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26 juillet 2012
Par Léa Méthé*

La première tour de bureaux certifiée LEED-NC, niveau Platine, au Canada : la Place Manitoba Hydro.

Bâtir une tour 60 % plus efficace que la référence du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments (CMNÉB) dans les conditions les plus extrêmes du pays, c’est le défi qu’avait lancé Manitoba Hydro à l’équipe de conception de son nouveau siège social. Grâce au design intégré et à un soupçon de génie allemand, la Place Manitoba Hydro pulvérise aujourd’hui tous les records, tout en séduisant ses occupants.

À Winnipeg, la température peut monter jusqu’à 40 degrés Celsius l’été et descendre à -50  C l’hiver. Dans ce contexte, s’illustrer par une performance énergétique exceptionnelle nécessite d’innover dans le design autant que dans le choix des technologies. Forte d’expériences positives avec le processus de conception intégré, la direction de Manitoba Hydro a choisi cette approche.

« Nous avons sélectionné les membres de l’équipe selon des critères très rigoureux et avons cherché à exploiter les synergies en les faisant travailler ensemble, dit Tom Ackerstream, gestionnaire du bâtiment et expert en énergie lors de la conception. Il ne s’agissait pas de design par consensus, mais bien de créer des combinaisons desquelles émergent de nouvelles idées. »

Manitoba Hydro a acquis en 2002 son dernier rival en production et distribution d’énergie en sol manitobain, Winnipeg Hydro, jusqu’alors une propriété de la Ville de Winnipeg. La vente était conditionnelle à ce que Manitoba Hydro s’engage à bâtir son siège social dans la capitale provinciale et à y regrouper les employés disséminés aux quatre coins de la ville.

Loin de s’en tenir à cela, la société d’État s’est engagée à livrer des espaces de travail de qualité supérieure et un design architectural exceptionnel, tout ça en réalisant la tour de bureaux la plus performante sur le plan énergétique en Amérique du Nord. Le bâtiment de 64 000 m2 s’élève sur 22 étages au centre-ville de Winnipeg et héberge quelque 2 000 employés depuis 2009.

« Pour démontrer que vous bâtissez la tour la plus efficace en Amérique du Nord, vous devez commencer par concevoir les espaces les plus intéressants où travailler. Il n’y aurait pas de quoi se vanter d’avoir construit un truc scellé et obscur comme une glacière, illustre Tom Ackerstream. Ce que nous avons aujourd’hui, c’est un bâtiment lumineux et aéré, qui vit et qui respire. » La clé du succès, à ses yeux, est d’avoir minimisé le recours aux systèmes mécaniques en misant plutôt sur les solutions passives.

En premier lieu, la forme triangulaire de la tour permet de présenter un maximum de surface au sud et de limiter l’exposition franc nord. Aussi, l’enveloppe des façades est et ouest est constituée d’un mur rideau double peau permettant la ventilation naturelle pendant l’entre-saison. La paroi extérieure est composée de vitrage double et de sections ouvrantes actionnées grâce à un système de contrôle central. Les fenêtres de la paroi intérieure, distante d’un mètre de la première, peuvent être ouvertes — ou fermées — par les occupants.

« Il y a des milliers de senseurs et de points de contrôle dans ce bâtiment, note Tom Ackerstream. Ce n’est pas tant pour mesurer l’énergie utilisée que pour optimiser les systèmes en vue du confort des gens. Même par -34  C le bâtiment risque de surchauffer si les écrans solaires ne sont pas déployés. »

Du côté sud, trois atriums de six étages chacun agissent comme zones tampons pour conditionner l’air extérieur, en plus d’être des lieux d’échange et de socialisation. Surnommés les « jardins d’hiver », l’air extérieur y est préchauffé par le gain solaire avant de pénétrer dans les bureaux. En période de refroidissement, des écrans contribuent à conserver la fraicheur.

