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Vers le bâtiment à carbone zéro

13 mars 2018
Par Léa Méthé Myrand

Une véritable mobilisation se dessine en faveur du bâtiment à carbone zéro au Canada. Chronique d’une révolution annoncée.

Devant l’urgence d’agir en matière de changements climatiques, la communauté du bâtiment durable se mobilise pour la réduction de l’empreinte carbone des bâtiments. Le nouveau programme du Conseil du bâtiment durable du Canada (CBDCa) a un objectif unique : réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur du bâtiment à l’horizon 2050.

« Les certifications comme LEED s’attardent à une foule d’enjeux environnementaux et visent l’adoption de pratiques d’excellence en construction, dit Mark Hutchinson, vice-président aux programmes des bâtiments verts au CBDCa. Ce n’est pas une approche qui interpelle tout le monde dans l’industrie de la construction, mais chacun devrait au minimum se sentir concerné par les changements climatiques. »

Pour changer la trajectoire actuelle et éviter une catastrophe que notre imagination peine à envisager, il est urgent d’opérer la transition vers une économie sobre en carbone. Au Canada, le chauffage et l’exploitation des bâtiments constituent la troisième source d’émission de GES, après l’exploitation pétrolière et les transports, avec des émissions se situant entre 80 et 90 mégatonnes en équivalent CO2 par année depuis 2000.

La bonne nouvelle, c’est que le savoir-faire est disponible et les sources d’énergie alternatives existent pour mettre fin à la dépendance aux carburants fossiles. Des programmes de certification comme Living Building Challenge et LEED produisent régulièrement des bâtiments très peu énergivores et des projets pilotes comme UBC-CIRS présentent déjà des bilans énergétiques carboneutres.

Julie-Anne Chayer, Mark Hutchinson et Maxime Boisclair

Énergie et carbone, même combat ?

« Mesurer l’efficacité énergétique et l’impact carbone sont deux choses très différentes, insiste toutefois Mark Hutchinson. L’unité de mesure des codes de construction est l’énergie, mais selon la source de cette énergie, les émissions de GES associées varient énormément. Si nous voulons réduire les émissions de GES, c’est ça que nous devons mesurer. En mettant l’accent sur les émissions, nous ouvrons un dialogue sur l’interaction entre les bâtiments et les systèmes d’approvisionnement énergétique. »

Le Québec bénéficie d’un avantage certain lorsque vient le temps d’atteindre les objectifs de cette norme, puisque l’intensité carbone de notre plus abondante source d’énergie, l’hydroélectricité, est modeste. Or, la réalité, selon Mark Hutchinson, c’est que, même dans le Québec d’aujourd’hui, la majorité des bâtiments commerciaux sont conçus pour être chauffés avec des carburants fossiles.

« C’est une décision délibérée qui a un impact énorme sur l’empreinte carbone d’un bâtiment pendant tout son cycle de vie, dit-il. La décision de chauffer à l’électricité peut sembler à première vue prohibitive ou même contre-productive d’un point de vue environnemental. Mais il faut considérer l’ensemble du cycle de vie d’un bâtiment et anticiper les coûts à long terme. Nous savons par exemple que les taxes carbone s’en viennent et que cela changera les perspectives à long terme. Par ailleurs, on n’obtient jamais 100 % d’efficacité avec les carburants fossiles, alors que des systèmes géothermiques alimentés à l’électricité peuvent produire du 300 %. Il faut habituer les gens à penser en ces termes. »

Le CBDCa a fait sien cet enjeu et publié en 2016 la Norme du bâtiment à carbone zéro , qu’il définit comme « un bâtiment très éconergétique qui produit sur place, ou qui se procure, de l’énergie renouvelable sans carbone dans une quantité suffisante pour compenser les émissions annuelles associées à [son] exploitation. »

