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Énergiser la relance économique

12 novembre 2020
Par Rénald Fortier

Quand l’efficacité énergétique devient un puissant levier pour favoriser une relance économique sur fond vert.

Relance. Voilà un mot qui s’est vite immiscé dans le vocabulaire courant après l’éclatement de la crise économique déclenchée par la première vague de la pandémie du coronavirus en mars dernier. Si l’accélération des dépenses dans les infrastructures publiques, comme la construction de maisons des aînés ou d’écoles, est mise à profit d’une crise à une autre pour réanimer l’économie, l’impact des investissements consacrés à l’efficacité énergétique dans l’immobilier est loin d’être négligeable.

Pourquoi ? Parce que de tels investissements permettent non seulement de créer de nombreux emplois dans le milieu du bâtiment, mais aussi aux propriétaires et gestionnaires d’engranger des économies récurrentes au fil des ans. Sans oublier qu’ils se traduisent invariablement par une réduction de gaz à effet de serre (GES) et contribuent ainsi à la lutte contre les changements climatiques.

Énergiser la relance économique

Soutiens financiers bonifiés

C’est d’ailleurs dans cette optique que Transition énergétique Québec (TEQ) bonifiait exceptionnellement, en mai dernier, ses programmes de soutien financier s’adressant au domaine résidentiel, tels que Novoclimat et Réno-Climat, de même que ceux destinés au secteur affaires, qui couvre les bâtiments commerciaux, institutionnels, industriels et agricoles.

Dans ce dernier cas, les programmes Biomasse forestière résiduelle, ÉcoPerformance et Technoclimat s’accompagnent d’un rehaussement de 5 % de l’aide financière accordée pour les projets en cours et ceux déposés avant le 31 décembre 2020, ainsi que d’une prolongation de 12 mois du délai de réalisation de leur projet pour les participants. Le programme Chauffez vert - CII, qui soutient la conversion à l’électricité de systèmes de chauffage qui fonctionnent au mazout léger ou au propane, comporte pour sa part une bonification de 1 000 dollars de l’aide financière pour les projets complétés.

La bonification des appuis de TEQ dans le secteur affaires vise à stimuler les investissements en efficacité énergétique pour favoriser une relance verte en suscitant la réalisation de nouveaux projets, de même qu’à aider les entreprises déjà engagées dans des projets à les mener à bien.

« Nous avions déjà un portefeuille de projets et nous ne voulions surtout pas perdre d’acquis. D’ailleurs, l’allocation de la bonification n’est conditionnelle à aucune diminution de GES additionnelle. Mais on ne la donne pas sans qu’il y ait un engagement ferme de l’entreprise à maintenir son projet et à atteindre la cible visée en termes de réduction de GES », indique Dominique Deschênes, directrice générale des opérations et de l’innovation chez TEQ.

Pour elle, il est clair que l’investissement dans l’efficacité énergétique constitue un véritable levier pour stimuler la relance économique. Parce qu’il se traduit par l’exécution de travaux sur le terrain nécessitant le concours d’ingénieurs, d’électriciens, de spécialistes de la mécanique du bâtiment et d’autres experts du milieu.

« Nous, normalement, on calcule environ 14 emplois par million de dollars investi dans l’efficacité énergétique, précise-t-elle. Ce ne sont pas nécessairement tous de nouveaux emplois, parce que ça peut être du maintien aussi. »

Au moment d’écrire ces lignes [au début de l’automne], TEQ avait déjà accordé une bonification dans la foulée du traitement de quelque 1 000 dossiers, incluant des projets qui étaient en cours et d’autres qui, reçus depuis le 21 mai, n’étaient pas encore démarrés. « Juste le 5 %, ça correspond à 22 millions de dollars et à plus de 700 000 tonnes de réduction de GES. Et ce sont des tonnes en moins que l’on a pu confirmer grâce à la mesure de bonification », souligne Dominique Deschênes.

Hydro-Québec n’a pas hésité non plus à faire de l’efficacité énergétique un fer de lance pour soutenir la reprise de l’économie en bonifiant, dès juin, son programme Solutions efficaces. Les propriétaires de bâtiments commerciaux, institutionnels et industriels peuvent depuis lors bénéficier d’un appui financier couvrant jusqu’à 75 % des dépenses admissibles pour plus de 200 mesures d’efficacité énergétique. Les incitatifs sont ainsi jusqu’à deux fois plus élevés qu’auparavant et peuvent atteindre jusqu’à trois millions de dollars par projet.

Dominique Deschênes et Anita Travieso

La bonification de ce programme figurait déjà dans les cartons de la société d’État, mais la crise économique l’a amenée à devancer le lancement de la nouvelle mouture. Anita Travieso, chef des programmes commerciaux et expertise chez Hydro-Québec, précise : « Nous avions déjà l’intention de soutenir l’électrification du Québec qui s’en vient à grands pas. En raison du contexte engendré par la COVID-19, nous avons jugé que le moment était venu d’ajuster des paramètres du programme Solutions efficaces et ainsi de contribuer activement à une relance de l’économie axée sur l’efficacité énergétique.

