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Décarbonation et stockage d’énergie vont de pair

19 mai 2021
Par Sandra Soucy

Alors que des perspectives encourageantes s’esquissent pour la contribution du stockage d’énergie dans un contexte de décarbonation des bâtiments au Québec, la promesse de belles avancées se concrétise du même pas dans ce domaine.

À la croisée des enjeux environnementaux, la sphère du bâtiment durable se révèle un levier d’importance pour assurer la transition énergétique vers les énergies renouvelables. Et pour assurer la décarbonation des immeubles, les sources d’énergie électrique se posent plus que jamais comme solution de remplacement pour les sources d’énergie combustibles. Afin de minimiser les problèmes intrinsèques à l’augmentation de l’appel de puissance, le secteur du bâtiment a beaucoup à gagner en se tournant vers le stockage d’énergie.

Katherine D’Avignon, professeure au Département de génie de la construction de l’École de technologie supérieure de Montréal sait de quoi il en retourne. « Malgré une augmentation significative de l’efficacité énergétique, observe-t-elle, on se retrouve quand même à alimenter les pointes des bâtiments à des moments où Hydro-Québec éprouve déjà de la difficulté à subvenir aux besoins complets, et ce, malgré la très grande fiabilité de son réseau. Le stockage d’énergie, qu’il soit électrique ou thermique, est l’un des éléments qui fait partie de la palette de solutions pour maîtriser la demande d’énergie. » D’entrée de jeu, l’ingénieur Martin Roy, président de la firme de génie Martin Roy et associés (MRA), distingue deux raisons qui conduisent à répondre de manière appréciable à la nécessité d’aplanir l’appel de puissance des bâtiments lors des pointes d’Hydro-Québec. « La première, explique-t-il, c’est qu’Hydro-Québec ne peut certainement pas fournir une grosse quantité d’énergie en peu de temps. Même si le réseau a une réserve de stockage considérable, il n’en demeure pas moins que la capacité de distribution limite la quantité d’énergie qu’on peut distribuer dans un laps de temps. La deuxième raison, bien qu’elle soit peu répandue au Québec pour l’instant, c’est la production d’énergie renouvelable.

Katherine D’Avignon et Martin Rheault

« Quand les bâtiments se mettent à produire de l’énergie renouvelable lorsque le soleil est présent, poursuit cet apôtre de l’efficacité énergétique, la demande sur le réseau d’Hydro-Québec est très faible, car l’électricité est produite in situ par des équipements de production tels que des panneaux photovoltaïques. Mais dès la tombée de la nuit, ces bâtiments soutireront simultanément de l’énergie occasionnant par le fait même une forte demande. Et la pointe sera inévitable. »

De plus en plus considéré comme pièce maîtresse du puzzle, le développement de solutions de stockage d’énergie, qu’il soit électrique ou thermique, permet de répondre de manière appréciable à cet enjeu d’appel de puissance des bâtiments. Marie-Andrée Héneault, ingénieure chargée de projet - Intégration des nouvelles technologies, Hydro-Québec, voit d’un bon œil l’intégration de ces technologies parmi la gamme de solutions d’efficacité énergétique. « Pendant une centaine d’heures par année, expose-t-elle, Hydro-Québec aura besoin de trouver des moyens pour mieux gérer son appel de puissance et il ne fait aucun doute que le stockage thermique pourra apporter une contribution importante pour équilibrer le réseau électrique. À l’heure actuelle, il y en a peu, mais nous voulons néanmoins l’intégrer sur le marché. »

Martin Roy et Marie-Andrée Hénault

L’idée de convertir l’énergie solaire en chaleur à des fins domestiques ne date pas d’hier. En fait, l’origine du stockage thermique remonterait... à la nuit des temps! Comme le fait remarquer l’ingénieur en bioclimatique Martin Roy, le stockage thermique intervient sous différentes formes dans notre vie quotidienne : « Au temps des toutes premières habitations construites en pierres, il était possible d’emmagasiner la chaleur, car la pierre a cette capacité d’accumuler une bonne quantité d’énergie. Puis, au fil du temps se sont développés des matériaux de changement de phase qui permettent, par exemple, d’accumuler une grande quantité d’énergie dans un petit volume. Que l’on pense à l’eau et la glace, alors que le changement de phase de la glace en eau permet justement d’accumuler beaucoup d’énergie. »

Avancées technologiques

Poussées par un vent d’innovation, bon nombre de technologies voient le jour. Il faut s’attendre à voir de plus en plus de produits qui intègrent le stockage thermique faire leur entrée dans les bâtiments. « Sur le plan commercial, explique Marie-Andrée Hénault, il existe déjà des solutions qui sont implantées. Nous avons un projet-pilote sur les rails qui consiste à remplacer des plinthes électriques dans des bâtiments commerciaux par des accumulateurs thermiques. L’autre avenue qui se dessine, c’est la mobilité électrique et l’accumulation électrochimique. Nous avons les yeux sur ce qui se fait ailleurs et nous tentons de transposer cela dans notre marché. Et je dois avouer que ça fourmille beaucoup. »

L’arrivée de l’accumulateur lithium-ion, il y a quelques années, a complètement changé la donne dans le domaine de l’électrochimique, constate le président de MRA, mais ce n’est que récemment que le stockage sur batterie a commencé à faire l’objet d’applications industrielles et commerciales à plus grande échelle. Les systèmes de contrôle de l’énergie issus du stockage, ajoute-il, font certes partie des évolutions technologiques dans ce domaine.

