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Faire de l’école un milieu de vie durable

10 mars 2021
Par Rénald Fortier

Quand l’école québécoise se transforme sous le signe du développement durable. Vers la création de milieux de vie favorisant la réussite éducative.

Sains, confortables, ludiques… Dans un passé pas si lointain encore, il aurait été presque impensable d’employer de tels qualificatifs, tout comme bien d’autres d’ailleurs, pour dépeindre des bâtiments scolaires au Québec. Mais c’est désormais loin d’être une vue de l’esprit, tel que l’illustre aujourd’hui la multiplication des écoles conçues pour favoriser à la fois le mieux-être de leurs occupants et l’apprentissage des élèves. De surcroît avec l’objectif d’en réduire l’empreinte carbone, et avec l’obtention d’une certification LEED pour point de mire dans bien des cas.

Le profil de ces écoles de nouvelle génération marque évidemment une nette rupture avec celui de tous ces établissements qui ne paient vraiment pas de mine au sein du parc scolaire québécois. Il faut dire que nombre de ces bâtiments d’une autre époque – près des trois quarts ont été construits avant le milieu des années 1960 – accusent de plus en plus mal leur âge avancé, tant leur entretien et leur mise à niveau ont été longtemps en proie à un sous-financement.

C’est sans parler des écoles qui ont par la suite vu le jour jusque dans les années 1980; des constructions d’inspiration brutaliste dont les murs aveugles et la froideur rivalisaient avec leur trop court cycle de vie, étiré depuis jusqu’à l’extrême, pour en faire des modèles architecturaux loin d’être inspirants, voire à ne plus jamais reproduire…

D’où le bien-fondé du mouvement en faveur du verdissement des nouvelles écoles, et des agrandissements aussi, lancé voilà un peu plus d’une dizaine d’années sous l’impulsion de certains centres de services scolaires (CSS), comme on les appelle aujourd’hui, se positionnant à l’avant-garde. Tels que les CSS de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI), dans les Basses-Laurentides, de la Capitale, à Québec et ses environs, ou Marie-Victorin, sur la rive sud de Montréal, pour ne mentionner que ceux-ci.

École du Domaine-Vert Nord, Mirabel. Photo : YWA+DKA+YMA Architectes en consortium

Ce virage vert ne cesse ensuite de s’accentuer, ici et là en sol québécois, au fil des ans. Puis, il est aiguillé à partir de 2017 par l’augmentation budgétaire de 15 % offerte par Québec aux fins de l’intégration de solutions architecturales ou d’ingénierie visant à mettre à l’avant-plan la réussite éducative des élèves et le développement durable dans le cadre des projets de construction ou d’agrandissement d’infrastructures scolaires.

« L’allocation de la bonification de 15 %, que l’on pouvait obtenir moyennant une démonstration de la pertinence des solutions proposées, a contribué à changer les choses du tout au tout. Elle nous a donné l’occasion de bonifier grandement les projets, par exemple en intégrant des gradins, en introduisant le bois dans les espaces pédagogiques, en augmentant la fenestration ou en créant des espaces ludiques », observe l’architecte Krystel Flamand, associée principale de Vincent Leclerc Architecte, firme qui a laissé son empreinte sur près d’une cinquantaine de nouvelles écoles et une centaine d’agrandissements majeurs dans ce créneau depuis le milieu des années 1980.

L’ingénieur en mécanique Carl Gauthier, associé de LGT, est bien d’accord : « La bonification budgétaire a marqué un tournant à l’époque, car elle a grandement contribué à stimuler la création d’écoles plus performantes sur les plans académique et environnemental. De notre côté, elle nous a notamment permis d’introduire des solutions innovantes dans le design des écoles, comme des puits canadiens ou des planchers radiants froids », indique celui qui a été appelé à travailler sur plusieurs projets du domaine scolaire dans les dernières années.

Allier enseignement et environnement

Pendant cette période, le CSSMI pousse pour sa part plus avant ses réflexions et donne un grand coup de roue hors des sentiers battus en s’engageant dans la conception, puis la réalisation, de deux projets résolument innovants, soit :

  • l’école Curé-Paquin, à Saint-Eustache, qui obtiendra à l’hiver 2019 la certification Bâtiment à carbone zéro – Design du Conseil du bâtiment durable du Canada, une première au Québec;
  • l’école du Domaine-Vert Nord, qui ouvrira ses portes en 2020 à Mirabel et fera figure de laboratoire, tant son design sera le fruit de l’intégration d’une batterie de stratégies visant à réduire l’empreinte du bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie, mais aussi à créer un environnement sain et confortable au bénéfice de l’apprentissage des élèves : bâtiment conçu à l’échelle de l’enfant; concept de maisonnée entre groupes de classes adjacents permettant de travailler en sous-groupe et des réaménagements flexibles; éclairage naturel abondant; ventilation naturelle et par déplacement; planchers radiants, etc.

