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L’exemplarité de l’état au cœur de la décarbonation des bâtiments au Québec

8 novembre 2021
Par Rénald Fortier

Cap sur une réduction des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) du parc immobilier gouvernemental à l’horizon 2030.

Cinquante pour cent. C’est l’objectif de réduction fixé par le Plan pour une économie verte 2030 (PEV 2030), lancé par le gouvernement du Québec à l’automne 2020, pour les émissions de GES liées au chauffage des bâtiments résidentiels, institutionnels et commerciaux en sol québécois. La table est dès lors mise pour le déploiement d’une vaste opération de décarbonation qui, bénéficiant d’un soutien gouvernemental de 500 millions de dollars, s’appuiera sur l’efficacité énergétique et le recours à des sources d’énergie renouvelable, au premier chef l’électricité.

Loin de seulement enjoindre au secteur du bâtiment de sabrer ses émissions de GES, Québec trace la voie à suivre en prenant la tête du convoi. C’est ainsi qu’il monte plus haut la barre pour le parc immobilier de la Société immobilière du Québec (SQI), qui voit à loger les ministères et les organismes publics, ainsi que ceux des autres organismes et des réseaux de la santé et de l’éducation. Leur cible est ainsi établie à 60 % sous le niveau de 1990 en 2030, ce qui équivaut à une réduction de 50 % sous le niveau de 2012-2013.

Une démarche d’exemplarité, donc, qui se jumelle à une autre : celle amorcée en 2018 dans la foulée de la mise en oeuvre du Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques 2018-2023 du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) – plan prolongé jusqu’en 2026 pour l’arrimer à l’échéance du premier Plan de mise en oeuvre du PEV 2030.

« Le PEV donne un coup de roue supplémentaire en mettant l’accent sur la réduction des GES », indique Michel Fournier, coordonnateur à l’exemplarité de l’État à la Direction des stratégies énergétiques du MERN, en soulignant que les cibles du PEV sont alignées sur celles du Plan directeur pour les bâtiments gouvernementaux qui, elles, sont fixées en termes de consommation unitaire d’énergie des immeubles, soit une réduction globale de 10 % en 2022-2023 et de 15 % en 2029-2030, en comparaison avec l’année de référence 2012-2013.

Michel Fournier, Vincent Plasse et Pierre Lepage

Pour lui, il est clair que l’un ne va pas sans l’autre, et qu’un bon bout de chemin a déjà été parcouru depuis le déploiement du Plan directeur qui a permis de mobiliser les acteurs du milieu du bâtiment institutionnel québécois : « Une organisation qui atteint sa cible de réduction de la consommation unitaire d’énergie, en gigajoule normalisé par mètre carré, est assurément en bonne position pour atteindre celle fixée par le PEV 2030 pour les gaz à effet de serre. Et nous observons que de plus en plus de gestionnaires immobiliers passent à la vitesse supérieure en se tournant vers de l’énergie renouvelable. »

Il faut dire que les gestionnaires immobiliers s’activant au sein du parc gouvernemental ont tout intérêt à emprunter cette voie sans tarder et que le MERN poursuit ses efforts, en tant que facilitateur, pour susciter et renforcer leur adhésion. Pourquoi ? Parce que la démarche de décarbonation en cours est appelée à être poussée encore plus avant au-delà de 2030, beaucoup plus loin même.

« En exemplarité de l’État, précise Michel Fournier, nous travaillons avec l’objectif de rendre le parc immobilier institutionnel québécois zéro émission pour les opérations régulières, soit celles liées à la mission des organisations qui logent dans les bâtiments. Dans certaines circonstances exceptionnelles, par exemple une panne d’électricité prolongée, il demeurera possible de justifier la consommation du combustible fossile. »

Même orientation du côté de la SQI, qui gère un parc immobilier totalisant plus de 3,1 millions de mètres carrés, dont 54 % en propriété, en plus de voir à la gestion des projets d’infrastructure des ministères et organismes publics. Vincent Plasse, directeur de la coordination et du soutien à l’exploitation des immeubles, explique : « Au-delà des cibles à atteindre pour 2030 sur les plans de la réduction unitaire d’énergie et de la décarbonation de nos bâtiments, nous devons garder un oeil sur 2040, car on s’en va vers le zéro émission de GES, et ce que l’on fait aujourd’hui à un impact pour le futur. »

