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Télétravail improvisé, ergonomie de brousse…

16 avril 2020

Par Rénald Fortier

Qui dit télétravail improvisé, dit du même souffle risques élevés d’inconforts, voire de lésions dans certains cas. Mais il est possible de les éviter, ou à tout le moins de les atténuer en appliquant des solutions ergonomiques de fortune.

Comme dans la plupart des autres sphères de l’activité économique, des milliers de gestionnaires et d’employés d’entreprises du milieu du bâtiment s’activent de leur domicile depuis que le Québec a été mis sur pause le 23 mars. Un passage dans l’urgence en mode télétravail qui s’est articulé autour du déploiement de l’infrastructure technologique et de la logistique requises, mais qui a plus souvent qu’autrement laissé pour compte toute considération ergonomique.

C’est ainsi que ces télétravailleurs temporaires, sauf ceux disposant déjà d’un bureau à la maison évidemment, ont installé leur « station de travail » sur la table de la cuisine ou encore sur un meuble du salon, de la chambre à coucher ou du sous-sol. Autant d’installations improvisées qui les exposent depuis au quotidien à des inconforts et à des problèmes musculosquelettiques pouvant même entraîner des séquelles permanentes. Comme une bursite à l’épaule, une tendinite au coude, un syndrome du canal carpien ou des maux de dos.

« En cette période de crise sanitaire où le travail à distance s’impose, du moins pour un temps, les gens n’ont d’autre choix que de composer avec un environnement de travail inadéquat, observe Patrick Vincent, président de Vincent Ergonomie. Mais il leur est néanmoins possible de gérer les risques que tout cela suppose sur le plan du confort physique. »

Patrick Vincent, ergonome certifié, président de Vincent Ergonomie. Photo : Vincent Ergonomie

Pour cet ergonome certifié, qui a notamment été appelé à collaborer à la conception de différents bâtiments durables au fil des dernières années, c’est là qu’entre en jeu ce qu’il appelle « l’ergonomie de brousse ». C’est-à-dire l’application de mesures qui font en quelque sorte appel aux moyens du bord pour prévenir les problèmes non seulement musculosquelettiques, mais aussi oculo-visuels.

L’exemple typique : la personne installée sur une table de cuisine ne convenant pas au travail à l’ordinateur, parce que trop haute, et dont les chaises ne sont pas ajustables. « Normalement, indique Patrick Vincent, on veut avoir le clavier et la souris à la hauteur du coude, les épaules détendues et l’écran aligné sur les yeux pour ceux qui n’ont pas de lunettes avec un foyer progressif ou un peu plus bas pour ceux qui en ont.

« Comme ni la table ni la chaise ne peuvent s’ajuster en hauteur, poursuit cet expert, il faut donc gérer les problèmes associés aux inconforts au niveau des épaules et du cou. Dans un tel cas, on peut ajouter un ou des coussins pour se rehausser de façon à ce que la table arrive à la hauteur des coudes et que les bras puissent être bien appuyés sur la surface de travail, tout en ayant les épaules détendues le plus possible. »

En se rehaussant ainsi, le télétravailleur du moment risque cependant de se retrouver les pieds dans le vide… La solution toute simple? Placer un objet sous ses pieds de sorte qu’ils seront bien appuyés tout en ayant les genoux à 90 degrés. « On peut utiliser un ou des livres par exemple, illustre Patrick Vincent, ou même bricoler des appuis-pieds avec une boîte et des cintres. Le but, c’est d’en arriver à se positionner pour enlever de la pression sur les tissus mous à l’arrière des cuisses, comme les nerfs et les vaisseaux sanguins. »

Cela chose faite, encore faut-il porter une attention particulière au positionnement des avant-bras, d’autant plus dans le cas où l’on doit travailler sur une table dont l’arête est carrée. « Un rebord de table très coupant peut contribuer à perturber la circulation sanguine et le bon fonctionnement des nerfs, ce qui peut s’accompagner assez rapidement d’un engourdissement des doigts et des mains, note Patrick Vincent. Pour atténuer cet inconfort, on peut plier une serviette devant la zone où l’on appuie les bras de façon à adoucir l’arête. »

Photo : courtoisie I Vincent Ergonomie

La dimension oculo-visuelle est loin d’être à négliger elle aussi. Car non seulement faut-il s’assurer de positionner adéquatement l’écran de l’ordinateur et de se reposer les yeux régulièrement (voir parmi les recommandations formulées ci-dessous), mais également de bien gérer la lumière en provenance de l’extérieur.