« Les projets de construction que nous avions réalisés dans les années précédentes intégraient tous des solutions durables à divers degrés, incluant la géothermie dans tous les cas, relate Eric Tellier, responsable des opérations au service des ressources matérielles du CSSMI. Avec l’école du Domaine-Vert Nord, nous voulions aller beaucoup plus loin et tisser très serré le lien entre la réussite éducative et la qualité des environnements dans un bâtiment qu’avait établi l’étude Clever Classroom publiée en 2015 par l’Université de Salford Manchester, en Angleterre. »

École de l’Espace Couleurs, Terrebonne. Photo : Stéphane Brügger

Le design de ce projet hors normes à l’époque, qui aura pu être proposé grâce à un budget exceptionnellement bonifié pour l’occasion, mettra notamment l’accent sur la qualité de l’air intérieur, la modularité des espaces et sur leur éclairage naturel.

C’est ainsi que sur le plan de la qualité de l’air, le niveau de C02 sera maintenu en tout temps à 800 ppm de CO2, plutôt qu’à 1 050 comme le préconise l’ASHRAE. Si ce choix santé a bien sûr un impact sur la consommation d’énergie de l’école, vu un plus grand apport d’air neuf requis, cet établissement n’en affiche pas moins une réduction de 25 % par rapport à la référence du Code national de l’énergie pour les bâtiments – 2011, ceci en raison de l’intégration de nombreuses mesures d’optimisation éconergétiques sur les plans architectural et électromécanique.

La luminosité du jour, elle, est mise à profit pour éclairer les espaces sans que l’on n’ait à recourir à l’éclairage artificiel 70 % du temps en occupation. « L’école du Domaine-Vert Nord est pourvue d’une fenestration généreuse et aussi de plusieurs puits de lumière, ce qui fait qu’elle est presque tout le temps éclairée naturellement », précise Véronique Beaudoin, directrice adjointe aux investissements au service des ressources matérielles du CSSMI.

À la fois reflet et moteur du changement en voie de s’opérer, la réalisation des projets s’ancrant de plus en plus profondément à l’enseigne de la durabilité, ces dernières années, a contribué à alimenter avec toujours plus d’amplitude une tendance irréversible. Et qui est de nouveau appelée à s’accentuer, tout comme à s’étendre à l’ensemble du réseau scolaire québécois, sur la base des nouvelles règles du jeu établies par le ministère de l’Éducation.  

Dévoilées au début de 2020, les orientations préconisées par Québec visent plus que jamais à ce que les futures écoles soient conçues non seulement dans une perspective durable, mais avec l’objectif de créer des milieux de vie sains et confortables favorisant l’apprentissage des élèves, en plus d’être ouverts sur leur communauté. C’est ainsi que le nouveau guide de planification immobilière pour les écoles primaires inclut des principes directeurs tels que l’intégration d’espaces collaboratifs favorisant la socialisation, des espaces pédagogiques évolutifs ou encore la prédominance du bois à l’intérieur.

Ces écoles de demain, dont l’implantation devra permettre l’optimisation de la ventilation et de la luminosité naturelles, devront en outre être conçues sur la base d’un cycle de vie de 75 ans. Sans compter que, toujours au rayon de la durabilité, leur design devra notamment résulter de l’application de stratégies passives s’articulant autour de systèmes actifs écoresponsables, dont l’utilisation d’énergies renouvelables, la diminution de la consommation d’eau potable, la réduction des îlots de chaleur et la sélection de matériaux durables nécessitant peu d’entretien.

École La Croisée, Sherbrooke. Photo : Joël Gingras

Relever la barre plus haut

S’inscrivant dans la foulée des grandes avancées réalisées par des centres de services scolaires, des professionnels du milieu du bâtiment et, il ne faut pas l’oublier, des travaux menés par le Lab-École, l’actualisation du guide de planification immobilière pour les écoles primaires monte encore plus haut la barre pour les nombreux projets de construction et d’agrandissement qui verront le jour au cours des prochaines années. Pour Krystel Flamand, il faut néanmoins continuer de voir les nouvelles exigences fonctionnelles, conceptuelles et techniques comme un seuil minimal à atteindre.

« Rien ne nous empêche d’aller au-delà de ce qui est maintenant demandé, soutient-elle. Nous pouvons imaginer différentes réponses architecturales en tant que concepteurs. L’important sera toujours d’atteindre les objectifs fixés et les principes directeurs établis, bien sûr, mais aussi d’aller au-delà pour continuer à faire évoluer l’école dans une perspective axée sur l’innovation. »

L’architecte Dany Blackburn acquiesce d’emblée : « Les nouveaux objectifs sont relevés, les budgets suivent, et nous avons plus que jamais l’occasion d’aller plus loin dans la création de véritables milieux de vie centrés avant toute chose sur l’apprentissage des élèves et reflétant la pédagogie du 21e siècle, mais aussi en phase avec leur milieu. Et toujours en développant et en mettant de l’avant, au sein des équipes de projets, des solutions écologiques et éconergétiques qui permettront de réduire de plus en plus l’impact environnemental des nouvelles constructions et des agrandissements d’écoles.

