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Transparence des matériaux : côté pile, côté face

12 mai 2021
Par Rénald Fortier

L’offre est en voie de rejoindre la demande pour les déclarations environnementales au rayon de la transparence des matériaux au Québec. Des experts du bâtiment durable et des fournisseurs de l’industrie en témoignent.

Déclaration environnementale de produit (DEP), déclaration sanitaire de produit (mieux connue sous l’acronyme anglais HPD), étiquette Declare, inventaire du fabricant… La demande des professionnels du bâtiment durable pour de tels outils de communication sur la teneur environnementale des produits et systèmes constructifs s’accentue rapidement, soit au rythme où se multiplient désormais les projets LEED v4 en sol québécois. Tout comme ceux visant l’obtention WELL, bien que dans une moindre mesure pour l’heure.

C’est que depuis l’entrée en vigueur de LEED v4 en novembre 2016, faut-il le rappeler, le bâtiment durable est entré dans une nouvelle ère au Québec comme ailleurs : celle de la transparence des matériaux. Depuis lors, l’obtention de certains crédits enjoint aux fabricants de communiquer de l’information normalisée sur les répercussions environnementales de leurs produits, ceci sur l’ensemble de leur cycle de vie, et sur leurs risques pour la santé humaine.

Ainsi, les impacts environnementaux des matériaux ne seront dès lors plus seulement évalués sous des aspects tels que le recyclé ou la proximité, mais aussi sur des indicateurs comme l’empreinte carbone et l’utilisation de ressources non renouvelables, pour ne mentionner que ceux-ci. Le bond en avant est important pour les fournisseurs de produits, mais aussi pour les professionnels de l’architecture et du design d’intérieur qui devront voir à l’obtention des déclarations environnementales.

Pour obtenir un point pour la divulgation et l’optimisation des produits, il leur faudra dorénavant cumuler 20 DEP correspondant à des produits installés de façon permanente et provenant d’au moins cinq fabricants (une DEP générique, réalisée à l’échelle de l’industrie, aura une valeur équivalente à un demi-produit). Ils pourront aussi aller chercher un autre point dans le crédit des matériaux en cumulant un assortiment de 20 documents exposant la liste des ingrédients composant un produit : HPD, Declare, Cradle to Cradle

Répondre à l’appel

Mais reste qu’il y a un hic à l’époque : de tels outils de divulgation ne sont pas légion au Québec, loin de là même. C’est d’ailleurs pourquoi le Conseil du bâtiment durable du Canada – Québec (CBDCa-Qc) déploiera, à l’été 2017, une initiative visant à favoriser la transition de l’industrie québécoise des matériaux de construction vers la transparence. Aux côtés d’une quinzaine de firmes d’architecture, il invitera alors les fabricants à se préparer sans tarder à soumettre les informations requises sur leurs produits et systèmes.

Ariane Bouchard, Christophe Culis, Denis Gingras et Fabian Roberge

Un appel qui est à l’évidence entendu. « La situation a beaucoup évolué depuis. Il y a de plus en plus de déclarations environnementales à la portée des concepteurs de projets LEED v4 et WELL, ce qui est aussi vrai pour ceux visant d’autres certifications comme Living Building Challenge ou BREEAM. Les fabricants, à tout le moins nombre d’entre eux, ont emboîté le pas au mouvement en faveur de la transparence des matériaux. La tendance qui se dessine est irréversible, et elle ira en s’accentuant dans les prochaines années », observe aujourd’hui Julie-Anne Chayer, présidente du CBDCa-Qc.

L’architecte William Leblanc, responsable des certifications chez Coarchitecture, est bien d’accord : « Il y a beaucoup plus de déclarations environnementales disponibles sur le marché, convient-il, notamment parce que des fabricants de produits parents, pour ainsi dire, n’ont d’autre choix que de marcher dans le sillage de la compétition pour demeurer positionnés sur le marché du bâtiment durable. Il y a un effet d’entraînement qui s’opère et on ne peut que s’en réjouir. »

Ceci expliquant cela, si le bassin de déclarations environnementales disponibles ne cesse de s’élargir, les professionnels du bâtiment durable n’en continuent pas moins en parallèle de pousser toujours plus avant leurs efforts dans la quête de documents de divulgation leur permettant d’obtenir de précieux crédits qui contribueront à l’apposition du sceau LEED v4 sur un bâtiment, voire à l’atteinte d’un niveau de certification élevé. Un cas de figure qui est le même pour WELL.

