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25 juin 2025
Par Jean Garon

Pomper la chaleur des eaux souterraines en profondeur au moyen de puits à colonne permanente (PCP) s'avère une option prometteuse pour chauffer et climatiser les bâtiments. Études et démonstrations.

 

Des chercheurs de Polytechnique Montréal étudient et expérimentent cette solution depuis cinq ans dans le cadre de travaux à la Chaire de recherche en géothermie sur l’intégration des PCP dans les bâtiments institutionnels. Le professeur Philippe Pasquier, du Département de génie civil, géologique et des mines, qui est aussi titulaire de la Chaire, concentre ses recherches depuis 15 ans sur la géothermie afin de mieux comprendre le fonctionnement thermique et hydraulique de ces puits géothermiques et ainsi lever les obstacles qui en limitent l’utilisation au Québec.

« Il y a cinq ans, rappelle-t-il, les barrières étaient nombreuses » faute de connaissances suffisantes et d’expertise locale disponible. Selon lui, il y a encore des gens qui craignent d’exploiter la géothermie pour toutes sortes de raisons. Celles-ci découlent parfois d’incertitudes propres à la géologie et à l’hydrogéologie, ou encore parce que ça ne repose pas sur un système fabriqué en usine. Toutefois, il se réjouit de constater que les barrières tombent peu à peu et que les PCP piquent de plus en plus la curiosité des promoteurs et des gestionnaires de bâtiments.

Personnellement, son intérêt lui vient d’un ingénieur américain qui a publié une étude à partir de ses expériences dans le nord-est des États-Unis, où le climat est similaire à celui du Québec. Apparus à la fin des années 1980, plusieurs milliers de PCP seraient en fonction du côté américain. Des mesures effectuées sur de telles installations révèlent que six PCP de 455 mètres de profondeur avaient généré des économies d’énergie de 686 820 kWh/an pendant neuf ans, soit une puissance totale de 700 kW, ou 115 kW par puits.

Fonctionnement d’un PCP

En clair, explique Philippe Pasquier, un PCP est un puits d’une profondeur pouvant aller de 75 à plus de 500 mètres dans lequel l’eau souterraine d’une nappe aquifère est pompée à la base pour en extraire la chaleur à la surface, et est finalement réinjectée dans le sol en fin de parcours. À la différence des puits en boucle fermée verticale qui utilisent généralement un mélange d’eau et de propylène glycol comme liquide caloporteur dans un réseau de tuyauterie, les PCP utilisent l’eau souterraine pour échanger de la chaleur par conduction directement avec l’écorce terrestre et par advection avec l’eau infiltrée dans les puits par un réseau de fractures dans le roc.

Pour illustrer ces deux principes d’échange de chaleur, l’expert en géothermie chez gbi, Jasmin Faucher, utilise l’exemple d’une tasse de café chaud. La conduction de la chaleur se fait par contact extérieur en tenant la tasse dans les mains, alors que l’advection se produit à l’intérieur en buvant une gorgée de café. 

	Source de l’illustration : Beaudry, G. (2021). Convolution non stationnaire de fonctions de transfert pour la simulation efficace des systèmes géothermiques de puits à colonne permanente. Thèse de doctorat, Polytechnique Montréal.

Tous les types de bâtiments  

Cette solution géothermique mise à l’essai pour la première fois au Québec est exploitable pour tous les types de bâtiments de moyenne et grande envergure. Pour tout dire, les résultats des recherches fondamentales et appliquées à la Chaire tendent à démontrer que les PCP ont un potentiel élevé dans les zones urbaines densément construites où il y a peu d’espace pour le forage de puits géothermiques en boucle fermée.

En comparaison, un PCP est de trois à quatre fois plus profond qu’un puits en boucle fermée, donc plus près du noyau chaud de la Terre. La température de l’eau puisée peut monter jusqu’à 15 degrés Celsius, alors que celle d’un puits en boucle fermée se situe autour de 8 degrés. Par le fait même, cette option nécessite moins de puits en bout de ligne.

À Montréal, par exemple, il y a souvent des terrains exigus qui ne permettent pas de déployer des champs de plusieurs dizaines de puits en boucle fermée. Les PCP forés à 500 mètres et plus peuvent ainsi réduire par dix le nombre de puits requis puisqu’ils ont une performance thermique supérieure.

