La certification LEED aura bientôt 25 ans. Quel bilan peut-on faire de son application ? Les bâtiments LEED sont-ils plus durables d’un point de vue environnemental ?
Par Jean-Sébastien Trudel
Pour répondre à ces questions, Voir vert s'est entretenu avec l’un de ses créateurs, Bill Reed, associé principal chez Regenesis. Reconnu internationalement pour ses travaux sur l’architecture régénérative, il porte un regard critique sur LEED et discute de l’avenir du bâtiment, centré sur l’humain et la nature.
Vous êtes le cofondateur du US Green Building Council (USGBC) et reconnu comme le père du système d’évaluation LEED, qui n’était pas la première certification visant à rendre les bâtiments plus verts. Pourquoi elle a réussi là où les autres ont échoué ?
Au début, l’idée n’était pas de créer une nouvelle certification. Nous voulions nous servir de BREEAM, un système de notation qui existait déjà en Angleterre, mais il fallait payer. Nous avons vite compris que personne aux États-Unis n’allait dépenser pour faire du travail environnemental. Nous avons donc voulu créer un programme gratuit. C’est ce qui a permis à LEED de se démarquer rapidement au début. Ensuite, la norme a fait sa place grâce au développement d’un réseau de bénévoles. Nous avions des centaines de personnes, issues de divers domaines d’expertise, travaillant sur le développement de la norme, ce qui a créé un mouvement d’ambassadeurs.
Diriez-vous que le marché était prêt pour ça à l’époque ?
Non, pas du tout. Même que je dirais que le marché n’est toujours pas prêt pour ça ! Évidemment, il y avait des petits cercles de gens que ça intéressait, et c’est avec leur aide que nous avons pu développer l’approche LEED. C’est par les innovateurs que les changements se produisent et eux étaient prêts pour ça.
Au début des années 2000, il y a eu aussi beaucoup de scepticisme à l’endroit de la certification LEED. Comment avez-vous composé avec ces critiques ?
Au début de ma carrière d’architecte, j’essayais de parler d’énergie solaire, mais nos clients ne voyaient tout simplement pas la pertinence de concevoir des bâtiments de cette façon. Mais pour moi, c’était un non-sens de continuer à construire selon le paradigme que l’on m’avait enseigné à l’université. J’ai finalement arrêté d’essayer de les convaincre. J’ai vu qu’il était plus simple de travailler avec ceux qui exprimaient déjà leur intérêt envers des bâtiments plus verts. Quand je rencontrais un nouveau client, en quelques minutes, je pouvais dire si j’étais la bonne personne pour lui. Si ses yeux n’étaient pas allumés, je passais mon tour. Il y avait assez de gens intéressés par le changement, et c’est en travaillant avec eux que j’ai pu explorer une nouvelle approche du design.
Aviez-vous anticipé, à ce moment-là, que ça deviendrait un tel succès ?
Jamais. Je ne pense pas qu’on ait même pensé à ça dans nos rêves les plus fous. On s’est simplement dit que c’était nécessaire, alors faisons en sorte que ça marche. Et ça a marché ! Bien qu’on puisse aujourd’hui se poser la question.
Vous en doutez ? Pourquoi ?
On ne peut pas dire que nous avons atteint notre but. Parce que l’approche LEED, basée sur un système de points, envoie un mauvais signal. Les gens qui font des bâtiments LEED qualifient leurs bâtiments de « durables ». C’est faux. Il n’y a pas de bâtiment durable. Il y a des bâtiments qui sont plus verts que d’autres. LEED a réussi à briser la glace pour susciter une réflexion plus approfondie, mais elle n’a pas réussi à transformer l’industrie pour dire que nous faisons maintenant des bâtiments en harmonie avec la nature et les sociétés.
Que serait un bâtiment véritablement durable selon vous ?
Une maison durable serait peut-être ce que font les oiseaux. Ils utilisent des matériaux naturels trouvés localement, qui se décomposent en fin de vie. Leur nid fournit de la chaleur sans énergie fossile et, dans certains cas, un abri contre la pluie. Bien sûr, les humains n’ont pas de fourrure ou de plumes, donc nous avons besoin d’abris plus substantiels. Mais je dirais que jusqu’à l’ère industrielle, la plupart de nos maisons étaient vraiment durables.
Quand avez-vous réalisé pour la première fois qu’il existait une façon différente de construire nos maisons, une manière qui permet d’avoir un impact positif sur l’environnement ?
C’était une expérience quasi religieuse ! C’est arrivé lorsque j’ai vu ma première maison solaire passive au milieu des années 1970. J’étais renversé de voir qu’on pouvait obtenir de la chaleur gratuite du soleil. À partir de ce moment-là, j’ai cherché à sortir des sentiers battus à la recherche de nouvelles approches pour construire de manière plus écologique. Petit à petit, mes horizons se sont ouverts. Après avoir travaillé avec le soleil, je me suis demandé si nous pouvions travailler avec l’eau, puis avec l’habitat et, finalement, en tenant compte de notre relation avec le bâti. Au fil des ans, j’ai compris que nous avons une occasion d’améliorer la qualité de vie des gens par l’intermédiaire du bâtiment.
Est-ce ce constat qui vous a poussé vers le concept d’architecture régénérative ?
