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Cap sur l’optimisation de l’enveloppe thermique des bâtiments

23 février 2021
Par Jean Garon

L’enveloppe est plus que jamais au cœur des enjeux écoénergétiques dans le milieu du bâtiment au Québec. Cap sur l’optimisation de sa résistance thermique.

Dans un peu moins d’un an, les concepteurs de bâtiments devront tous appliquer les exigences de la nouvelle réglementation sur l’efficacité énergétique. Et plus particulièrement en matière d’isolation et d’étanchéité de l’enveloppe. Certains s’y affairent déjà et profitent de la période transitoire pour se faire la main et changer leurs pratiques.

François Lalande, technologue en architecture et vice-président du Conseil de l’enveloppe du bâtiment du Québec est le premier à le reconnaître : « Depuis 1983, on s’est assis sur nos lauriers. À l’époque, le Québec innovait en proposant de nouvelles valeurs d’isolation, mais on s’est fait dépasser avec le temps. Dans le fond, dans certains cas la performance énergétique des murs était de 50 à 60 % moins bonne que la valeur théorique en ne tenant pas compte des ponts thermiques », constate aujourd’hui celui qui est également directeur, Développement commercial chez Huntsman Solutions Bâtiments.

« Les moyens prescrits dans la nouvelle réglementation en matière d’isolation et d’étanchéité de l’enveloppe sont bons, affirme Yan Ferron, ingénieur associé chez Pageau Morel. Même si le nouveau règlement est environ 30 % plus exigeant que celui en vigueur depuis 1983, ça reste des valeurs minimales de la moins bonne construction que l’on peut faire en comparaison avec ce qui se fait de mieux dans les projets de maisons passives, de bâtiments à consommation d’énergie nette zéro et des programmes de certification environnementale. »

François Lalande et Claudio Bardetti

« Une des modifications majeures apportées au nouveau Code 2015 modifié, indique pour sa part Claudio Bardetti, directeur technique et consultant chez UL Science du bâtiment, c’est l’ajout de tableaux prescriptifs où les valeurs d’isolation sont augmentées de même que la performance des systèmes de fenestration. Chiffre par chiffre, ça n’a pas l’air si énorme, mais c’est plus exigeant dans la façon de les calculer. Même chose lorsqu’il s’agit de calculer la résistance thermique effective de l’enveloppe en tenant compte de la plupart des ponts thermiques que l’on retrouve dans les compositions de nos enveloppes. »

 « Une des faiblesses du nouveau Code, ajoute-t-il, c’est de ne pas exiger un test d’infiltrométrie à la fin de la construction du bâtiment. » Néanmoins, il acquiesce le fait que des spécifications de matériaux et de systèmes pare-air testés en laboratoire sont introduites dans le Code pour donner une idée plus claire de leur étanchéité, avec des taux d’infiltration et d’exfiltration pour tous les éléments entrant dans la composition de l’enveloppe, incluant les accessoires qui la pénètrent.

Le technologue sénior en architecture et associé chez Coarchitecture, Louis Caron, apprécie aussi les mesures d’amélioration de l’enveloppe apportées par la nouvelle réglementation. « Là, dit-il, le marché n’aura pas d’autres choix que de s’adapter et les conceptions seront de mises. » À son avis, l’étanchéité de l’enveloppe demeure un des éléments importants à surveiller. « Avec les systèmes pare-air et pare-vapeur performants que l’on connaît de nos jours, observe-t-il, ce n’est vraiment pas un problème si on les conceptualise au bon endroit et s’ils sont appliqués de façon adéquate. » Il entend par là, par exemple, d’installer le pare-air de façon continue à un endroit très stable qui ne subira pas de pression ou dépression par rapport à la cavité créée derrière un revêtement de finition architectural.