« L’objectif du programme est en fait d’éliminer les émissions de carbone attribuables aux bâtiments à l’horizon 2050, indique Mark Hutchinson. Nous ne pouvons pas nous concentrer exclusivement sur le bâtiment neuf, nous allons devoir nous pencher sur tous les immeubles existants. Le cœur de ce programme est le suivi de la performance à long terme de cette transition. »

Le CBDCa offre donc la norme BCZ – Design pour les nouvelles constructions et la norme BCZ – Performance pour les bâtiments existants. Cette dernière est moins contraignante (par exemple, il n’y a pas de seuil pour l’intensité de la demande en énergie thermique), mais doit être reconduite annuellement. Un bilan carbone zéro est requis et un nouveau « plan de transition » doit être reconduit aux cinq ans tant que des combustibles émetteurs de GES sont utilisés sur place.

Afin d’établir la neutralité carbone des projets participants, ou de chiffrer la progression dans le cas des bâtiments existants, le CBDCa propose quatre indicateurs : l’intensité des GES émis calculée à l’aide de facteurs d’émissions régionales, l’intensité énergétique du bâtiment, la demande d’énergie de pointe et le carbone intrinsèque, une mesure visant à reconnaitre l’impact des matériaux sélectionnés sur le cycle de vie des bâtiments. S’ajoute à cela une exigence de produire de l’énergie renouvelable sur place ou de s’approvisionner directement en énergie renouvelable afin d’assurer l’ajout de la production d’une énergie propre.

Pour Julie-Anne Chayer, présidente du CBDCa – Québec, « le Bâtiment Carbone Zéro fait partie du portefeuille de certifications destinées à mener l’industrie de la construction plus loin. Il s’agit d’une première version et il faut se l’approprier, la questionner et la bonifier ».

Selon elle, l’originalité de la norme canadienne tient notamment au fait qu’elle prend en considération l’empreinte carbone des matériaux de construction : « Pour le moment, il s’agit plutôt de comprendre la notion de carbone intrinsèque, de le comptabiliser et d’envisager les différentes façons de le réduire. Il n’y a pas d’obligation de résultat dans le projet pilote, il y en aura probablement dans les versions ultérieures ».

Comme les projets québécois possèdent un avantage grâce à la faible intensité carbone attribuée à l’hydroélectricité, elle invite les concepteurs à s’attarder plus spécifiquement à cet aspect matériel. « La conception devient alors d’autant plus déterminante », affirme Julie-Anne Chayer. L’un des enjeux est de s’assurer qu’il n’y a pas de déplacements d’impacts carbone entre les solutions matérielles et opérationnelles. « Les professionnels architectes et ingénieurs devront collaborer pour réaliser l’analyse de cycle de vie (ACV) et idéalement s’adjoindre des professionnels de l’ACV pour valider leurs concepts. »

Projets pilotes

Seize projets au pays participent au programme pilote de la Norme du bâtiment à carbone zéro du CBDCa lancé au printemps 2017. L’école primaire Curé-Paquin, qui verra le jour à Saint-Eustache, sera le premier bâtiment québécois à briguer la certification avec une équipe de conception réunissant VBGA Architectes et François Grenon Architecte, en collaboration avec la firme de génie-conseil GBI – auparavant Beaudoin-Hurens.

« Des études démontrent que l’environnement bâti a un impact sur la réussite scolaire des élèves, explique Maxime Boisclair, directeur du développement durable chez GBI. La Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles a comme objectif d’être pionnière en la matière et s’est même adjoint des chercheurs afin de développer des écoles plus propices à l’apprentissage et à l’épanouissement. »

Motivée par la conviction que le bâtiment durable contribue à la réussite éducative des élèves, par la qualité de vie qu’il procure et par les valeurs qu’il véhicule, la Commission scolaire a donc entrepris de faire de l’école Curé-Paquin un projet phare. Le bâtiment, qui accueillera des élèves de niveau primaire, devrait avoir un bilan carbone net négatif grâce à une conception solaire passive, une enveloppe très isolante, une utilisation efficace de l’énergie destinée au chauffage et à la ventilation. « On revient à des conceptions et des technologies de base, dit Maxime Boisclair. Il faut retenir des solutions et des technologies simples pour faciliter la tâche des opérateurs. »