Je ne l’ai pas inventé. Ce sont des jeunes professionnels qui m’ont entendu donner une conférence sur l’intégration à Austin, au Texas, en 1996. Ils ont par la suite fondé l’entreprise Regenesis, à Santa Fe. Quand ils sont venus me voir quelques années plus tard, ils m’ont dit qu’ils avaient quelque chose à me présenter. Ce sont eux qui m’ont présenté le concept. Je n’avais jamais entendu rien de tel avant, donc pour moi, c’était une révélation.
Wikipédia définit l’architecture régénérative comme « l’utilisation de la pensée systémique globale pour créer des systèmes résilients et équitables qui intègrent les besoins de la société avec les limites des écosystèmes naturels ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Je ne suis pas certain que cette définition soit la bonne, mais commençons par l’illustrer de façon concrète. Quand vous avez une dispute avec votre conjoint ou conjointe, comment régénérez-vous votre relation? En demandant « pardon ». Ainsi, vous faites en sorte de réparer la relation. C’est ça de la régénération. Cette régénération peut être utilisée dans n’importe quelle relation dans la vie, mais elle ne peut pas être utilisée avec des entités non vivantes. Il n’existe pas de bâtiment régénératif parce qu’un bâtiment ne peut pas se régénérer lui-même. Ce sont les gens qui le régénèrent. L’architecture régénérative s’exprime donc par l’humain.
En quoi se démarque votre approche avec vos clients ?
Nos clients doivent d’abord être prêts à adopter une manière différente de faire les choses. Je cherche à évaluer s’ils sont prêts non pas à ajouter un toit vert, mais à changer leur vision du monde. J’ai demandé au promoteur du projet : « Que vont penser les communautés qui habiteront autour de ce bâtiment ? » Vu la controverse qui entourait le projet, son premier réflexe a été de se montrer ouvert aux compromis, en diminuant la hauteur du bâtiment ou en ouvrant la piscine aux résidants voisins. À force de discuter, il a bien vu que ce n’était pas comme ça qu’il allait rendre son projet plus acceptable. C’est à ce moment que la vraie solution s’est imposée : il faut aborder la conception du projet sur un fondement de réciprocité. C’est un échange de bénéfices – plutôt que l’addition de compromis – qui permet d’harmoniser les attentes des uns et des autres vers un but commun.
Que voulez-vous dire ?
Au lieu de regarder le bâtiment comme l’objectif du projet, c’est devenu le moyen d’atteindre un objectif commun, plus large, plus englobant : celui d’améliorer la santé de la ville et des écosystèmes. Tout le monde veut une ville plus saine, et le promoteur a vu que cela allait aussi protéger son investissement. Il y avait 25 groupes d’activistes qui étaient tous contre le projet. En trois semaines, nous avons rencontré 18 d’entre eux. Après ces rencontres, ils ont commencé à voir le potentiel de cocréer un lieu où tous pouvaient s’épanouir. La régénération développe la capacité des personnes d’une communauté à travailler ensemble au service de l’évolution et de l’adaptation, pas seulement à construire des choses. Nous avons réussi à obtenir une adhésion préliminaire rapidement, mais il a fallu un bon cinq ans pour que ça se transforme en une confiance mutuelle solide.
En même temps, quand un développeur présente un projet qui intègre les dimensions sociales et environnementales, il fait encore face à beaucoup de résistance. Il doit aussi montrer une rentabilité à court terme à ses créanciers.
Nous sommes constamment confrontés à cette question. C’est d’ailleurs assez ironique, puisque nous réalisons nos projets en moyenne 18 mois plus rapidement que la concurrence, justement parce que nous travaillons en collaboration avec la communauté.
Si j’avais un conseil à donner à un promoteur, ce serait de ne pas parler de régénération ou d’environnement. Il devrait surtout parler de bonne conception et de bon processus. La clé consiste à engager les gens et à développer leur capacité à travailler avec la nature qui est le soutien de la vie. Si vous faites cela, vous allez construire à moindre cout en général. Il y a maintenant de nombreuses études qui démontrent qu’un bâtiment LEED Platine coute environ 2 % de moins que la construction conventionnelle. Les prêteurs qui sont trop frileux ne sont pas les bons partenaires pour ce type de projet. Il faut alors se tourner vers d’autres sources de financement. Il y a de plus en plus de fonds privés qui cherchent à financer ce genre de projets.
Entre les premiers bâtiments LEED et aujourd’hui, alors que plus de 100 000 bâtiments ont été certifiés, quelles leçons avez-vous apprises ?
J’ai appris qu’une approche de liste de contrôle comme ce que propose LEED est utile pour ouvrir un marché. Pour ça LEED a été très efficace. Mais j’ai toujours souhaité que la conception intégrée qui s’appuie sur une pensée systémique soit au cœur de la démarche. Malheureusement, ça n’a pas fonctionné du tout. Au contraire, les professionnels se sont mis à évaluer les solutions en silo, dans la mesure où ça leur permettait d’obtenir des points. Donc, la grande leçon que je tire de tout ça est qu’il n’est pas possible de fragmenter un gros problème en plusieurs petits problèmes indépendants. Il faut dès le départ s’intéresser à la globalité du système.