Conjuguer le présent au futur

C’est ainsi qu’à la SQI, on essaie sans attendre de viser la cible zéro émission au moment de réaliser un projet. « Si ce n’est pas possible, indique Pierre Lepage, coordonnateur à la gestion immobilière, nous allons prévoir l’infrastructure en vue d’une conversion dans le futur, par exemple en concevant la salle mécanique pour y permettre éventuellement l’installation de chaudières électriques ou de thermopompes. »

L'école primaire Christ-Roi du Centre de service scolaire de Montréal intègre désormais un système géothermique. Crédit : Stéphane Brugger, courtoisie : consortium BGLA + Smith Vigeant architectes.

Rien de surprenant quand on sait qu’au fil des deux dernières décennies, la SQI s’est positionnée à l’avant-garde au rayon de l’efficacité énergétique au Québec, tout comme à celui de la réduction des GES, plus particulièrement en misant sur la remise au point des systèmes mécaniques de ses bâtiments. De savoir seulement qu’elle a déjà abaissé sa consommation unitaire d’énergie de 13,5 % par rapport à 2012-2013, surpassant ainsi la cible de 9 % qui lui avait été fixée pour 2022-2023, suffit vite en à prendre la mesure.

En dépit de ces avancées toutefois, il n’empêche que la décarbonation n’est pas nécessairement une mince tâche en raison de la diversité des bâtiments composant son parc : bureaux, palais de justices, postes de la Sûreté du Québec, centres de détention, laboratoires, hangars d’aéroport, centres de service du ministère des Transports… Sans compter que ces immeubles sont dispersés aux quatre coins de la province.

Si la SQI se tourne en règle générale vers l’électricité pour convertir les systèmes de chauffe de ses immeubles existants, elle doit parfois faire appel à d’autres solutions dans certains cas, notamment en région. Comme la mise en place d’un système à la biomasse forestière résiduelle à l’édifice administratif Louis-Joseph-Moreau, à Rimouski, ou encore l’installation d’une chaudière électrique avec accumulation thermique, combinée à un chauffage d’appoint au propane, au Centre de gestion de l’équipement roulant (CGER) de Transports Québec, à New-Carlisle. « Dans le cas de ce CGER, l’élimination du mazout pour le chauffage des espaces s’est traduite par une réduction de 90 % des émissions de GES avec des coûts d’énergie équivalents », souligne Vincent Plasse, en précisant que la conversion des systèmes de chauffage utilisant des produits pétroliers serait menée à bien d’ici 2023.

Le chauffage à la biomasse mis en place à l'édifice Louis-Joseph-Moreault. Crédit : SQI.

Comme le démontrent les démarches menées par la SQI, de même que celles d’établissements des réseaux de la santé et de l’éducation, différentes avenues peuvent en effet être empruntées pour décarboner les bâtiments de l’État, tout comme ceux du secteur de l’immobilier commercial. À savoir l’utilisation de chaudières électriques ou de systèmes géothermiques ou aérothermiques, dont la source d’énergie primaire est l’électricité, ou encore de systèmes faisant appel à la biénergie, fruit de la complémentarité entre les réseaux électrique et gazier, ou aux bioénergies (biomasse forestière résiduelle, gaz naturel renouvelable…). Et c’est sans oublier le stockage d’énergie pour aplanir la demande de puissance lors des pointes d’Hydro-Québec.

« Les institutions, tout comme c’est le cas pour les propriétaires d’immeubles du secteur commercial, ont le choix des moyens pour optimiser l’efficacité énergétique et réduire les émissions de GES de leurs bâtiments existants. Toutes ne sont pas au même stade d’avancement, mais la démarche de décarbonation du parc immobilier est bien en selle », observe Michel Fournier, en soulignant que le mouvement en faveur du recours aux énergies renouvelables est déjà bien installé du côté de la construction des nouveaux immeubles institutionnels, comme les écoles ou les maisons des aînés pour ne citer que ces exemples.