Alors qu’un bâtiment comparable bâti selon le CNÉB émettrait 900 kg de CO2 annuellement en lien avec les opérations, la modélisation de l’école Curé-Paquin prédit plutôt un résultat de 590 kg/an en fonction des facteurs d’émissions québécois. C’est toutefois sans compter la production d’électricité des 180 panneaux solaires installés en toiture qui portent le bilan carbone anticipé à -135 kg de CO!

« Les installations sont prévues pour pouvoir tripler la surface de panneaux solaires photovoltaïques, ce qui nous permettrait d’atteindre un bilan énergétique net zéro, ajoute Maxime Boisclair. Nous avons cependant mis de côté cette option à court terme puisqu'Hydro-Québec, qui est en situation de surplus, crédite un maximum de 50 kW dans le cadre de son programme de mesurage net. »

La trousse d'outils BCZ

Le Zero Carbon Workbook est un outil de calcul en format Excel qui permet de colliger l’information concernant le projet de bâtiment visant la certification Carbone Zéro. Actuellement disponible en version anglaise seulement, il inclut une liste à cocher de toutes les pièces justificatives à fournir en plus d’effectuer les calculs d’émissions de gaz à effet de serre et de confirmer la conformité aux exigences pour chaque poste. Le résultat cumulatif, ou Zero Carbon Balance, s’appuie sur des chiffriers distincts consignant les émissions attribuables à l’utilisation de carburants fossiles et de biomasse, à l’électricité provenant des utilités publiques, à l’énergie renouvelable produite sur place et hors site et à l’énergie renouvelable acheminée vers le réseau.

La norme BCZ-Performance

Ce programme destiné aux bâtiments existants exige de faire un audit des émissions de GES attribuables aux opérations. Si des combustibles (autres que des biocombustibles à zéro émission) sont utilisés sur le site, un plan de transition doit être élaboré. Les opportunités d’apporter des changements aux systèmes mécaniques se présentent lorsque des composantes majeures arrivent en fin de vie. Selon Mark Hutchinson, vice-président aux programmes des bâtiments verts au CBDCa, la meilleure chose à faire avec les bâtiments existants est de se tourner vers l’électricité.

Carbone intrinsèque

En contraste avec d’autres programmes visant les bâtiments carboneutres dans le monde, la norme Carbone Zéro établie par le CBDCa se distingue en tenant compte des émissions de GES attribuables aux matériaux de construction dans le bilan carbone des bâtiments neufs. Dans le cadre du projet pilote, l’Initiative Carbone Zéro n’associe aucun objectif de performance à cet indicateur. On exige cependant d’effectuer le calcul le plus précis possible du carbone intrinsèque de chaque projet. Les versions ultérieures du programme contiendront non seulement des seuils de performances exigées, mais comptabiliseront les émanations attribuables aux matériaux ainsi qu’aux solutions technologiques, dont la fabrication des panneaux solaires. 

École modèle

L’école Curé-Paquin de la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles, à Saint-Eustache, est le seul bâtiment québécois parmi les 16 projets pilotes de l’Initiative sur les bâtiments Carbone Zéro. L’équipe de conception a misé sur une conception solaire passive incluant la ventilation naturelle assistée par d’ingénieuses solutions domotiques. Trente-six puits géothermiques de 300 pieds de profondeur alimentent le système de chauffage par planchers radiants hydroniques. L’installation d’un récupérateur de chaleur haute efficacité et d’un accumulateur thermique permet de limiter la demande d’énergie en période de pointe. Pour respecter la condition de production d’énergie renouvelable sur le site, 285 m2 de panneaux solaires ont été installés en toiture. Les modélisations du bâtiment, qui est toujours en conception, annoncent un bilan carbone négatif !