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12 octobre 2012

La Suède est un modèle pour l'industrie québécoise de la construction durable. Mais au-delà des méthodes et technologies employées dans les bâtiments, c'est de ses institutions publiques dont le Québec ferait bien de s'inspirer. Portrait du modèle suédois en direct de Stockholm, au-delà du 59e parallèle.

En construction, on réfère à la Suède comme aux autres pays scandinaves : des exemples pour leurs bâtiments solaires passifs et pour l’art de vivre nordique des habitants. On les imagine blonds, courtois et aussi élégants que leur mobilier et leurs bicyclettes. On se souvient même d’avoir aperçu le pays et ses voisins en tête de liste pour l’efficacité du système public, le niveau de vie moyen ou même la réduction des émissions de GES. On s'est également fait la réflexion qu’ils devaient être effroyablement taxés et imposés.

La Suède est membre de l’Union européenne depuis 1995. Plusieurs des lois et des règlements nationaux en construction prennent donc leur source en tant que directive continentale. Et c’est tant mieux, car l’Europe est proactive en matière de construction verte et de réduction des GES pour le secteur. À l’heure de la globalisation, la Suède choisit toutefois d’être un des pays les plus décentralisés au monde. De 15 à 20 % du revenu des citoyens est prélevé par les municipalités et autour de 10 % est retenu par la grande région. Si on ajoute à  cela la part de l’État, dont les budgets sont surtout issus des taxes de vente, corporatives et spéciales, on en souffre pour les poches des contribuables. Pourtant, la majorité semble ici heureuse de faire sa part.

La santé et l’éducation sont gérées localement, tout comme l’aménagement des villes, des villages et de leurs parcs immobiliers. C’est là une différence fondamentale avec notre modèle publique. Quand la petite municipalité de Borgholm a offert un incitatif financier pour la construction de bâtiments durables satisfaisant les critères Passivehaus, elle en avait à la fois la compétence et les pouvoirs. Et on lui faisait confiance. Imaginez le rapport entre des citoyens bien informés et consultés et des fonctionnaires compétents investis d'un réel pouvoir décisionnel...

Les neuf millions de Suédois occupent un grand territoire divisé en 21 régions administratives (Län) et 290 municipalités (Kommune). Depuis 1983, 84 d’entre elles ont pris des engagements formels de développement durable à titre d'écomunicipalités, allant de petites bourgades comme Övertonea à la capitale Stockholm. En vue de standardiser les bonnes pratiques, 21 professionnels sont chargés de coordonner la participation au sein de l'Association suédoise des ecomunicipalites. Un conseil d’administration formé de 12 politiciens, quatre pour chacune des trois grandes régions de la Suède, s’adjoint neuf coordonnateurs. Cette petite équipe met la table et assure un transfert de connaissance pour les joueurs les plus innovants du réseau public, de l'industrie et des universités ( http://www.instituteforecomunicipalities.org/).

La charte votée par l’administration d’une écomunicipalité s’inspire toujours des principes bien suédois du Natural Step pour établir des objectifs mesurables de développement durable. Contrairement à une approche par projet, les principes environnementaux, sociaux et économiques sont intégrés en amont du processus de décision pour toutes les interventions municipales.

C’est l’occasion de se fixer une cible de réduction des GES et de performance énergétique pour tous les bâtiments neufs et rénovés du parc municipal. Dans la plupart des cas, le standard Passivehaus, développé lui aussi en Suède et commercialisé en Allemagne et en Autriche, est utilisé comme objectif à moyen terme. Ces initiatives locales démontrent à nouveau l’efficacité de la décentralisation des pouvoirs, car elle renforce notamment ceux dont la municipalité a besoin pour dynamiser la construction et la rénovation de bâtiments écologiques à grande échelle.

Karlskrona, réserve de la biosphère de l’UNESCO, a maintenant en commun avec une banlieue de Stockholm comme Huddinge de s’être fixé des règles de construction durable. Pour obtenir un permis de construire en zone riveraine, par exemple, un promoteur doit démontrer que son bâtiment est à l'abri des crues centenaires et adapté aux changements climatiques. Prudentes, les écomunicipalités suédoises se préparent pour une hausse du niveau de la mer de 2 mètres.

À plus petite échelle, on constate aussi la multiplication des écovillages, qui sont autant d’occasions de réinventer l’architecture, la construction et l’urbanisme durables. Plusieurs d’entre eux sont le fruit d’un Bomässa, un événement annuel qui prend la forme d’une expo-concours et qui permet aux professionnels de l’industrie d’expérimenter et de documenter leurs idées sur un nouveau quartier. La plupart des projets pilotes Bomässa font école aujourd’hui, comme celui de Bo01 à Malmö en 2001 et celui de BoStad02 à Hammarby Sjöstad en 2002.