« La marche vers la réduction de 60 % de leurs émissions de GES, puis vers l’atteinte de la cible zéro émission de carbone opérationnel, est irréversible. Mieux vaut donc pour les institutions accélérer le pas sans attendre, d’autant plus que nous sommes là pour les accompagner dans leurs démarches », conclut le coordonnateur à l’exemplarité de l’État à la Direction des stratégies énergétiques du MERN.

Les responsables de l’efficacité énergétique et de la réduction des GES oeuvrant au sein du parc immobilier gouvernemental québécois disposent, depuis l’automne 2020, d’une communauté de pratique pour les aider à mener à bien leur démarche de décarbonation. Désignée sous l’appellation CoPex, cette plateforme virtuelle a été mise en place par le MERN, avec la collaboration des représentants de différentes institutions, afin de favoriser le partage de la connaissance.

« L’objectif était de décloisonner les gestionnaires immobiliers et de démocratiser l’expertise en renforçant la synergie entre eux. Ils peuvent ainsi questionner un ou des membres de la communauté, par exemple sur la remise au point des systèmes électromécaniques, ou encore publier de l’information sur un projet qu’ils viennent de réaliser pour que leurs pairs puissent s’inspirer de leurs succès et des leçons apprises », explique Michel Fournier, coordonnateur à l’exemplarité de l’État à la Direction des stratégies énergétiques du MERN.

Accessible gratuitement, cette communauté de pratique compte à ce jour plus de 120 membres. Elle est ouverte exclusivement aux personnes à l’emploi des institutions ou des ministères.

En plus des programmes d’appuis financiers du MERN (ÉcoPerformance et Bioénergie) ainsi que ceux offerts par les distributeurs d’énergie, les gestionnaires de bâtiments institutionnels peuvent également recourir, depuis 2019, à un programme innovant visant à les soutenir dans la constitution d’une base de référence en vue de la mise en oeuvre de projets d’efficacité énergétique.

« Ce programme s’accompagne d’une aide financière pouvant aller jusqu’à 100 000 dollars pour permettre aux institutions d’engager une firme de génieconseil, afin de les aider à rassembler toute la documentation pertinente requise pour la réalisation d’un projet d’efficacité énergétique, indique Michel Fournier. Parce que le succès d’un tel projet est tributaire de l’information transmise aux professionnels qui seront appelés à le planifier, comme la capacité du système de chauffage ou les diverses séquences d’opération des différents systèmes. »

Depuis la fin de 2019, le MERN met à la disposition des gestionnaires de bâtiments institutionnels une nouvelle série de documents pour les aider à préparer et à démarrer des projets d’économie d’énergie garantie, une formule particulièrement utilisée dans les réseaux de l’éducation et de la santé.

« Des documents modèles d’appel d’offres sont disponibles sur notre site web pour guider les institutions dans la sélection d’une firme d’accompagnement et, ensuite, dans celle d’une entreprise de services écoénergétiques (ESE) , indique Michel Fournier. On a notamment mis en place un chiffrier qui permet d’entrer les coûts d’économie d’énergie associés aux mesures proposées par les firmes et, avec celle qui sera retenue, le même fichier est ensuite utilisé pour consigner les économies réelles. »

La réduction de 60 % des émissions de GES du parc immobilier du gouvernement québécois à l’horizon 2030 s’articulera notamment autour des axes suivants :

  • La complémentarité entre les réseaux électrique et gazier et le recours à la biénergie (prioritairement l’électricité);
  • L’efficacité énergétique;
  • La conversion du chauffage au mazout vers l’électricité;
  • Le remplacement des équipements en fin de vie utile utilisant le gaz naturel par d’autres faisant appel à de l’énergie renouvelable afin de pourvoir au chauffage principal;
  • L’utilisation de bioénergies, plus particulièrement la biomasse forestière résiduelle et le gaz naturel renouvelable;
  • L’emploi d’autres sources d’énergie renouvelable.