’Estimauville vers l’est sont des endroits à fort potentiel aquifère, car s’y retrouvent d’importantes couches de dépôts meubles. »

De surcroît, le secteur est considéré comme vulnérable aux îlots de chaleur, en plus de regorger de projets de construction. « Dans les dernières années, il y a des édifices qui ont été construits pour Environnement Canada. Des bureaux de Revenu Canada sont aussi installés là. Ça va amener beaucoup de résidents et de construction pour des tours à condos. C’est tout un secteur de Québec qui est en redéveloppement; d’ailleurs, la Ville est en voie de faire un écoquartier avec des habitations près des lieux de travail et des espaces verts. »

À terme, le but du projet est de démontrer qu’il y a un intérêt à utiliser l’énergie géothermique grâce à l’eau souterraine du secteur. Bien que le projet en soit seulement à sa deuxième année – il arrivera à terme en mars 2022 –, Jasmin Raymond a confiance que ce nouveau procédé de climatisation et de chauffage puisse un jour faire partie intégrante des bâtiments qui visent des normes environnementales de construction élevées, notamment pour la certification LEED.


*Avec la collaboration de Rénald Fortier