C’est là un avis que partage aussi Katherine D’Avignon. « Parmi les grandes avancées des dernières années, il convient de citer la commande de contrôle et du partage des données. L’accès aux données météo permet au contrôleur de commander la recharge et la décharge de l’accumulateur thermique. »

Le système de stockage de la Tohu. Photo : MRA

Aux yeux de Martin Rheault, vice-président, Développement des affaires et ventes chez EVLO, nouvelle filiale d’Hydro-Québec spécialisée dans le stockage d’énergie, l’agencement de technologies ressort comme l’une des avenues les plus prometteuses dans l’optique de l’optimisation des solutions de stockage. « Nous voyons, par exemple, de plus en plus de bâtiments munis de panneaux solaires qui possèdent aussi un système de batteries qui accumule l’énergie à proximité pour produire plus tard ou tout simplement pour écrêter la pointe de consommation d’électricité dans ce bâtiment. Peu importe la voie choisie, l’un des principaux bénéfices du stockage, c’est vraiment de pouvoir mieux contrôler la consommation d’électricité des bâtiments, ce qui se traduira, tout compte fait, en économie de coût. »

Comme le souligne Marie-Andrée Hénault, les bénéfices liés au stockage se déclinent en grand nombre, et la gestion de l’appel de puissance occupe une position clé dans la liste. « Si nous parvenons à délester un peu le réseau de sa charge à l’aide du stockage thermique en déplaçant l’appel de puissance lors de la pointe provinciale qui typiquement se produit de 6 h à 9 h et de 16 h à 20 h par période de grand froid, cela permettra aussi des économies sur la facture du client. »

Et il y a aussi toute la question du stockage passif dont on parle trop peu, déplore Martin Roy. Katherine D’Avignon est tout autant convaincu du bien-fondé d’une planification en amont en matière de stockage thermique dans les bâtiments neufs.  « On part à neuf, donc il est possible de choisir ce qui sera mis en place pour le stockage thermique, incluant diverses formes de stockage passif à travers la masse thermique du bâtiment. »

Et pour les bâtiments existants? Plusieurs solutions peuvent être proposées, mais elles devront être examinées au cas par cas. « Il sera toujours possible d’adapter des installations électriques courantes dans des endroits exigus ou bien d’installer le système de stockage à l’extérieur à proximité du bâtiment, fait remarquer le vice-président chez EVLO.

« Le bâtiment existant, souligne Katherine D’Avignon, offre aussi la possibilité d’avoir accès à l’historique de ses données pour mieux connaître sa consommation énergétique en se basant sur des prévisions d’occupation, des prévisions de “cédule” du comportement anticipé des usagers, etc., ce qui s’avère bien utile quand vient le temps d’intégrer du stockage dans ce type de bâtiment. »

Des exemples à suivre
  • La TOHU, premier bâtiment certifié LEED-Or Canada au Québec en 2004, est un parfait modèle de réussite d’intégration de climatisation générée par les matériaux de changement de phase qui démontre avec brio qu’il est possible d’écrêter les pointes de consommation électrique, de réduire la grosseur des équipements ainsi que leur coût.
  • Réalisation sans précédent, la Communauté solaire Drake Landing (DLSC) de 52 maisons en Alberta s’approvisionne à l’énergie solaire et au stockage thermique pour combler la presque totalité de ses besoins en chauffage. Cette cité comparable à la ville de Québec en termes de température prouve qu’il est possible de se chauffer grâce à l’énergie solaire dans des conditions hivernales qui s’apparentent aux nôtres.
  • Le Phénix, l’immeuble qui loge le bureau montréalais de Lemay, est un bel exemple de cohabitation de stockage thermique et électrique, une solution qui permet justement d’éviter que le bâtiment soit confronté à un gros appel de puissance envers le réseau électrique.

 

Trois pièges à éviter
  • Négliger l’évaluation des besoins en stockage. Il sera de mise d’effectuer des simulations et de la modélisation pour s’assurer d’obtenir la bonne quantité de stockage thermique et électrique et d’éviter des coûts en surplus.
  • Considérer le stockage comme une solution qu’on applique dès le début de la conception. Il faudra d’abord faire tout ce qu’il faut pour rendre le bâtiment le plus efficace possible.
  • Se tourner vers une seule technologie pour répondre aux enjeux de pointe ou de mesures d’efficacité énergétique. Il importe de diversifier les sources d’approvisionnement énergétique. Le stockage thermique ne devrait être considéré qu’au moment où une évaluation concrète des besoins énergétiques aura été effectuée.

 

Le rendement de l’investissement

« Les coûts de l’énergie et de la demande énergétique ne sont pas encore assez élevés pour voir une courte rentabilité du stockage électrique au Québec et cela est bien malheureux, se désole Martin Roy. Si la structure tarifaire d’Hydro-Québec était différente, il pourrait être plus facile de rentabiliser ces équipements. Pour le stockage thermique, si on dispose d’espace suffisant, ces systèmes sont relativement peu chers et permettent de réduire la capacité des appareils de production de chaleur. L’important, conclut-il, sera de bien dimensionner les systèmes pour optimiser leur coût et il sera alors possible d’obtenir un meilleur rendement sur l’argent investi. »