Louis Caron y voit cependant un bémol malgré les bonnes intentions. « Tu as beau avoir la meilleure conception, avance-t-il, la meilleure collaboration avec ton client et ton ingénieur en mécanique pour concevoir le bâtiment le plus performant, ça ne donnera pas grand-chose s’il n’y a pas un suivi adéquat au chantier pour assurer la bonne exécution des mesures détaillées aux plans et devis. » Selon lui, il y a aussi des efforts à faire relativement aux suivis des chantiers et une collaboration de mise en œuvre est primordiale de la part des entrepreneurs et des sous-traitants spécialisés. « Souvent, nous assistons à une course contre la montre et les méthodes de mise en œuvre ‘‘in situ’’ laissent parfois à désirer. »

Conception qui se verra utilisée plus fréquemment afin d’optimier les enveloppes. Plusieurs conceptions intéressantes peuvent être réalisées à partir de ce principe. Image : Courtoisie de Louis Caron, associé de Coarchitecture

Il souligne, par ailleurs, que « les détails de base de construction auxquels bien des acteurs de l’industrie sont habitués seront à reconsidérer afin de bien s’adapter aux nouvelles exigences. Le contrôle des ponts thermiques et les épaisseurs des sections isolantes soulèvent bien des réflexions actuellement. Les professionnels devront être formés et comprendre de façon adéquate la nouvelle réglementation. »

Méthodes de conformité

En réalité, les nouvelles exigences du Code en matière d’isolation et d’étanchéité visent à corriger ou palier certaines faiblesses de l’enveloppe. D’où l’inclusion de la notion de résistance thermique effective qui tient compte des pertes de chaleur et d’énergie causées par infiltration et exfiltration ou par la conductivité des ponts thermiques que l’on retrouve dans la structure primaire, la structure secondaire qui supporte les divers types de revêtements, ainsi que sur les systèmes de fenestration. Lorsque les mesures prescriptives ne peuvent être appliquées systématiquement, les concepteurs ont le choix de proposer soit une solution de remplacement, soit des moyens pour atteindre la performance en effectuant une modélisation énergétique du bâtiment.

Mais encore-là, il n’y a pas de solutions parfaites. Claudio Bardetti donne comme exemple un mur-rideau dont la plus grande faiblesse, en performance thermique, reste le tympan. Il est établi que la résistance thermique du tympan de construction courante n’atteint pas la valeur nominale de R-20,4 à Montréal. Or, la flexibilité de la méthode de performance pour compenser cette faiblesse par des moyens électromécaniques, par exemple, lui fait craindre la perpétuation d’enveloppes pauvres au plan thermique et beaucoup moins résilientes en cas de panne d’électricité en hiver.

« Il ne faut pas se le cacher, dit-il, toutes compensations au niveau électromécanique exigent plus de maintenance, contrairement à une bonne enveloppe étanche et bien isolée, construite de façon durable. Autrement dit, c’est plus facile et moins coûteux à long terme de maintenir la performance énergétique d’un bâtiment muni d’une bonne enveloppe. »

Ceci dit, ça ne remet pas en cause la valeur du concept architectural du mur-rideau. Il n’est évidemment pas question de « tuer l’architecture au profit de la performance énergétique en construisant des bunkers », rassure Louis Caron. Le choix des trois méthodes de conformité prévues au Code laisse assez de latitude aux professionnels pour respecter les nouvelles normes.

Yann Ferron et Louis Caron

La difficulté principale semble plutôt résider dans le fait que les méthodes impliquant des simulations numériques et des modélisations énergétiques ne seront pas à la portée de tous les cabinets professionnels. Toutefois, il leur sera toujours possible de confier ces responsabilités à des professionnels ou consultants déjà aguerris avec ces méthodes, comme le croit Yan Ferron.

« J’ai l’impression que la démonstration de la performance énergétique sera assurée par les ingénieurs, estime-t-il, parce que c’est quelque chose que l’on fait déjà en simulation avec nos outils numériques, que ce soit pour une certification environnementale ou une demande d’aide financière. »

La meilleure pratique serait de ne pas travailler en silo et de se partager les tâches de conception et les données d’architecture et d’ingénierie, conseille François Lalande, en favorisant ainsi une synergie interprofessionnelle.

Suivre les guides

Les professionnels impliqués dans la conception de bâtiments peuvent être rassurés, parce qu’ils pourront obtenir une certaine aide de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ). Celle-ci s’affaire encore à la préparation d’un guide technique en collaboration avec le Secteur de la transition énergétique du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Ce guide pourrait être rendu accessible au printemps 2021, après vérification auprès de l’instance.