Nadia Bini, directrice, Développement durable chez Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes, en témoigne : « Maintenant, nous passons en revue tous les produits qu’on va spécifier dans nos devis pour aller chercher un maximum de déclarations environnementales. Et quand on conçoit un projet LEED v4 ou WELL, on va invariablement identifier ceux pour lesquels on s’attend à obtenir une DEP ou une HPD, voire les deux. »

Même combat, même approche chez Ædifica. « Nous avons des devis avec des matériaux déjà spécifiés, indique Maude Pintal, chargée de projet sénior, Développement durable. À partir de là, on va regarder s’il y a des DEP ou des HPD disponibles, sinon on va en faire la demande auprès des fabricants. Et on va poursuivre notre recherche jusqu’à en obtenir le plus possible. »

Une recherche de solutions documentées, donc, qui est bien perceptible chez des fournisseurs de l’industrie. C’est notamment le cas du côté de Uniboard, qui reçoit depuis les dernières années un nombre croissant de demandes pour ses déclarations environnementales. « De plus en plus d’architectes et de designers d’intérieur cherchent, preuves à l’appui, des matériaux écologiques qui favorisent aussi la santé des occupants des bâtiments », constate Ariane Bouchard, directrice du marketing de cette entreprise dont la gamme de produits est couverte par des HPD depuis 2016.

Constat semblable du côté de Fabian Roberge, directeur des ventes, Montréal – Rive-Sud chez Armstrong, qui a pris le virage de la transparence avec le déploiement de son programme Sustain à partir de 2017. Car lui aussi dénote une hausse marquée de l’intérêt des concepteurs de projets LEED v4 et WELL envers la batterie de déclarations environnementales (DEP, HPD, Declare…) que détient l’entreprise pour ses systèmes de plafond. Et pour lui, c’est là le reflet d’une tendance pour les matériaux à la fois écologiques et sains qui ira en s’amplifiant.

Faciliter la recherche

Savoir que le nombre de déclarations environnementales disponibles ne cesse d’augmenter est une chose, les trouver en un tournemain en est toutefois une autre encore aujourd’hui pour les professionnels du bâtiment durable. « La recherche de DEP, HPD et autres documents de divulgation demeure souvent un exercice fastidieux, car les sources d’information sont encore très variées, avance William Leblanc. Il faut aller chercher l’information à gauche et à droite, appeler des fabricants, aller voir sur leur site web ou encore se tourner vers des bases de données, comme Mindful Materials, par exemple. »

Julie-Anne Chayer, Maude Pintal, Nadia Bini et William Leblanc

Maude Pintal et Nadia Bini abondent dans le même sens et, comme lui, conseillent aux fabricants détenteurs de déclarations environnementales de communiquer directement leur documentation aux spécialistes du développement durable au sein des firmes d’architecture et de design. Et non pas seulement aux concepteurs, aux spécificateurs ou aux responsables d’une matériauthèque. Pourquoi? Tout simplement pour s’assurer que l’existence de leurs déclarations sera connue des professionnels chargés de les identifier vite fait bien fait pour tel ou tel matériau.

Sika Canada figure au rang de ces entreprises qui veillent à frapper aux bonnes portes pour promouvoir la panoplie de DEP dont elle s’est dotée, à compter de 2019, pour couvrir son vaste éventail de produits destinés à l’entretien et à la réparation du béton. Christophe Culis, son spécialiste en communication et marketing, explique : « En plus de mettre bien en vue la documentation à l’égard de la transparence des matériaux sur notre site web, nos représentants voient aussi à faire savoir aux architectes que nous détenons l’information dont ils ont maintenant besoin pour obtenir des crédits LEED. »

Hydrotech a aussi bien compris qu’il valait mieux faire en sorte que son adhésion à la transparence des matériaux ne reste pas lettre morte. : « Les grandes firmes d’architectes ont toutes dans leur organisation des professionnels LEED qui connaissent, et depuis longtemps dans bien des cas, notre membrane d’imperméabilisation à haut contenu recyclé. Mais du moment où on a obtenu notre DEP, je suis tout de même allé frapper à la porte des bureaux qui ont des experts en développement durable avec notre documentation en main. Tous m’ont bien accueilli et étaient heureux d’apprendre que nous mettions une DEP à leur disposition. » 

Coup d’œil sur les DEP et HPD

Déclaration environnementale de produit

La DEP est une fiche standardisée qui, basée sur les résultats d’une analyse de cycle de vie, permet aux fabricants de quantifier les impacts environnementaux de leurs produits. Non seulement ceux liés à sa fabrication, mais aussi à l’approvisionnement en matières premières servant à leur production et à leur expédition.

Déclaration sanitaire de produit

La HPD, de l’acronyme de son appellation anglaise Health Product Declaration, consiste en une fiche standardisée divulguant tous les ingrédients entrant dans la composition d’un produit ainsi que les risques que certains peuvent représenter pour la santé.

 

Vers l’interprétation des DEP

L’avènement de LEED v4 avait notamment pour objectif d’amener les fabricants à produire des déclarations environnementales de produits, à divulguer l’information sur ceux-ci. C’est pourquoi les professionnels du bâtiment durable doivent aujourd’hui seulement les accumuler pour obtenir des crédits, et non pas pour interpréter leur contenu. Mais viendra le temps éventuellement où ces outils de communication seront utilisés pour comparer des produits, et les départager sur la base de leur empreinte environnementale, dans une perspective de décarbonisation des matériaux. D’où l’importance pour les fabricants non seulement d’emboîter le pas à la transparence des matériaux, mais aussi de voir à réduire en continu leur empreinte carbone.