Krystel Flamand, Carl Gauthier, Dany Blackburn, Véronique Beaudoin et Éric Tellier

« Les astres sont vraiment bien alignés en ce moment pour réfléchir sur les établissements scolaires du futur, notamment en s’inspirant du standard WELL pour concevoir des environnements intérieurs sains et confortables pour les élèves et les enseignants. Tout comme c’est le cas pour LEED sur le plan de la performance environnementale des bâtiments », conclut celui qui a été notamment associé à la conception de l’école de la Grande-Hermine, à Québec, une réalisation qui a été frappée du sceau LEED en 2008, une première en sol québécois à l’époque.

Critères de conception

Le nouveau guide de planification immobilière pour les écoles primaires s’articule autour de cinq principes directeurs*, sous lesquels se déclinent plus de 50 critères de conception incontournables, dont :

  • contrôler le taux de CO2 dans chacun des locaux d’apprentissage;
  • tempérer les locaux occupés;
  • éliminer les contaminants;
  • assurer un apport maximal de lumière naturelle sans provoquer d’éblouissement et de surchauffe dans tous les locaux d’apprentissage;
  • soutenir la lumière naturelle par un éclairage artificiel plein spectre;
  • assurer une ouverture visuelle sur l’extérieur dans tous les locaux d’apprentissage;
  • utiliser le bois à l’intérieur (finition ou structure);
  • créer une école à l’échelle de l’enfant;
  • concevoir pour un cycle de vie de 75 ans;
  • optimiser la performance énergétique;
  • utiliser les énergies renouvelables;
  • minimiser les émissions de gaz à effet de serre;
  • réduire la consommation d’eau potable à l’intérieur et à l’extérieur;
  • implanter des systèmes de contrôle de l’eau;
  • minimiser les îlots de chaleur;
  • choisir des matériaux en fonction de la durabilité, de l’entretien et de la durée de vie;
  • prévoir des locaux polyvalents transformables permettant des aménagements flexibles;
  • prévoir un accès à l’école pour la communauté;
  • favoriser l’implantation de zones végétales et d’arbres au sein et au pourtour de la cour (perméabilité, ombrage, réduction des îlots de chaleur).

Ce guide inclut également certains critères de design souhaitables. Parmi eux figurent notamment les suivants : utiliser du bois dans la structure; viser les principes WELL et LEED; réduire la consommation d’eau potable à l’extérieur; recourir au processus de conception intégrée.

* Principes directeurs : réussite éducative; développement durable; école saine et sécuritaire; école flexible, adaptative et pérenne; et milieu de vie inclusif.

 

L’aluminium en vitrine

Les nouvelles écoles québécoises afficheront une signature qui fera notamment la part belle à l’intégration d’éléments structuraux et de revêtements en bois, mais aussi à l’aluminium au plan architectural.

« L’utilisation de parements d’aluminium dans les écoles, qui est tout de même récente, est de plus en plus courante. Et elle tombe sous le sens parce que c’est un matériau léger qui nécessite peu d’entretien, qui est durable et qui offre une grande flexibilité sur le plan du design », souligne Krystel Flamand, architecte associée principale de la firme Vincent Leclerc Architecte.

Pour François Racine, président et directeur général par intérim d’AluQuébec, il s’agit d’une belle occasion de mettre en vitrine l’utilisation innovante du matériau gris et ainsi de favoriser son intégration dans les bâtiments tant institutionnel que commerciaux et multirésidentiels.

Image : Consortium Lemay I Leclerc I Leclerc

« Comme les nouvelles écoles auront un long cycle de vie, le recours à l’aluminium dans une perspective de coût total de possession est vraiment tout indiqué pour ces projets, dit-il, en rappelant que l’aluminium produit à l’électrolyse au Québec, donc à partir de l’énergie hydroélectrique, affiche la plus faible empreinte carbone dans le monde.

 

Les projets Lab-École

Lancé en 2017, le Lab-École a depuis résolument contribué à redéfinir les écoles québécoises sous le signe de l’innovation. Milieux de vie ouverts sur leur environnement et leur communauté, les six établissements qui verront le jour dans la foulée de ses travaux offriront notamment des espaces de rassemblement lumineux, des salles à manger conviviales et des corridors élargis prenant la forme de ruelles d’apprentissage.

Outre celui de Québec, signé par l’équipe du Lab-École, ils seront le fruit de concepts d’avant-garde retenus au terme d’un concours d’architecture placé sous le thème Imaginons les écoles de demain ensemble. Ces projets, dont les premiers devraient être complétés pour la rentrée scolaire 2022, prendront forme à Saguenay, Gatineau, Shefford, Rimouski et Maskinongé.