Le professeur Pasquier souligne en outre le fait que l’exploitation de PCP ne requiert pas toujours un environnement géologique très favorable. « On peut en installer dans un environnement peu perméable et obtenir des performances intéressantes, dit-il. Mais à Montréal, ajoute-t-il, on sait qu’il y a une couche profonde très perméable. Quand on l’atteint, et nos projets industriels le démontrent, ça constitue un avantage pour accroître les performances thermiques des PCP. Cette couche se situe à 450, 500, 600 et même 650 mètres de profondeur. »

Démonstration probante

Les résultats mesurés et analysés depuis deux ans du projet de démonstration de l’école la Clé-des-Champs du Centre de services scolaire des Mille-Îles, à Mirabel, sont des plus concluants :

  • Réduction de 50 % de la consommation d’énergie par rapport à un système électrique ayant un coefficient de performance (COP) de 1;
  • Réduction de 71 % de l’appel en puissance par rapport à un système électrique radiant;
  • Réduction de 99 % des émissions de GES par rapport au système existant.

Ce projet mené à bien par la firme gbi (conception et surveillance de la construction) consistait à remplacer des systèmes de chauffage au mazout léger, de climatisation partielle, de ventilation et à procéder au réaménagement de la salle mécanique et à l’installation d’un échangeur de chaleur géothermique. Cela comprend l’installation d’une thermopompe eau-eau d’une capacité de 70 tonnes, d’une thermopompe eau-air de 10 tonnes et de deux autres thermopompes eau-air de 3 tonnes chacune, d’une chaudière électrique de 198 kW en redondance, en plus d’autres équipements de chauffage périmétriques, de récupération d’énergie et de contrôle centralisé. Après un premier hiver d’opération, le COP de la thermopompe principale était de 4,3 en moyenne.

Pour alimenter le tout, il a suffi de forer cinq PCP de 135 m de profondeur et à 6 m de distance l’un de l’autre et d’un puits de réinjection. Cette solution a permis de diminuer l’investissement initial de 50 %, puisqu’il aurait fallu forer 22 puits de 135 m en boucle fermée pour obtenir une performance équivalente.

Comme le rappelle Jasmin Faucher, qui a participé à la réalisation du projet chez gbi, la complexité du projet a posé tout un défi, en particulier la salle mécanique, en raison d’un espace plutôt restreint et très encombré d’équipements et de tuyauterie. Tout compte fait, il estime que les avantages des PCP sont indéniables. Cette technologie ouvre de nouveaux marchés pour la géothermie grâce à la diminution de l’investissement initial et à la réduction de l’empreinte au sol de l’échangeur géothermique. Cela permettra à terme de réduire la pression sur le réseau de production et de distribution d’électricité tout en luttant contre les émissions de gaz à effet de serre.

Le professeur Pasquier soutient pour sa part que les résultats du projet de démonstration à Mirabel dévoilés en 2023 ont entraîné une effervescence d’activités et suscité beaucoup d’intérêt chez les acteurs de l’industrie. Bref, ce nouvel engouement a déjà mené à la réalisation d’études exploratoires pour une dizaine de projets d’écoles, d’hôpitaux, de tours de condos et d’usines. De quoi le conforter à l’aube d’un éventuel renouvellement de mandat pour la Chaire de recherche en géothermie, notamment pour poursuivre les études inhérentes à l’exploitation de cette nouvelle technologie, ainsi que la formation d’une nouvelle génération d’ingénieurs et le développement d’une expertise de pointe dans le domaine.

Avantages comparatifs d’un PCP

Les recherches et les résultats obtenus du projet de démonstration réalisé à Mirabel ont démontré non seulement une nette amélioration de la méthode de conception, mais aussi une meilleure abordabilité des coûts d’un PCP en comparaison de ceux d’un puits géothermique en boucle fermée, et par rapport à un système ayant un COP de 1 :

  • diminution par 2 des coûts de construction;
  • diminution par 2 de la consommation énergétique;
  • réduction par 3 de l’appel de puissance en période de pointe hivernale.
Trois sites de démonstration
  • Centre de services scolaire des Mille-Îles à Mirabel, lequel est en fonction depuis 2022, avec suivi et amélioration des performances, échantillonnage de l’eau souterraine à chaque trimestre
  • Centre de services scolaire de Montréal, à Tétreaultville, dont la construction est en cours
  • Centre de services scolaire des Samares, à Joliette, où le forage exploratoire et les essais de terrain sont complétés, et qui est présentement à l’étape de conception d’un système PCP
Inquiétudes écartées

Selon Philippe Pasquier, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter outre mesure de la contamination ou de l’assèchement des nappes phréatiques par les PCP. L’eau puisée est retournée à l’aquifère d’origine après usage, sans traitement. Cette source d’énergie renouvelable et exploitable à l’année agit comme une sorte de batterie : la chaleur de l’eau souterraine pompée est extraite par des thermopompes pour chauffer les bâtiments en hiver, tandis qu’elle est réinjectée dans les puits en été pour assurer leur refroidissement.