Entretemps, les professionnels consultés ne manquent pas de se référer au Guide de transition thermique de l’enveloppe du bâtiment (Building Envelope Thermal Bridging Guide ou BETB en anglais). Une version 1.4 préparée par la firme Morrison Hershfield Limited et de nombreux partenaires a été publiée en 2020 par BC Hydro. Il s’agit d’une bible de 1 157 pages abondamment illustrée de schémas, de tableaux et de coupes d’assemblage de composantes d’enveloppes qui montrent de multiples possibilités d’améliorer la performance thermique des bâtiments au Canada.

En somme, tous conviennent qu’il était grand temps de faire évoluer la réglementation touchant l’efficacité énergétique des bâtiments, et en particulier leur enveloppe. Et pour cause, le bâtiment demeure encore en 2020 l’une des principales sources de consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. Bref, de quoi faire maintenant de l’enveloppe un douillet cocon doublé d’une armure contre les assauts climatiques.

Des changements majeurs
  • Le calcul de la résistance thermique effective de l’assemblage de l’enveloppe et non pas seulement la résistance thermique totale de ses composantes.
  • L’analyse des ponts thermiques et les mesures d’atténuation dans l’enveloppe et aux jonctions d’éléments structuraux.
  • Les valeurs d’isolation augmentées des planchers, des murs et des toitures pour les zones climatiques de + et de - 6 000 degrés-jours de chauffage.
  • La prise en compte de la performance thermique des portes et des fenêtres (coefficient U) dans le calcul de performance énergétique globale.
  • La prescription de limiter la surface de fenestration d’un mur à 40 % de sa surface totale. Au-delà de 40 %, il faut utiliser la méthode par performance (modélisation énergétique).
  • L’étanchéité de l’enveloppe correspondant aux spécifications éprouvées par des tests en laboratoire au niveau de l’assemblage des matériaux pare-air.

 

Résistance thermique totale / effective

Contrairement au calcul de la résistance thermique totale, celui de la résistance thermique effective d’un mur ou d’une paroi tient compte des effets de ponts thermiques dans l’enveloppe du bâtiment. Dans le cadre de la nouvelle réglementation, le calcul de la résistance thermique effective considère à la fois la valeur de la résistance thermique de chaque couche des constituants de l’enveloppe et la valeur des pertes thermiques issues de l’ossature, des percements de l’enveloppe (charpente de balcon, poutre de support de marquise, etc.) et des fixations ponctuelles traversant l’isolant (attaches de divers types de revêtements).

La prise en compte des ponts thermiques dans le calcul de la résistance thermique effective entraînera des impacts positifs principalement sur la performance énergétique et la durabilité de l’enveloppe du bâtiment ainsi que la résilience plus grande de celui-ci en cas de panne d’énergie, qui, en bout de ligne, se répercuteront aussi sur la santé et le confort des occupants.

 

Stratégies conceptuelles recommandées
  • Favoriser dès le départ un partage d’information et une collaboration entre tous les intervenants et partenaires impliqués dans la conception intégrée d’un projet.
  • Établir au préalable les cibles de performance du projet et les paramètres de conception architecturaux et de génie électromécanique.
  • Suivre au besoin les formations pour se familiariser avec les exigences de la nouvelle réglementation et leur mise en application dans la conception de projet.
  • S’initier aux méthodes de simulation 2D et 3D pour les intégrer dans une pratique de conception de bâtiment conforme au nouveau Code de l’énergie.
  • Consulter les guides techniques de référence qui proposent diverses options d’assemblages d’enveloppes testées en laboratoire ou par simulation numérique et validées au plan normatif.
  • Assurer un suivi de la conformité au Code de la conception à la mise en œuvre des mesures au chantier, jusqu’à la mise en service du nouveau bâtiment.
  • Surveiller l’évolution des matériaux et des systèmes d’isolation et d’étanchéité qui seront proposés par les fabricants et testés en laboratoire.