« Il n’y a pas de limite dans le temps pour profiter de nos appuis financiers bonifiés, poursuit-elle, parce l’efficacité énergétique est l’un des moyens les plus rentables dont on dispose pour répondre aux besoins en énergie et en puissance qui s’en viennent. C’est un moyen d’approvisionnement que l’on privilégie, d’autant plus qu’il s’accompagne de bénéfices à la fois environnementaux et économiques. »

Hydro-Québec estime que les retombées de l’octroi de ses appuis financiers correspondent à deux fois ce qu’elle y met. « Nous, ce qu’on a prévu avec le scénario ambitieux, précise Anita Travieso, c’est d’aller chercher environ 8 TWh d’ici 2029. Et on prévoit des retombées directes et indirectes totalisant 3,3 milliards de dollars. » 

Elle note que selon les échos qui lui sont parvenus, certains clients d’Hydro-Québec étaient pour mettre leur projet d’efficacité énergétique sur la glace en raison de la crise, mais que la bonification du programme Solutions efficaces les a amenés à revoir leur décision et à élever leur démarche d’amélioration énergétique au rang de leurs priorités. « C’est une bonne nouvelle, dit-elle, parce que ça aide nos clients à se moderniser et à gagner en compétitivité, et à passer au travers de la période de turbulences économiques. »

Une pierre deux coups

Geneviève Gauthier, membre du comité exécutif du Conseil québécois des entreprises en efficacité énergétique (CQ3E), est bien d’accord. « L’avantage de fonder une relance sur l’efficacité énergétique, explique-t-elle, c’est qu’en plus d’aider à court terme en stimulant des projets, ça permet de nous structurer à long terme en réduisant le risque face à la hausse des coûts énergétiques. Donc, ça veut dire aider les entreprises à devenir encore plus compétitives, en plus de contribuer à réduire nos émissions de GES. »

À la lumière de ses échanges avec des leaders du milieu de l’immobilier commercial, celle qui est aussi directrice nationale chez Econoler indique qu’il y a tout lieu de croire que l’efficacité énergétique demeurait à leur agenda, mais qu’il serait plus difficile de mener les projets à terme cette année puisque les priorités ont changé en raison de la pandémie.

« Dans ce contexte, dit-elle, la bonification des programmes de TEQ et d’Hydro-Québec vient assurément leur donner un coup de main supplémentaire pour que la bonne erre d’aller qu’ils ont pris en termes de projets d’amélioration écoénergétique, depuis quelques années, puissent se poursuivre.

« Et une chose très importante avec le recours à l’efficacité énergétique comme moteur de la relance économique, ajoute-t-elle d’un trait, c’est que ça permet de créer des emplois partout en région, contrairement à un seul grand projet d’infrastructure à réaliser dans un lieu donné. En plus, les investissements en efficacité énergétique peuvent être déployés rapidement, ce qui permet d’insuffler du dynamisme à l’économie sans tarder. »

Pour Mario Poirier, directeur de programme du Défi énergie en immobilier (DÉI) porté par BOMA Québec, il ne fait aucun doute que les propriétaires et gestionnaires d’immeubles commerciaux et institutionnels ont tout intérêt à profiter des appuis financiers bonifiés qui sont à leur portée pour pousser plus avant leurs démarches d’efficacité énergétique ou s’engager dans cette voie si ce n’est déjà fait. 

Geneviève Gauthier et Mario Poirier

« Ils doivent profiter de l’occasion pour se positionner, ou à tout le moins maintenir leur positionnement sur le marché, dit-il. Parce que lorsqu’ils investissent dans l’optimisation écoénergétique d’un bâtiment, ils deviennent du même coup plus compétitifs. En outre, ils vont récolter des économies non seulement sur le long terme, mais aussi les rentabiliser plus rapidement, parce que les appuis financiers vont permettre d’amortir en grande partie les coûts encourus.

« Les dépenses en énergie, ajoute-t-il, ça représente entre 15 et 25 % des frais d’exploitation d’un immeuble de bureaux en temps normal, c’est loin d’être négligeable. C’est vrai que les coûts énergétiques ont pu être abaissés parce que les édifices sont actuellement désertés, particulièrement au centre-ville de Montréal, mais leurs occupants vont finir par revenir un jour ou l’autre. Aussi bien profiter maintenant du soutien financier important qui est offert pour rendre ces immeubles encore plus performants, tout en diminuant leur empreinte carbone. Il est toujours de mise de développer une culture de l’efficacité énergétique, même en temps de crise. »