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La construction durable à l'ère du BIM

30 mars 2022
Par Sandra Soucy

Le déploiement du BIM dans la filière du bâtiment au Québec suscite un changement fondamental pour les différents acteurs du milieu de la construction.

La modélisation des données du bâtiment (BIM, pour Building Information Modeling), véritable avatar virtuel du bâtiment à construire, se positionne d’emblée comme un incontournable pour optimiser les différents aspects des projets de construction et d’exploitation. S’imposant toujours davantage comme un atout pour construire dans une démarche plus vertueuse de développement durable, elle n’en demeure pas moins un outil complexe qui demande encore à ce jour à être maitrisé.

Louis Tremblay, responsable des pratiques d’affaires numériques à la Ville de Québec, affirme, d’entrée de jeu, que le BIM peut constituer un catalyseur du bâtiment durable, mais sous certaines conditions : « Le BIM, c’est d’abord une méthode de travail collaborative qui permet à l’ensemble des acteurs de la chaine de valeur de la construction de travailler ensemble à par- tir d’une base de données commune. Le maintien d’une vision globale du cycle de vie complet du bâtiment, tout au long du processus de ses phases, s’avère essentiel. Toutefois, nous n’en sommes pas là à l’heure actuelle. L’environnement dans lequel nous baignons est très fragmenté en ce qui a trait à l’exploitation et à la gestion de projets de construction. On constate que les modes d’opération ne sont pas les mêmes. Dans un contexte d’exploitation, on est beaucoup plus en mode réactif qu’en mode planification, illustre-t-il. On génère des données pour faciliter l’opération du bâtiment, mais les équipes en place ne sont pas outillées pour les exploiter adéquatement. Une telle situation requiert un changement de culture au sein des équipes de gestion immobilière pour qu’elles puissent parvenir à exploiter les données et prendre les bonnes décisions relativement aux investissements, aux entretiens et à la pérennité. »

À ce propos, Louis-Martin Guénette, conseiller principal à la direction générale de la, Ville de Sherbrooke, est éloquent. « Le BIM permet de mieux comprendre le bâtiment et offre cette possibilité d’interrelier la réalité physique du terrain avec la notion virtuelle d’une maquette, bien qu’il n’y ait aucune garantie à cet égard. Plus nos pratiques numériques seront poussées, plus il sera possible d’établir des cibles pour atteindre des objectifs en matière d’efficacité énergétique dans la gestion de nos parcs immobiliers, par exemple. Mais en même temps, cela peut constituer un frein si l’on prend en considération l’ensemble des contraintes forcées par les exigences en apprentissage et les mises à niveau, notamment. »

Les enjeux de maturité organisationnelle et de disparité entre les équipes de projet et les équipes d’opération-entretien sont bien réels et risquent d’avoir une incidence sur les objectifs de durabilité à atteindre. « La maquette est un actif qui a son potentiel en soi, mais qui, mal exploitée, ne pourrait être mise à contribution à sa pleine valeur, signale Louis-Martin Guénette. Les avantages de la méthode BIM, dans une approche durable, résident, selon moi, dans la capacité de monitorer et d’intégrer les informations quant à la durabilité des matériaux de la maquette, mais c’est vraiment l’œuvre dans son ensemble qui est garante d’un projet durable. »

Firas Saab, gestionnaire de recherche et de développement, Groupe Montoni et Louis Tremblay, responsable des pratiques d’affaires numériques à la Ville de Québec.

Dans un scénario idéal, le BIM permettra une collaboration efficace entre tous les intervenants d’un même projet, que ce soit par des partages de données ou pour intervenir directement sur la maquette numérique. Dès la phase de conception, ils seront en mesure de faire une meilleure détection des conflits et d’obtenir une coordination plus efficace afin de prendre les meilleures décisions durant toutes les phases de vie du bâtiment.

« Le BIM offre la possibilité de repérer les problèmes avant la mise en chantier, avec à la clé, une conception de bien meilleure qualité, des couts de construction mieux maitrisés et une qualité de bâtiment optimisée grâce aux différentes analyses et simulations effectuées à un stade précoce du projet, souligne Firas Saab, gestionnaire de recherche et de développement, Groupe Montoni. Tout ce qui peut être intercepté en amont profitera nécessairement à la conception du bâtiment, avec comme résultat une plus grande précision lors de l’évaluation de la quantité de matériaux nécessaire, et par le fait même, une réduction considérable du gaspillage et de dépenses imprévues sur chantier. »

L’humain au cœur du processus

Le BIM dispose d’un autre atout : il permet d’optimiser la coordination des divers corps de métiers qui interviennent au sein du même bâtiment dès le début de sa construction. L’enjeu principal sera de s’assurer de la cohérence des données, géométriques ou non, mises en commun pour qu’elles puissent être partagées d’entrée de jeu.