« Il est important de se placer de façon perpendiculaire aux sources de lumière naturelle pour éviter l’éblouissement et les reflets, à plus forte raison lorsque l’on travaille sur une table de cuisine alignée sur une porte-patio, précise Patrick Vincent. Et plutôt que de fermer les rideaux ou les stores, ce qui n’est pas vraiment de mise en cette période de confinement, on peut bricoler des trucs pour gérer une quantité de lumière qui serait trop importante, par exemple en disposant des œillères en carton de part et d’autre de l’écran de l’ordinateur. »

Des conseils pour prévenir inconforts et blessures

Les recommandations de Patrick Vincent à appliquer dans un contexte de télétravail temporaire :

  • Utilisez un écran et des périphériques externes plutôt qu’un ordinateur portable pour être en mesure de positionner adéquatement la hauteur de votre écran.
  • Si vous ne disposez pas d’un écran indépendant, mais d’un clavier et d’une souris distincts, placez votre ordinateur portable sur une pile de livres ou tout autre objet stable vous permettant de positionner l’écran à la bonne hauteur. Cette solution est également applicable dans le cas où vous possédez un écran distinct, mais non ajustable.
  • Si vous ne disposez ni d’un écran ni de périphériques indépendants et que seul le travail à même l’ordinateur portable est envisageable, éloignez légèrement l’ordinateur de vous afin de créer une distance avec l’écran (le clavier se trouvera également plus loin) et inclinez l’écran vers l’arrière. Ceci aura pour effet de réduire la flexion du cou. Toutefois, cette alternative ne permet pas l’adoption d’une posture optimale et vous devriez augmenter la fréquence de vos pauses dans ce contexte.
  • Ajouter un coussin sur l’assise peut rendre le siège de la chaise plus confortable dans le cas où il s’agit d’une chaise à surface rigide. Cette astuce peut également vous permettre de vous hausser légèrement pour être en mesure d’aligner les coudes à la même hauteur que la surface de travail.
  • Ajoutez un coussin ou encore une serviette au niveau du bas du dos pour supporter le creux lombaire et conserver une posture naturelle du dos.
  • S’il n’est pas possible pour vous d’avoir les pieds bien en appui au sol tout en ayant les genoux à 90 degrés, utilisez une boîte en guide de repose-pieds.
  • Positionnez une serviette sur le bord avant de la surface de travail afin de rendre plus confortables les points d’appuis des avant-bras.
  • Si vos accoudoirs vous empêchent de vous approcher de la surface de travail, abaissez-les le plus possible, retirez-les tout simplement ou choisissez une autre chaise sans accoudoirs.
  • Pour ceux qui consultent des documents papiers simultanément avec l’utilisation de l’ordinateur et qui disposent de périphériques et écrans indépendants, disposez un cartable en angle ou encore un carton rigide entre l’écran et le clavier. Cette astuce permettra de réduire la flexion du cou pour consulter les documents papiers.
  • Variez votre posture, car le travail à l’ordinateur est effectué en position assise prolongée alors que le corps est fait pour bouger. Intégrez des pauses environ aux 30 minutes. Il est également possible de s’installer sur un comptoir de cuisine, par exemple, pour travailler quelques minutes par heure debout. Les mêmes principes d’ajustements s’appliquent en position debout.
  • Faites des micro-pauses aussi visuelles, selon le principe des 20-20-20. C’est-à-dire, à toutes les 20 minutes, effectuez une pause de 20 secondes pour regarder au loin, soit à plus de 20 pieds.