On trouve aussi dans les atriums des fontaines vouées à réguler l’humidité ambiante ; l’eau refroidie assèche l’air en faisant condenser l’humidité alors que l’eau plus chaude s’évapore dans la pièce. Du côté nord, la cheminée solaire de 377 pieds crée une tire qui extrait naturellement l’air chaud. En période de chauffage, l’air vicié est évacué par des ventilateurs récupérateurs de chaleur situés à la base de la cheminée.

En toutes saisons, 100 % de l’air diffusé provient directement de l’extérieur. Lorsque la température le permet, l’ouverture des fenêtres fait pénétrer la brise du sud dans les étages à aires ouvertes. Autrement, l’air neuf est tempéré dans les espaces intermédiaires avant d’atteindre les bureaux par un plénum. La climatisation de la dalle par un circuit de fluide glycolé permet d’atteindre la température ambiante voulue par l’effet radiant. Entre 50 et 60 % des besoins en chauffage et 100 % de la climatisation sont assurés par l’installation géothermique comptant 280 puits d’une profondeur de 400 pieds.

« Nous avons basé toute notre conception sur les meilleures pratiques, dit Tom Ackerstream. Nous visions la certification LEED-NC, niveau Or, et nous avons atteint le niveau Platine simplement en procédant selon ce qui nous semblait être la meilleure manière de bâtir. »

 Design intégré

Si cela parait simple, c’est plutôt le fruit d’une initiative de conception intégrée menée avec doigté par la firme Prairie Architects, chargée de la certification LEED, et de l’animation des rencontres. « C’est une tâche extrêmement importante lorsque vous avez 30 personnes à la même table. Le design final intègre les solutions retenues dans une synthèse magistrale signée Bruce Kuwabara. »

« C’est exceptionnel de travailler sur un projet mené par un groupe portant une telle vision, dit Bruce Kuwabara, architecte responsable du projet et associé de la firme torontoise KPMB. Selon lui, Manitoba-Hydro avait pris de bonnes résolutions relativement à ce bâtiment avant même d’engager des consultants, dont celles de fixer des objectifs de performances énergétiques ambitieux, de bâtir au cœur du centre-ville et de réaliser les analyses financières sur un horizon de 40 ans.

« Le fait d’avoir un consultant allemand en génie climatique dans une équipe constituée de Canadiens a également fait une immense différence, ajoute-t-il. Les Européens ont 20 ans d’avance sur nous en matière d’énergie. Leur recherche de solutions est animée par un sentiment d’urgence que nous ne ressentons pas encore, notamment à cause de la différence dans le prix de l’énergie. »

Si tous les candidats disposaient des mêmes données climatologiques, le consultant TransSolar s’est distingué en relevant les éléments uniques à la situation du bâtiment et les manières d’optimiser les systèmes en tenant compte des particularités locales. À la différence de ses concurrents, la firme dispose aussi d’un logiciel maison qui permet de modéliser facilement l’effet des fenêtres ouvrantes, de la ventilation naturelle et des autres solutions passives.

Alors que les membres de l’équipe de design exprimaient leurs doutes par rapport à l’intégration de solutions aussi inusitées, le consultant aurait eu cette observation typiquement allemande : « Si tout est exécuté correctement, cela fonctionnera. Ce sont les lois de la physique », relate Bruce Kuwabara en rigolant.

Les différents systèmes, comme le mur-rideau et la cheminée solaire, sont complètement intégrés au design. «  Il n’y a pas beaucoup de rhétorique architecturale dans le design final. Certains éléments ont une symbolique discrète, mais même les plus jolis détails ont avant tout une fonction. La beauté de ce bâtiment, c’est la combinaison de la performance et de l’esthétique. Ça vous force à reconsidérer vos critères. »

S’il a incorporé toute cette science avec enthousiasme, Bruce Kuwabara a aussi insisté pour travailler sur la convivialité du lieu. Rejetant l’option classique du bâtiment en forme de beigne et des inévitables déplacements en ascenseur, KPMB a plutôt divisé la tour en trois « voisinages verticaux », dont les étages sont accessibles en empruntant de spectaculaires escaliers architecturaux.