Le quartier Bo01 de Malmö contraste avec la partie historique médiévale de cette ville de cols bleus près de la frontière danoise. On y a modernisé la façon de construire en ville, mais aussi la manière d’intégrer les bâtiments comme autant de cellules d’un aménagement de quartier durable. Les appartements de l’immense tour phare torsadée ne sont pas pour toutes les bourses, mais on s’arrache les maisons de ville et les jumelés. Le banc d’essai est ici est suffisamment concluant pour inspirer de grands chantiers de quartiers verts comme Ekostaden Augustenborg, un des plus gros investissements européens pour la réfection écologique d’un quartier existant.

BoStad02 à Hammarby Sjöstad est le plus large projet de construction urbaine à Stockholm. Lorsqu’il sera complété en 2017, 26 000 résidents occuperont ici les 11 500 appartements aux différentes teintes de vert. Bien que les objectifs de performance énergétique des bâtiments ne soient pas atteints par la Ville, Hammarby demeure une source d’idées neuves et nordiques à l’internationale. La Ville de Québec s’en est d’ailleurs inspirée pour les grandes lignes de ses projets d’écoquartiers (Pointe-aux-lièvres et d’Estimauville).

L’expérience de BoStad02 fait déjà place à une approche écologique encore plus stricte et cohérente pour le prochain grand chantier, le Stockholm Royal Seaport. Quelque 10 000 habitations et 30 000 bureaux y seront construits d’ici 2025, avec comme objectifs généraux une indépendance aux combustibles fossiles d’ici 2030 et un impact positif des bâtiments sur l’environnement immédiat et le climat.

Compte tenu du modèle communautaire et des principes d’égalité locaux, on s’attendrait à voir un grand pourcentage de logements sociaux à l’intérieur de ces projets de quartiers et de petites villes. Et pourtant, le concept de logements social n’y est pas retenu. C’est plutôt la municipalité, à travers une grappe de compagnies publiques à but lucratif, qui achète, rénove et offre à profit des logements abordables de qualité. Et les réussites du secteur public déteignent sur les bonnes pratiques d’affaires du secteur privé.

En marchant dans les rues de Stockholm comme d’une plus petite ville de Suède, un détail retient l’attention de celui qui s’attarde aux chantiers de construction : les roulottes des entrepreneurs. Propres, sobres et intégrées dans l’espace urbain ou rural, elles sont à l’image du souci généralisé de contribuer positivement au paysage. Et ce souci du détail, on le retrouve très souvent sous la forme d’une responsabilisation corporative.

Prenons l’exemple de la compagnie Karhrs, un des gros joueurs mondiaux de la fabrication de planchers de bois d’ingénierie. Son usine de la petite ville de Nybro, située aux abords d’une forêt immense, se targue d’être un citoyen exemplaire depuis ses débuts en 1857. En la visitant aujourd’hui, on remarque l’effort investi pour minimiser l’impact du bruit, des odeurs et de la poussière sur le voisinage. Et ce souci se traduit jusque dans le choix de la matière première. En 2011, Karhrs annonçait l’achat des premiers conteneurs de bois certifiés à la fois FSC et Fairtrade, une certification hybride et surprenante (http://fairandresponsibleforestrytrade.blogspot.se/2011/11/kahrs-debuts-first-fscfairtrade.html)

Skanska n’échappe pas au modèle civique suédois. Reconnue comme un des plus grands entrepreneurs en construction au monde, la compagnie se vante d’avoir un programme de développement durable strict et ambitieux. Sa marque de commerce DeepGreen met l’accent sur l’impact carbone positif d’un bâtiment sur sa communauté. Pour un entrepreneur général, c’est un discours assez progressif

(http://www.skanska.com/en/sustainability/our-journey-to-deep-green/).

Des citoyens avisés à l’esprit communautaire, des entreprises responsables et engagées, des municipalités compétentes et imputables. Les actions sont prises ici localement, dans un esprit global de développement durable, avec l’argent des citoyens du coin qui le surveillent comme on le fait avec un investissement. Plutôt que d'être à couteaux tirés avec leurs institutions, les Suédois s'engagent auprès d'elles et participent à les orienter. Même leurs frustrations s'expriment de manière constructive comme en fait foi ce proverbe : « Quand nous sommes en colère, nous démarrons immédiatement une nouvelle association citoyenne. »

Il s'agit d'un investissement bien dirigé grâce auquel on mange sain dans des écoles de plus en plus mixtes. On brûle du biogaz sur de belles routes élégamment partagées avec les cyclistes et les trains Bombardier. On peut se baigner au centre-ville de Stockholm avec un drysuit ou du sang viking. Un investissement qui rend les bâtiments plus verts, performants et confortables sans certification ni logo.

Par Léa Méthé et Mathieu Caron

Ce texte a été rédigé dans le cadre d'une mission de recherche en Suède organisée en collaboration avec LOJIQ.