«Tout cela nous aide à planifier le meilleur ordonnancement possible, puisque c’est à l’intérieur du processus de construction que l’on recueille la majorité de l’information que l’on souhaite obtenir pour l’exploitation et l’entretien, note Louis Tremblay. Il faut toutefois adapter les pratiques en ce qui a trait à la gestion immobilière pour impliquer nos gens de terrain et les accompagner afin de faciliter leur travail dans un contexte, disons-le, pas si simple, où ils auront à se servir des technologies d’information, par exemple le modèle infonuagique. Rappelons à cet égard que l’humain reste au cœur du processus malgré la numérisation. Donc, il est primordial de rester à l’écoute, de prendre le pouls des différentes équipes, d’être conscient de la dynamique de toutes les parties prenantes du projet pour s’assurer que tout le monde regarde dans la même direction. Nous sommes vraiment dans un processus d’amélioration continue lorsqu’on entreprend une démarche BIM. »

Louis-Martin Guénette, conseiller principal à la direction générale de la, Ville de Sherbrooke et Michel Meunier, directeur Produit et design, Groupe Nordik.

Le BIM peut aussi s’avérer d’une grande utilité lors de la déconstruction du bâtiment, puisque la totalité des informations relatives aux matériaux employés sont inscrites dans la maquette numérique, à savoir ce qui a été utilisé, à quel endroit et de quelle manière dans le bâtiment. Une sorte de diagnostic des ressources qui permettra, dans une perspective de durabilité, d’établir un bilan carbone de chaque matériau à des fins de réemploi ou de recyclage selon le scénario envisagé, ou encore de réduire la consommation d’énergie, voire de s’assurer du respect des exigences environnementales dans le bâtiment.

« Ceci exige une maitrise indéfectible de l’information tech- nique de l’ouvrage, et ce, dès la planification jusqu’à la gestion de fin de vie du bâtiment, constate Michel Meunier, directeur Produit et design, Groupe Nordik. Le BIM offre cette possibilité d’intégrer d’énormes quantités de renseignements, notamment celles relatives à l’architecture, à l’ingénierie, au budget, aux opérations et à l’entretien du bâtiment qui favoriseront la prise de décisions éclairées dans un contexte de développe- ment durable.»

S’il est vrai que l’on assiste à un véritable changement de paradigme dans le secteur du bâtiment, force est de reconnaitre que cette révolution a créé une onde de choc, particulièrement auprès des gens sur le terrain qui œuvrent dans un secteur plutôt traditionnel de la construction au Québec.

« C’est certain que le BIM est une méthode très différente de l’approche traditionnelle. C’était une autre époque, celle où l’on dessinait sur des supports statiques, lance Michel Meunier. Avec le BIM, tout est modélisé en 3D et cela nous permet d’obtenir une meilleure transversalité au sein des différentes disciplines. Toutefois, une montée en compétence de tous les acteurs du bâtiment est requise pour réussir ce virage techno- logique dont on ne saurait se passer.»

Cet immeuble de bureaux de 17 étages situé dans le quartier de London Bridge est l’un des premiers bâtiments à avoir bénéficié de la modélisation des données du bâtiment (ou BIM), tout au long du projet, soit du début de sa phase de conception en passant par son étape de construction et jusqu’à la phase opérationnelle. Aux commandes, la société WSP, coordinateur de projet et consultant BIM, a produit un modèle virtuel de systèmes architecturaux, structuraux et MEP (mécanique, électrique et plomberie) qui a largement contribué à la détection des conflits, à la coordination, à l’estimation des couts et au séquençage de la construction. Une fois la construction terminée, ce modèle et ses informations As built, développées tout au long du projet, serviront d’outil de gestion des installations pour le client dans une réalité virtuelle 3D consultable en tout temps.

De nombreux conflits se sont présentés au cours de la construction de ce bâtiment, notamment pour les fondations, en raison d’une nouvelle plateforme de transport à London Bridge. Mais l’utilisation du BIM a permis leur détection dès le stade de la conception. D’autres défis concernant les interactions entre les différentes structures ont aussi pu être relevés par l’équipe de conception, ce qui n’aurait pas été possible sans un environnement 3D.

L’immeuble a d’ailleurs été couronné du prestigieux prix d’ENR (Engineering News Records). Celui-ci a récompensé l’excellence des équipes d’ingénierie structurale de WSP en reconnaissance de leur travail d’équipe hors pair et de l’ingénierie complexe, sans lesquels ce projet n’aurait pu voir le jour sur ce site qui présentait de nombreuses contraintes aux abords de la très achalandée gare London Bridge.