« Winnipeg est un endroit très froid et nous ne voulions pas d’un bâtiment froid au sens psychologique du terme, souligne l’architecte torontois. Nous avons utilisé les espaces communs, les matériaux chauds comme le bois ainsi que des touches de couleur pour insuffler une certaine chaleur. »

Après trois ans en fonction, Place Manitoba Hydro tient promesse et va au-delà de ce qui avait été projeté avec l’obtention de la certification LEED Platine et un rendement énergétique 68 % supérieur aux spécifications du CMNÉB. « Ça ne fait aucun doute qu’il s’agit de la tour la plus efficace en Amérique du Nord, conclut Tom Ackerstream, de Manitoba Hydro. Maintenant, j’espère bien que les autres aspirants au titre sont sur nos talons. Être battus sur ce point, ce serait la véritable mesure de notre succès. »

* Léa Méthé est chargée de projets chez Écobâtiment

Technologies écoénergétiques
  • Murs-rideaux double peau avec vitrage double pour la paroi extérieure et simple pour la paroi intérieure.
  • Sections de murs-rideaux ouvrantes pour la ventilation naturelle.
  • Contrôle du gain solaire à l’aide d’écrans solaires automatisés.
  • Cheminée solaire de 377 pieds et ventilateurs récupérateurs de chaleur.
  • Installation géothermique de 280 puits de 400 pieds répondant à 60 % des besoins en chauffage et à 100 % des besoins en climatisation.
  • Chaudière au gaz naturel haute efficacité pour combler les besoins en chauffage.
  • Zones tampons avec contrôle du gain solaire, préchauffage et mesures de régulation de l’humidité pour tempérer l’air neuf.
  • Dalles radiantes pour le chauffage et la climatisation des espaces de bureaux avec boucles glycolées.
  • Système immotique pourvu de milliers de sondes et senseurs permettant d’optimiser les systèmes mécaniques et les systèmes passifs en fonction des conditions intérieures, des préférences des usagers et des données météorologiques saisonnières.
  • Éclairage T5-HO avec senseurs de détection de présence.

 

Performances mesurées
  • Consommation énergétique 60 % moindre que le standard établi par le Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments.
  • Circulation d’air neuf à 100 %, aucune recirculation.
  • 85 % de la surface intérieure reçoit de l’éclairage naturel.
  • 100 % des eaux de pluie tombant sur le bâtiment sont acheminées vers un réservoir et utilisées pour l’arrosage.
  • Utilisation de l’eau potable : 134 l/m2/an.
  • 65 % des déplacements effectués en transports collectifs, 5 % à pied ou à vélo, 3 % en covoiturage.

 

Mesures durables
  • Processus de conception intégrée et sélection rigoureuse des consultants.
  • Localisation urbaine sur l’artère commerciale principale de Winnipeg ; le site est près des services et bien desservi par les transports collectifs.
  • 151 espaces de stationnement pour 2 100 occupants ou visiteurs.
  • Aménagement d’un parc à l’extrémité sud du terrain.
  • Orientation en fonction du gain solaire, de l’apport en lumière naturelle et de la direction de la brise.
  • Contrôle de l’humidité à l’aide de fontaines ou « rideaux d’eau ». L’eau traitée circule en circuit fermé le long de 280 rubans de mylar, une pellicule plastique recouverte d’aluminium, d’une hauteur de 24 mètres installés dans les atriums orientés côté sud. Le mode humidification ou déshumidification est déterminé par l’écart de température entre l’air ambiant et l’eau circulée.
  • La majorité de la surface du basilaire est recouverte d’un toit vert. Celui-ci est divisé en quatre quadrants selon la végétation appropriée pour l’orientation.
  • Organisation de l’espace intérieur en « voisinages verticaux » reliés par des escaliers visant à encourager l’interaction et la proximité entre les équipes de travail.
  • Etc.

 

Équipe du projet

Client : Manitoba Hydro

Architecte principal : Kuwabara Payne McKenna Blumberg Architects (KPMB)

Architecte exécutif : Smith Carter Architects

Génie climatique : Transsolar Energy

Génie mécanique et électrique : Earth Tech Canada

Consultant LEED : Prairie Architects

Entrepreneur général : PCL Constructors Canada